Michel HUET
En collaboration avec Baptiste GIBERT

Acte unilatéral : consultations du public

Le Conseil d’Etat définit les principes encadrant les consultations du public menées à titre facultatif et le contrôle de leur régularité par le juge. 

Conseil d’Etat, 19 juillet 2017, Association citoyenne « Pour Occitanie Pays Catalan » et autres, req. n° 403928

A l’occasion de la modification du nom des régions de France, le conseil régional de la nouvelle région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées a décidé, pour rendre son avis, de mener une procédure consultative en sollicitant l’avis de plusieurs instances régionales, puis en recourant à une consultation publique.

Contestant le déroulement de cette consultation publique, l’association citoyenne « Pour Occitanie Pays Catalan » a saisi la juridiction administrative, permettant au Conseil d’Etat de se prononcer sur le recours, par les personnes publiques, à titre facultatif, à la consultation du public.

Il décide ainsi que la région peut légalement procéder à une telle consultation, indépendamment des procédures de référendum et de consultation locale prévues par le code général des collectivités territoriales (CGCT). Cette consultation du public peut être organisée selon les règles de son choix, à la condition que la réforme, le projet ou l’acte relève de la compétence de la personne publique.

Par la suite, le Conseil d’Etat précise les principes généraux gouvernant la régularité d’une telle consultation, en appliquant ceux de la consultation locale prévue par le CGCT.

Il en résulte une interdiction faite à l’administration qui consulte de renoncer à l’exercice de son pouvoir de décision en l’abdiquant à la consultation, une obligation pour l’administration de procéder à la consultation dans des conditions régulières, et une obligation pour l’administration de suivre les règles de la consultation locale.

En outre, s’agissant des consultations de l’article L. 131-1 du code des relations entre le public et l’administration, le Conseil d’Etat décide que l’administration doit mettre à disposition des personnes concernées les informations utiles, doit leur assurer un délai raisonnable pour participer et doit veiller à ce que les résultats ou les suites envisagées soient rendus publics. Il décide également que pèse sur l’administration une exigence de sincérité de la consultation et que l’administration est tenue de respecter les règles qu’elle fixe elle-même pour chaque consultation.

Concernant le rôle du juge, il lui revient d’apprécier si les exigences qu’elle énonce ont été méconnues lorsque la consultation peut être regardée, notamment au vu de son objet, de son calendrier et de ses conditions de réalisation, comme formant partie intégrante d’un même processus décisionnel.

Le juge est également tenu de vérifier si les conditions de mise en œuvre de la consultation publique ont pu être de nature à vicier le résultat.

Ainsi, par cette décision, le Conseil d’Etat encadre juridiquement les pratiques des personnes publiques recourant à la consultation publique.

Source : AJDA, 11 septembre 2017, n° 29/2017, p. 1662, « Consultations ouvertes facultatives : règles du jeu », Guillaume Odinet et Sophie Roussel

Contrat public : recours des tiers

Le Conseil d’Etat permet au tiers, sous certaines conditions, de saisir directement le juge du contrat d’un recours de pleine juridiction tendant à ce qu’il soit mis fin à l’exécution d’un contrat et ferme, dans cette hypothèse, la voie du recours pour excès de pouvoir contre l’acte détachable que constitue la décision refusant de résilier ce contrat. 

Conseil d’Etat, 30 juin 2017, Syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche, req. n° 398445

Le syndicat mixte de promotion de l’activité transmanche (SMPAT) a conclu une convention de délégation de service public en 2006 avec la société Louis Dreyfus Armateurs SAS. Les sociétés France-Manche et The Channel Tunnel Group ont demandé au SMPAT de prononcer la résiliation de ce contrat en 2010, ce qui sera rejetée. Les deux sociétés décident donc de saisir la juridiction administrative.

Le tribunal administratif rejette leur demande, tandis que la cour administrative d’appel accueille leurs prétentions.

Le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi, annule toutefois cet arrêt et, statuant sur le fond, rejette la requête présentée par les deux sociétés.

Dans cette décision, le Conseil d’Etat reprend mot pour mot le considérant de principe de la décision Département Tarn-et-Garonne de 2014, en exigeant du tiers au contrat qu’il démontre que le refus opposé à sa demande de mettre fin à l’exécution de celui-ci est susceptible de le léser dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine.

Il apporte ensuite une seconde restriction au caractère opérant des moyens, dont l’exigence d’un rapport direct avec l’intérêt des requérants existait depuis la décision de 2014. Dorénavant, le juge ne laisse prospérer que des moyens qui se rattachent effectivement à l’exécution du contrat, ajoutant un second verrou à la décision Département Tarn-et-Garonne.

Les moyens en question ne trouvent ainsi leur fondement que dans des circonstances extérieures aux clauses même du contrat : une modification du droit applicable aux contrats que le législateur aurait, expressément ou implicitement, en raison d’impératifs d’ordre public, rendue applicable aux contrats en cours et qui ferait obstacle à la poursuite de l’exécution régulière du contrat ; la poursuite de l’exécution du contrat est manifestement contraire à l’intérêt général.

S’agissant de l’indemnisation du tiers, la décision ne donne aucune indication sur les conséquences, pour le cocontractant de l’administration, d’une décision de résilier le contrat, prise sur injonction du juge du contrat, saisi par un tiers, de mettre fin au contrat.

Ainsi, par cette décision, le Conseil d’Etat abandonne la jurisprudence Société LIC (CE, 24 avril 1964, n° 53518) et met un terme à la théorie de l’acte détachable pour ce qui concerne le refus de résilier un contrat, en permettant aux tiers, sous certaines conditions, de saisir directement le juge du contrat.

