Michel HUET
En collaboration avec Johanna ZEITOUN 

N.B. : Pour un complément d’analyse de brèves du Droit de l’urbanisme, rejoignez cadredeville.com et consultez les chroniques de Michel Huet dans l’onglet « pratique juridique »

PREAMBULE A LA VEILLE D’ETE 

Juillet Août c’est, pour certains, le temps des vacances, le temps des loisirs.

Le sport est à l’honneur car il faut que le corps exulte. Mais l’ombre noire de Le Corbusier rappelle que la glorification du corps et certaines politiques de la santé ont été les voies des totalitarismes les plus abjects.

Alors faut-il lire ? Les médias s’y collent, les quotidiens hebdomadaires, les philosophes, les journalistes sont unanimes.

Oui, il faut lire car le temps des loisirs c’est aussi le temps de la lecture.

Dans cette optique, notre veille mensuelle, pour que vous restiez « éveillés », accentuera le caractère ludique et philosophique de mes propos qui ont résisté au temps grâce au concours actif et passionné de mes jeunes stagiaires et grâce à votre intérêt qui grandit chaque mois.

Rappelons que le droit de l’Architecture et de l’Urbain que nous avons crée traverse des champs de droit que vous retrouverez dans notre veille :

– Droit de l’urbanisme
– Droit de la construction
– Droit de l’environnement
– Droit des marchés publics
– Droit du numérique
– Droit de la propriété intellectuelle
– Droit international
– Droit européen
– Droit public
– Droit de l’Architecture et de l’Urbain

Bel été à tous mes lecteurs, étudiants, professionnels de l’aménagement des villes et de la construction de bâtiments publics ou privés, élus de collectivités territoriales et agents de leurs services, architectes, urbanistes, paysagistes, designers, ingénieristes, ingénieurs, entrepreneurs, juristes, avocats, notaires avec cet adage de Loysel à vivre pour un peu plus de bonheur :
« Qui a bon voisin, a beau matin »

Michel Huet, votre avocat de l’Architecture et de l’Urbain

DROIT DES MARCHES PUBLICS 

• L’abandon de la jurisprudence Entreprise Peyrot par le Tribunal des conflits 

Tribunal des conflits, 9 mars 2015, Mme Rispal c/ Société des Autoroutes du Sud de la France, n°3984 

En l’espèce, la société des Autoroutes du Sud de la France a conclu un contrat avec une artiste afin que cette dernière puisse réaliser une sculpture qui serait implantée sur le futur tracé d’une autoroute. Toutefois, la société informe, quelques temps plus tard, sa co-contractante qu’elle renonce à la réalisation du projet. La requérante saisit alors la Cour de cassation afin d’obtenir une indemnisation des préjudices qu’elle aurait subi en raison de la résiliation du contrat. Toutefois, la juridiction se déclare incompétente. Postérieurement, la Cour administrative d’appel saisit le Tribunal des conflits dans la mesure où, à l’instar de la Cour de Cassation, cette dernière s’estime incompétente afin de trancher le litige.

Le Tribunal des conflits a tranché en estimant qu’ « une société concessionnaire d’autoroute qui conclut avec une autre personne privée un contrat ayant pour objet la construction, l’exploitation ou l’entretien de l’autoroute ne peut, en l’absence de conditions particulières, être regardée comme ayant agi pour le compte de l’Etat ; que les litiges nés de l’exécution de ce contrat ressortissent à la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire ».

Le Tribunal des conflits revient ainsi sur la célèbre jurisprudence Entreprise Peyrot en vertu de laquelle les marchés de travaux des sociétés concessionnaires d’autoroute conclus avec des entreprises privées relèvent de la compétence du juge administratif quand bien même le concessionnaire avait la qualité de personne morale de droit privé. Toutefois, dans son arrêt du 9 mars 2015, le Tribunal des conflits précise que « la nature juridique d’un contrat s’appréciant à la date à laquelle il a été conclu, ceux qui l’ont été antérieurement par une société concessionnaire d’autoroute sous le régime des contrats administratifs demeurent régis par le droit public et les litiges nés de leur exécution relèvent des juridictions de l’ordre administratif ». Ainsi, le Tribunal des conflits module dans le temps l’application de sa jurisprudence et considère, à cet égard, que le contrat conclu en l’espèce par la requérante et la société ASF relève des juridictions administratives. La nouvelle jurisprudence ne pourra s’appliquer qu’aux contrats conclus postérieurement au 9 mars 2015.

