Michel HUET
En collaboration avec Baptiste GIBERT
L’entreprise illégalement évincée doit prouver que le manquement du pouvoir adjudicateur est la cause directe de son éviction, et conséquemment, qu’il existe un lien de causalité entre la faute et le préjudice.
CE, 10 février 2017, n° 393720, Sté Bancel : JurisData n° 2017-002284
Afin de répondre à une procédure d’appel d’offres ouvert lancé par un EHPAD pour la passation d’un marché de construction d’une maison de retraire, la société Bancel a présenté une offre sans variante pour l’attribution du lot n° 2.
Estimant avoir été écarté de manière illégale, la société Bancel saisit le juge administratif d’une demande d’indemnisation des frais qu’elle a engagés pour la présentation de son offre et d’une demande d’annulation du marché et d’indemnisation du préjudice subi. En effet, elle estimait avoir subi un préjudice résultant du manquement de l’EHPAD à prévoir l’encadrement des modalités de présentation des variantes dans les documents de la consultation, en violation des dispositions de l’article 50 du Code des marchés publics.
Le Conseil d’Etat, rejetant le pourvoi de la société Bancel et confirmant l’arrêt de la Cour d’appel, a jugé que « lorsqu’un candidat à l’attribution d’un contrat public demande la réparation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établi, de vérifier qu’il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et les préjudices dont le candidat demande l’indemnisation. »
En l’espèce, l’absence d’encadrement des modalités de présentation des variantes dans les documents de la consultation, cause d’irrégularité, n’ouvre aucun droit à réparation à partir du moment où cette irrégularité n’a affecté ni la sélection des candidatures, ni le choix de l’offre économiquement la plus avantageuse, dès lors que les entreprises candidates n’ont pas présenté de variante.
Ainsi, même si l’éviction illégale d’un candidat à un marché constitue une faute de nature à ouvrir droit à réparation du préjudice, la démonstration d’un lien de causalité entre ce manquement et le préjudice est une condition essentielle de la réparation dans le contentieux de la responsabilité pour faute.
Source : Contrats et Marchés Publics, Avril 2017, n° 4, p. 28, « Recours indemnitaire des concurrents évincés : le lien de causalité entre le manquement et le préjudice doit être démontré », Marion UBAUD-BERGERON
Marchés publics : exécution
Le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal ne peuvent pas modifier unilatéralement l’acte spécial de sous-traitance pour réduire la rémunération du sous-traitant régulier, en l’absence de toute modification du contrat de sous-traitance.
Par ailleurs, le maître d’ouvrage ne peut pas rechercher la responsabilité quasi délictuelle du sous-traitant si l’entrepreneur principal n’est pas défaillant.
CE, 27 janvier 2017, n° 397311, Sté Baudin Châteauneuf Dervaux : JurisData n° 2017-001302
Dans le cadre d’un marché public de travaux, le sous-traitant a introduit un recours contre le maître d’ouvrage quant à l’étendue des paiements dus par ce dernier en contrepartie des prestations exécutées dans le cadre du marché, en réponse à un acte spécial modificatif conclu avec l’entrepreneur principal et réduisant le montant de ses paiements directs.
Le Conseil d’Etat donne raison au sous-traitant, en décidant « qu’en l’absence de modification de stipulations du contrat de sous-traitance relatives au volume des prestations du marché dont le sous-traitant assure l’exécution ou à leur montant, le maître de l’ouvrage et l’entrepreneur principal ne peuvent, par un acte spécial modificatif, réduire le droit au paiement direct du sous-traitant dans le but de tenir compte des conditions dans lesquelles les prestations sous-traitées ont été exécutées. »
En outre, le Conseil d’Etat précise les conditions d’engagement de la responsabilité au sein de cette relation tripartite particulière que constitue la sous-traitance dans les marchés publics.
Il appartient ainsi au maître d’ouvrage de se retourner, en principe, contre le constructeur avec lequel le contrat de louage d’ouvrage a été conclu. Il peut également exercer une action quasi délictuelle à l’encontre du sous-traitant, en invoquant notamment la violation des règles de l’art ou la méconnaissance de dispositions législatives ou réglementaires, mais il ne peut pas se prévaloir des fautes résultant de la seule inexécution par les personnes intéressées de leurs obligations contractuelles.
Ainsi, deux apports sont à retenir ici : la modification de l’acte spécial en l’absence de modification du contrat de sous-traitance ne saurait intervenir sans l’accord du sous-traitant ; la responsabilité quasi délictuelle du sous-traitant ne peut être engagée si l’entrepreneur principal n’est pas défaillant et s’il n’y a pas de violation notamment des règles de l’art.
Source : Contrats et Marchés Publics, Avril 2017, n° 4, p. 29, « Sous-traitance : chacun prend ses responsabilités ! », Marion UBAUD-BERGERON
Domaine public
Les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité du domaine public s’opposent à l’appropriation privative de statuettes d’albâtre irrégulièrement soustraites de leur emplacement initial et qui, dès lors, sont réputées n’être jamais sorties du domaine public de l’Etat.
