Actualité juridique
Mai 2017

Michel HUET
En collaboration avec Amélie DARIDAN

Foncier

Dans le cadre de la réalisation de sa mission, la SAFER peut se livrer à des opérations d’entremise en vue du louage de parcelles agricoles et elle peut, sur avis de ses organes consultatifs et de contrôle, subordonner l’attribution de la location à des conditions s’imposant au candidat retenu.

Civ. 3è, 27 avril 2017, n°15-29.139 (n° 442 FS-P+B) – Cassation

Selon les articles L. 141-1 et R. 141-11 du code rural et de la pêche maritime, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) peuvent livrer leur concours à des opérations immobilières portant sur les biens d’autrui et relatives au louage à bail rural au bénéfice d’agriculteurs, en vue d’une installation ou d’un remaniement parcellaire de leur exploitation. Le processus d’attribution en jouissance donne notamment lieu à la consultation du comité technique départemental.

Ce comité avait, lors de l’instruction de candidatures, rendu un avis favorable à l’attribution d’un fond à Messieurs X.M et A.Q, à la condition d’un engagement d’échange au profit de Monsieur S.M.
Finalement, le comité de la SAFER écarte la candidature de Monsieur SM et attribue la location à un groupement, à la condition que ce dernier réalise un échange avec lui. Messieurs X.M et A.Q refusent de procéder à l’échange, Monsieur S.M saisit le tribunal paritaire en réalisation de cet engagement et en paiement de dommages-intérêts.

La cour d’appel rejette ses demandes, en affirmant que le comité technique n’intervient qu’à titre consultatif, et que par conséquence, le refus de procéder à l’échange ne constitue pas une violation d’une décision de la SAFER, décision qui ne s’impose pas au tiers.

La cour de cassation casse cet arrêt et affirme que «pour la réalisation de ses missions d’intérêt général, une SAFER peut se livrer à des opérations d’entremise en vue du louage de parcelles agricoles et peut, sur avis de ses organes consultatifs et de contrôle, subordonner l’attribution de la location à des conditions qui s’imposent au candidat retenu»

Source : Recueil Dalloz, n°18/7731e, 18 mai 2017, p 982, « SAFER (opération d’entremise) : conditions d’attribution d’une location de parcelle agricole »

Architecte : sous-traitance

Le maître de l’ouvrage n’est pas redevable des sommes exposées par le maître d’œuvre pour rémunérer un sous-traitant lorsque le recours à la sous-traitance est interdit. 

Civ. 3è, 27 avril 2017, n°16.958 (n° 507 FS-P+B+I) – Cassation partielle

Une Société Civile Immobilière (SCI) a confié une mission de maîtrise d’œuvre portant sur l’extension d’un bâtiment. Le maitre d’œuvre, qui a sous-traité l’établissement du dossier de permis de construire à un architecte, conteste l’étendue des obligations contractuelles et le prix des prestations, et assigne la SCI en paiement.

La cour de Cassation, dans un premier temps, confirme le jugement de la cour d’appel et réaffirme que n’est pas applicable à un fait juridique le principe selon lequel : « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même ». Elle considère que la cour d’appel a pu souverainement apprécier la valeur et la portée du décompte soumis par la société, la SCI ne contestant pas lui avoir confié l’exécution de la mission portant sur l’obtention d’un permis de construire.

Dans un second temps, au visa des articles 1108 et 1131 du code civil, et de l’article 37 du code de déontologie des architectes, la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel l’architecte ne peut ni prendre ni donner en sous-traitance la mission définie à l’alinéa 2 de l’article 3 de la loi sur l’architecture du 3 janvier 1977. Elle précise que « le maître de l’ouvrage n’est pas redevable des sommes exposées par le maître d’œuvre pour rémunérer un sous-traitant lorsque le recours à la sous-traitance est interdit ». Dès lors la cour d’appel ne peut accueillir, sans violer les textes précités, la demande de la société portant sur le remboursement des honoraires payés à l’architecte pour l’établissement du dossier de permis de construire.

Source : Recueil Dalloz, n°18/7731e, 18 mai 2017, p 982, « Architecte (sous-traitance) : portée de l’action en paiement contre le maitre d’ouvrage»

Droit d’auteur : communication au public

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) se prononce sur la notion de « communication au public » de l’article 3, §1 de la directive 2001/29/CE, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. 

CJUE, 2è ch., 26 avril 2017, aff. C-527/15 « Stichting Brein contre Jack Frederik Wullems” 

La CJUE effectue une analyse de ces dispositions en deux temps.

Elle commence tout d’abord par l’article 3, §1 de la directive 2001/29/CE qui dispose que :

« Les États membres prévoient, pour les auteurs, le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres, de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement »

Elle juge que cet article doit être interprété comme couvrant la vente d’un lecteur multimédia sur lequel ont été préinstallés des modules complémentaires, disponibles sur internet, contenant des liens hypertextes renvoyant à des sites internet librement accessibles au public sur lesquels ont été mises à la disposition du public, des œuvres protégées par le droit d’auteur sans autorisation des titulaires de ce droit.

Elle continue ensuite avec l’article 5, §1 et §5 de cette même directive qui dispose que :

« 1. Les actes de reproduction provisoires visés à l’article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique et dont l’unique finalité est de permettre:
a) une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou
b) une utilisation licite
d’une œuvre ou d’un objet protégé, et qui n’ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l’article 2.
5. Les exceptions et limitations prévues aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 ne sont applicables que dans certains cas spéciaux qui ne portent pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ou autre objet protégé, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du droit. »

Elle juge que ces dispositions ne couvrent pas les actes de reproductions temporaires, sur un lecteur multimédia, d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, obtenue par diffusion en flux continue sur un site internet appartenant à un tiers qui propose cette œuvre sans l’autorisation du titulaire du droit.