Source : AJDA, 11 septembre 2017, n° 29/2017, p. 1669, « Rénovation du contentieux contractuel : travaux de finitions », Chroniques

Contrat public : recours pour excès de pouvoir

Contrairement au juge judiciaire, le juge administratif permet à une association non déclarée, dépourvue de la personnalité juridique, d’agir en justice pour introduire un recours en excès de pouvoir. Ce libéralisme trouve cependant sa limite dans l’absence de production des statuts qui rend difficile la vérification de son intérêt pour agir et de la qualité de son représentant pour agir en son nom. 

Cour administrative d’appel de Nantes, 10 mai 2017, Collectif des contribuables saumurois c/ Commune de Saumur, req. n° 16NT03844

Le Collectif des contribuables saumurois a attaqué en justice la délibération du conseil municipal de Saumur décidant de céder un terrain communal non bâti.

Le Tribunal administratif de Nantes rejette la demande comme manifestement infondé puisque cette association n’était pas déclarée.

L’association interjetant appel, la cour administrative a décidé que :

« si l’absence de déclaration d’une association ne fait pas obstacle à ce que celle-ci uisse, par la voie du recours pour excès de pouvoir, contester la légalité des actes administratifs qui font grief aux intérêts qu’elle a pour mission de défendre, c’est à la condition que cette association soit légalement constituée et ait notamment défini, dans ses statuts, son objet social et ses règles de fonctionnement. » 

En l’espèce, l’association n’ayant pas produit ses statuts, c’est légalement que la cour administrative d’appel a pu rejeter sa requête.

Cette décision aurait été différente si la question s’était posée devant le juge judiciaire, car il considère, contrairement au juge administratif, qu’une association non déclarée est dépourvue de personnalité juridique et donc dans l’incapacité d’agir en justice.

Si le juge administratif se montre plus libéral, c’est notamment parce que l’intérêt à agir en recours pour excès de pouvoir est largement admis et que l’article 2 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit que les associations de personnes pourront se former librement sans autorisation ni déclaration préalable.

Toutefois, ce libéralisme a des limites lorsque, comme dans le cas d’espèce, les requérants ne fournissent pas de statuts, rendant difficile la détermination de l’objet social de l’association et donc la vérification de son intérêt pour agir.

Ainsi, si le juge administratif fait preuve de libéralisme pour accueillir la requête d’une association non déclarée, il est cependant rigoureux quant à la détermination de son intérêt à agir, et donc quant à l’indentification des griefs invoqués.

Source : AJDA, 11 septembre 2017, n° 29/2017, p. 1674, « Recours pour excès de pouvoir d’une association non déclarée : point trop n’en faut », François-Xavier Bréchot

Contrat public : modalités d’indemnisation du cocontractant

Le Conseil d’Etat précise sa jurisprudence relative à l’indemnisation du cocontractant de l’administration en cas de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général. 

Conseil d’Etat, 3 mars 2017, Société Leasecom, n0 392446

Le TGI de Marseille a conclu un contrat avec une société ayant pour objet la location de photocopieurs. Un an avant son terme normal, le TGI décide d’y mettre un terme de manière unilatérale.

La société saisit donc le tribunal administratif, qui condamnera l’Etat à verser l’indemnité de résiliation fixée par le contrat. La cour administrative d’appel annule le jugement, mais sera elle-même censurée par le Conseil d’Etat au motif que la cour aurait dénaturé les clauses du contrat. Statuant sur renvoi, la cour administrative d’appel annule une seconde fois le jugement du tribunal administratif. C’est donc suite à cet arrêt que le Conseil d’Etat statuera au fond.

Tout d’abord, le Conseil d’Etat décide que « la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant » .

Il apporte ensuite une limite à ce principe car « si l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations contractuelles, l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités fait toutefois obstacle à ce que ces stipulations prévoient une indemnité de résiliation qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation. » 

Ainsi, en l’espèce, le Conseil d’Etat décide que l’indemnité prévue au contrat était manifestement disproportionnée, et écarte donc le calcul de l’indemnisation issu de cette clause.

C’est la raison pour laquelle il décide ensuite que : « si, dans le cadre d’un litige indemnitaire, l’une des parties ou le juge soulève, avant la clôture de l’instruction, un moyen tiré de l’illicéité de la clause du contrat relative aux modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée, il appartient à ce dernier de demander au juge la condamnation de la personne publique à l’indemniser du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables, dans le silence du contrat, à l’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d’intérêt général ; que, dans l’hypothèse où le juge inviterait les parties à présenter leurs observations, en application de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, sur le moyen soulevé d’office et tiré de l’illicéité de la clause d’indemnisation du contrat, le cocontractant de la personne publique peut, dans ses observations en réponse soumises au contradictoire, fonder sa demande de réparation sur ces règles générales applicables aux contrats administratifs. » 

Le requérant n’ayant toutefois pas renouvelé sa demande indemnitaire, autre que sur le fondement de la clause de résiliation prévue au contrat, et alors que le juge lui avait indiqué que l’arrêt à intervenir était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office, le juge administratif a décidé qu’aucune demande d’indemnisation des conséquences de la résiliation anticipée du contrat sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs n’avait été effectuée.

Par conséquent, la société n’a pas été indemnisée de la résiliation anticipée

Cet arrêt, qui peut surprendre sur la solution adoptée, est toutefois juridiquement fondé.

Source : AJDA, 11 septembre 2017, n° 29/2017, p. 1679, « Modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation pour motif d’intérêt général », Frédéric Lombard