Cour administrative d’appel de Paris, 13 janvier 2017, Société Pierre Bergé et autres, req. n° 15PA04256
Une statuette répertoriée « pleurant n°17 », qui ornait autrefois le tombeau de Philippe II le Hardi, s’est retrouvée au fil des siècles dans les mains de propriétaires privés. La ministre de la Culture et de la communication a donc ordonné sa restitution à l’Etat au motif qu’il appartient au domaine public.
Le Conseil d’Etat, rappelant le principe d’inaliénabilité du domaine public consacré en premier lieu pour les biens appartenant au domaine de la Couronne par l’édit de Moulins de 1566, décide que : « lorsqu’un bien a été incorporé au domaine public, il ne cesse d’appartenir à ce domaine sauf décision expresse de déclassement ; que par l’effet du principe d’inaliénabilité, toute cession d’un bien du domaine public non déclassé est nulle, les acquéreurs, même de bonne foi, étant tenus de le restituer. »
En l’espèce, ce pleurant avait été mis avec le tombeau de Philippe II le Hardi à la disposition de la Nation et donc intégré au domaine public national par le décret de l’Assemblée constituante du 2 novembre 1789.
Ainsi intégré, il n’a jamais cessé d’appartenir au domaine public, inaliénable et imprescriptible de l’Etat, dont il a été irrégulièrement soustrait. Aucune prescription acquisitive au profit des détenteurs successifs, quelle que soit leur bonne foi, ni possession de fait et inaction de l’Etat ne peuvent faire obstacle à ce que l’Etat fasse valoir son droit de propriété sur cet objet.
En outre, aucune atteinte au droit de propriété des particuliers n’est reconnue car la statuette n’a jamais cessé d’appartenir au domaine public ; les personnes privées n’ont donc jamais été propriétaires de cette statuette.
Source : AJDA, 1er mai 2017, n° 15/2017, p. 865, « Les pleurants de Philippe le Hardi appartiennent au domaine public », Julien SORIN
Contrat public : MAPA
Un candidat évincé qui a engagé un référé précontractuel postérieurement à la signature d’un marché passé selon une procédure adaptée alors que le pouvoir adjudicateur n’a pas rendu publique son intention de conclure le contrat et n’a pas observé, avant de le signer, un délai d’au moins onze jours entre la date de publication de l’avis et la date de conclusion du contrat est recevable à saisir le juge du référé contractuel d’une demande dirigée contre ce marché, quand bien même le pouvoir adjudicateur lui aurait notifié le choix de l’attributaire et aurait respecté un délai avant de signer le contrat.
CE, 23 janvier 2017, Sté Decremps BTP, n° 401400 (mentionné aux tables du Lebon)
En mars 2016, le SIVOM, pouvoir adjudicateur, lance une consultation en vue de la passation, selon une procédure adaptée, d’un marché portant sur l’extension et la rénovation du réseau d’eau et d’assainissement.
Le 10 mai 2016, le pouvoir adjudicateur notifie à la société Decremps BTP le rejet de son offre et sa décision d’attribuer ce marché à un groupement, le marché ayant été signé ensuite dans la matinée du 23 mai 2016.
Ce même jour, dans l’après-midi, la société Decremps BTP introduit un référé précontractuel sur le fondement de l’article L. 551-1 du Code de Justice Administrative, puis ayant été informée de la signature du marché, elle requalifie son action en référé contractuel le 3 juin 2016.
Le Conseil d’Etat, après avoir reproché au juge des référés du tribunal administratif de n’avoir pas recherché « si le pouvoir adjudicateur avait rendu publique son intention de conclure le contrat dans les conditions prévues par l’article 40-1 du code des marchés publics », décide que le pouvoir adjudicateur n’ayant pas rendu publique son intention de conclure, et alors même qu’il a notifié dès le 10 mai à l’entreprise requérante le choix du groupement attributaire et n’a signé le marché que 13 jours plus tard, le référé contractuel du 3 juin est recevable.
Nous retiendrons ainsi que le référé contractuel ne peut être exercé que lorsque le référé précontractuel n’a pas pu être exercé du fait d’un manquement de l’acheteur aux règles destinées à garantir aux candidats ou soumissionnaires évincés un accès efficace à cette voie de droit qui est la voie normale de contestation de la procédure de dévolution du contrat, et qu’une simple notification au candidat évincé de la décision d’attribuer le marché ne vaut pas publicité d’une intention de conclure au sens de l’article 40-1 du code des marchés publics.
Source : AJDA, 1er mai 2017, n° 15/2017, p. 888, «Le référé contractuel contre un marché à procédure adaptée : une voie de droit subsidiaire », Hélène Hoepffner