Modification des seules clauses financières d’un contrat de commande publique

En vertu des articles R. 2194-5 et R.2194-8 du Code de la commande publique, il est possible de modifier seulement les clauses financières d’un contrat de commande publique, si la modification du marché est acceptée par la personne publique.

Avis du Conseil d’État du 15 septembre 2022, n°405540

Le Conseil d’État est saisi d’une demande d’avis relative aux possibilités de modification du prix ou des tarifs des contrats de commande publique.

Les articles L.2194-1 et L.3135-1 du Code de la commande publique prévoient qu’une modification d’un marché ou d’un contrat de concession est possible quand elle est prévue par les contrats initiaux, quand elles ne sont pas substantielles, quand elles sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues, ou quand elles sont de faibles montants.

En vertu des deux articles suivants du même code, lorsque l’autorité contractante modifie unilatéralement le contrat, le cocontractant a droit au respect de l’équilibre financier du contrat.

A la lecture des articles R. 2194-1 et suivants, et R. 3135-1 et suivants, on décèle que les circonstances imprévues sont celles qu’une autorité diligente ne pouvait pas prévoir (R.2194-5 et R.3135-5), et que les modifications ne peuvent excéder 50% du montant du contrat initial (R. 2194-3 et R.3135-3).

Les modifications non-substantielles n’auraient pas attiré d’autres opérateurs économiques si elles avaient été présentées au moment de la procédure de passation. Elles n’auraient pas non plus permis l’admission d’autres offres ou mené à choisir une autre offre que celle retenue. Elles ne modifient pas l’équilibre économique du marché, ne modifient pas considérablement l’objet du marché et n’étendent pas son champ d’application (R.2194-7 et R.3135-7).

Les modifications « de faible montant » sont inférieures aux seuils européens de 10% du montant du contrat initial pour les marchés de services et de fournitures et de 15% pour les marchés de travaux (R.2194-8 et R.3135-8). Le montant cumulé est pris en compte en cas de modifications successives (R.2194-9 et R.3135-9).

En substance, ni le code de la commande publique, ni les directives du 26 février 2014 (2014/24/UE et 2014/25/UE) ne s’opposent à une modification des seules clauses financières.

D’après l’article L.2112-6 de la commande publique et les article R.2112-7 et suivants, un marché est en principe conclu à prix définitif par le biais d’un prix ferme, ou d’un prix révisable qui peut être modifié pour prendre en compte des variations économiques. Ces clauses peuvent être modifiées en vertu des directives de 2014.

En effet, un prix révisable peut devenir un prix ferme à mesure que le marché avance (CE, 20 décembre 2017, Société Area Impianti, n°508562), ou une augmentation de la prime peut être prévue dans un marché d’assurance (CE, 16 mai 2022, Société hospitalière d’assurances mutuelles, n°459408).

Cependant, d’après l’article L.3 du code de la commande publique, l’autorité contractante n’est pas obligée de prendre l’initiative de les mettre en œuvre, et n’est pas non plus contrainte de les accepter.

Une question supplémentaire est posée quant aux conditions d’application de la théorie de l’imprévision.

D’après l’article L.6 du code de la commande publique, un évènement extérieur aux parties, imprévisible et bouleversant l’équilibre du contrat justifie une indemnité pour le cocontractant. Ainsi, les principes de la jurisprudence du Conseil d’État demeurent (CE, 30 mars 1916, Compagnie d’éclairage de Bordeaux, n°59928). Seul le cocontractant qui remplit ses obligations contractuelles en subissant un déficit d’exploitation a droit à une indemnité. Cette solution est retenue pour assurer la continuité du service public.

  • Les possibilités qui s’ouvrent au cocontractant

L’une des possibilités est la modification du contrat en cas de circonstances imprévisibles (CE, 14 janvier 1955, Société La fusion des gaz, n°75236), dans le cadre normatif de la modification d’un marché ou d’un contrat de concession.

L’autre possibilité est la conclusion d’une convention d’indemnisation afin de compenser les charges extracontractuelles subies par le titulaire ou le concessionnaire en lui attribuant une indemnité lui permettant de poursuivre l’exécution du contrat (CE, 17 janvier 1951, Hospices de Montpellier). Cependant, cette indemnisation ne peut être que temporaire, et fixée précisément par la convention. La convention d’indemnisation, ou la décision unilatérale de l’autorité administrative fournissant une aide financière ne peut pas être regardée comme une modification de marché ou de contrat de concession.

Enfin, l’indemnité d’imprévision peut être prévue par le juge, afin de compenser la charge extracontractuelle sans modifier les dispositions du contrat et les obligations réciproques (CE, 2 novembre 1927, Ville de Saint-Omer).

En conclusion, les seules clauses financières d’un contrat public peuvent être modifiées, si et seulement si la personne publique l’accepte. En outre, la théorie de l’imprévision s’applique toujours en cas de circonstances imprévisibles bouleversant temporairement l’équilibre du contrat.

 


Référé contractuel et juge judiciaire

Le référé contractuel est recevable devant le juge judiciaire si le concurrent évincé n’était pas en connaissance de la signature du marché, et ce même si un recours précontractuel avait été formé au préalable !

Cour de cassation, com., 7 septembre 2022, n°20-21.222

Pour rappel, les dispositions de l’article L.551-14 du Code de justice administrative interdisent au candidat évincé ayant formé un référé précontractuel de former un référé contractuel (sauf exception). Par conséquent, un concurrent ayant été informé du rejet de son offre, mais n’ayant pas été informé du délai de suspension entre la notification du rejet de son offre et la conclusion du marché, garde la possibilité de former un recours précontractuel. (CE, 24 juin 2011, n° 347720)

Par sa décision du 7 septembre 2022, la Cour de cassation reconnait recevable le référé contractuel, devant le juge judiciaire, du requérant qui a formé auparavant un référé précontractuel sans avoir connaissance de la conclusion du marché. Cette décision semble être inspirée de celle du Conseil d’Etat, du 29 juin 2012 (n° 358353).

En l’espèce, la société Logirep a lancé un appel d’offres en janvier 2020, et a notifié le refus de son offre à la société Arc-en-ciel en mars 2020. La société Arc-en-ciel a donc saisi le juge judiciaire en référé précontractuel. Le juge de première instance a déclaré sa demande irrecevable en raison de la signature du marché le 13 mai 2020, tandis que l’assignation avait été signifiée le 15 mai 2020.

Toutefois, la Cour de Cassation, citant l’article 12 de l’ordonnance n°2009-515, décide que les dispositions de ce texte « n’ont pas pour effet de priver un candidat évincé de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un candidat évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel tandis qu’il était, au moment de sa saisine dans l’ignorance de l’effectivité de la conclusion du marché par la société adjudicatrice, et ce, quand bien même [il aurait] été informé du projet de celle-ci de procéder à cette conclusion ».

En conclusion, les pouvoirs adjudicateurs doivent faire très attention sur les formes de leur lettre de notification de rejet des offres, afin d’éviter tout contentieux !