Source : Recueil Dalloz, n°18/7731e, 18 mai 2017, p 983, « Droit d’auteur (téléchargement illégal) : lecteur multimédia favorisant le streaming »

Numérique : données à caractère personnel et à la libre circulation

La Cour de Justice de l’Union Européenne, visant l’article 7 f) de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995, précise les conditions d’application du traitement et de la libre circulation des données à caractère personnel.

CJUE, 2è ch., 4 mai 2017, aff. C-13/16 “Rīgas satiksme”

L’article 7 f) de la directive 95/46/CE, du 24 octobre 1995 dispose que :

« Les États membres prévoient que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que s’il est nécessaire à la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées, à condition que ne prévalent pas l’intérêt ou les droits et libertés fondamentaux de la personne concernée, qui appellent une protection au titre de l’article 1er paragraphe 1, qui dispose que les États membres assurent, conformément à la présente directive, la protection des libertés et droits fondamentaux des personnes physiques, notamment de leur vie privée, à l’égard du traitement des données à caractère personnel. »

La CJUE juge que cet article ne prescrit pas, en soi, une obligation de communiquer des données à caractère personnel à un tiers, pour lui permettre d’introduire un recours en indemnisation devant une juridiction civile pour un dommage causé par la personne concernée par la protection de ces données. Mais il exprime une simple faculté.

Cependant, cette disposition ne s’oppose pas à une telle communication sur la base du droit national si trois conditions cumulatives sont remplies :
– la poursuite d’un intérêt légitime par le responsable du traitement ou par le ou les tiers auxquels les données sont communiquées,
– la nécessité du traitement des données à caractère personnel pour la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi,
– la condition que les droits et les libertés fondamentaux de la personne concernée par la protection des données ne prévalent pas.

Source : Recueil Dalloz, n°18/7731e, 18 mai 2017, p 983, « Données personnelles (communication à un tiers) : recours contre la personne protégée»

Développement durable : aménagement commercial

La Cour d’appel (CAA) de Douai dans son arrêt n°15DA1287, Commune de Rouen du 23 février 2017, annule une autorisation d’aménagement commercial, par une argumentation minutieuse et détaillée. Elle illustre clairement les modalités d’appréciation d’un tel projet. 

Cour administrative d’appel de Douai, 23 février 2017, n°15DA1287, Commune de Rouen

Un aménageur avait, après deux refus consécutifs, obtenu de la Commission Nationale d’Aménagement Commercial (CNAC) une autorisation pour créer un « village de marque » ainsi qu’une « maison des métiers d’art », en association avec la Chambre de commerce et de l’industrie, de l’Eure et la Chambre des métiers de l’artisanat de l’Eure, pour une surface totale d’environ 19 000m². Plusieurs communes, entités publiques, associations s’opposent au projet, et exercent des recours pour obtenir l’annulation de cette autorisation pour excès de pouvoir. La cour d’appel annule la décision de la CNAC selon trois moyens : la recevabilité des requêtes, la légalité externe, et la légalité interne de l’autorisation.

La Cour d’Appel admet que l’autorisation de la CNAC peut faire l’objet en elle-même d’un recours. Elle se différencie ainsi d’un arrêt Cour d’appel de Lyon jugeait que de telles autorisations ne pouvaient être attaquées car elles ne constituaient qu’un avis favorable de la CNAC à la délivrance d’un permis de construire, seul acte décisionnel pouvant être contesté. Depuis l’entrée en vigueur de la loi 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, un doute subsiste que le Conseil d’Etat n’a pas encore tranché.

Quant à la légalité externe de l’autorisation, la cour d’appel rappelle que l’article R.752-34 du code de commerce impose, que la convocation des parties à une réunion de la CNAC doit être réalisée 15 jours auparavant. En l’espèce, la convocation n’a été adressée que 5 à 7 jours avant la réunion. La cour d’appel précise que la disposition précitée constitue une garantie offerte aux parties. Dans la droite ligne de la jurisprudence Danthony (CE, 23 décembre 2011, n° 335033, qui précisait qu’un vice de procédure n’entache pas d’irrégularité un acte s’il n’a pas privé les Parties intéressées d’une garantie), elle conclut que les requérants ont été privés d’une garantie, ce qui constitue un vice de procédure substantiel entraînant l’annulation de la décision.

Quant au contrôle de la légalité interne de l’autorisation, prenant un chemin différent de d’autres cours d’appel, la Cour d’appel de Douai n’utilise pas la formulation de principe « L’autorisation d’aménagement commercial ne peut être refusé que si, eu égard à ses effets, le projet contesté compromet la réalisation des objectifs énoncés par la loi », mais s’attache à étayer sa décision en appréciant les critères de l’autorisation. Les deux critères principaux sont depuis la loi du 4 août 2008 « Modernisation de l’économie » : l’aménagement du territoire et le développement durable. D’autres existent comme la protection des consommateurs ou la nécessité pour le projet d’être compatible avec le SCoT (L142-5 du code de l’urbanisme). L’aménageur doit démontrer que son projet respecte au mieux ces critères et que les équipements publics nécessaires à la desserte de son projet sont prévus, financés et que leur réalisation n’attend que l’autorisation demandée.

En l’espèce, la cour a jugé que le projet était trop excentré et situé sur des parcelles vierges de toutes constructions, la nature des marchandises vendues portait atteinte aux commerces des centres villes et à l’animation de la vie urbaine, le développement de l’emploi et du tourisme était trop incertain, et le parc de stationnement insuffisant.

Source : AJDA, n°18-2017, 22 mai 2017, p 1064 « Le contrôle des critères d’aménagement commercial »