Source : AJDA, N°21, 22 juin 2015, Fin d’un splendide isolement : l’abandon de la jurisprudence Entreprise Peyrot, par Jean Lessis et Louis Dutheillet De Lamothe

• La recevabilité du référé contractuel engagé par un candidat évincé ayant antérieurement présenté un référé précontractuel

Conseil d’Etat, 17 juin 2015, Société Proxiserve n° 388457 

Un candidat évincé, saisit le juge du référé précontractuel d’une demande visant l’annulation de la procédure de passation d’un contrat ayant pour objet « la pose, la location, la relève et l’entretien des compteurs d’eau du patrimoine de Marne et Chantereine Habitat ». Toutefois, le requérant apprend en cours d’instance que le marché a été attribué renonçant ainsi à ses conclusions initiales et demandant au juge du référé contractuel d’annuler ce marché. Le juge rejette sa demande au motif que cette dernière serait irrecevable dans la mesure où le candidat évincé a déjà saisit le juge du référé précontractuel.

Afin de trancher le litige, le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps les dispositions de l’article L.551-14 du code de justice administrative selon lequel le référé contractuel n’est pas ouvert au demandeur ayant fait usage d’un référé précontractuel « dès lors que le pouvoir adjudicateur ou l’entité adjudicatrice a respecté la suspension prévue à l’article L. 551-4 ou à l’article L. 551-9 et s’est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours ». Dans un second temps, le Conseil d’Etat rappelle également les dispositions de l’article 46 du décret du 30 décembre 2005 en vertu desquelles le pouvoir adjudicateur doit indiquer aux candidats non retenus, dans la notification du rejet de leur offre, la date à laquelle ou le délai au-delà duquel il signera le marché litigieux, cette date ou ce délai devant être fixés dans le respect du délai minimum de suspension. En l’espèce, le pouvoir adjudicateur a manqué à son obligation d’information des candidats évincés. Par conséquent, le Conseil d’Etat en déduit que ;

– Les dispositions de l’article L.551-14 du code de justice administrative n’ont pas pour effet de rendre irrecevable un référé précontractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un référé précontractuel alors qu’il ignorait que son marché avait été rejeté.
– Ces dernières ne sauront avoir pour effet de rendre irrecevable le référé contractuel du concurrent évincé ayant antérieurement présenté un référé précontractuel qui, bien qu’informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, ne l’a pas été du délai de suspension que ce dernier s’imposait entre la date d’envoi de la notification de rejet de l’offre et la conclusion du marché, lorsqu’une telle information doit être donnée dans la notification du rejet
– Qu’il en va de même lorsque cette notification indique un délai inférieur au délai minimum prévu par les dispositions applicables, alors même que le contrat aurait été finalement signé dans le respect de ce délai minimum

Par conséquent, le Conseil d’Etat estime que le recours du candidat évincé en référé contractuel est recevable dans la mesure où les conditions édictées par l’article L.551-14 n’ont pas été respectées.

Parmi les nombreux référés à disposition de l’avocat, deux référés essentiels pour tenter de suspendre les effets d’une décision ou des travaux en cours : le référé contractuel lorsque le contrat a déjà été signé et le référé précontractuel avant qu’il ne le soit. Ce sont des procédures rapides qui peuvent être efficaces. Encore faut-il être motivé sachant qu’il est difficile de franchir la voie étroite de ces procédures d’urgence.

Source : La gazette du palis, n°189-190, 8 et 9 juillet 2015, Panorama de jurisprudence du Conseil d’Etat par Philippe Graveleau 

• La prestation juridique dans le cadre d’une assistance à maîtrise d’ouvrage publique 

Tout d’abord, l’assistance à maîtrise d’ouvrage peut être d’ordre technique, financière ou juridique. Les prestations juridiques sont soumises à une législation spécifique qu’il convient de clarifier.

Par un arrêt du tribunal administratif de Grenoble en date du 20 juin 2014 il a été jugé que seuls les opérateurs répondant aux conditions de l’article 54 de la loi du 31 décembre 1971 peuvent délivrer des prestations juridiques. La lecture de cet arrêt pourrait alors faire penser qu’un bureau d’études ne pourrait jamais prendre en charge des prestations juridiques –même à titre accessoire- dans la mesure où ils n’apparaissent pas comme étant des professionnels du droit. Toutefois, cette interprétation doit être tempérée et le raisonnement suivant doit être adopté ;

– Un cabinet d’études pourra être seul attributaire d’un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage comprenant à titre accessoire des prestations juridiques à condition de justifier d’une qualification suffisante. Ainsi, l’entreprise attributaire pourra sous-traiter partiellement ou totalement à un cabinet d’avocats uniquement si elle a elle-même la capacité juridique de contracter des prestations juridiques.
– Toutefois, dans le cas où le marché comprend, à titre principal, des prestations juridiques, le cabinet d’études ne pourra pas être le seul attributaire d’un tel marché.

Dans ces conditions plutôt restrictives quelles sont les alternatives proposées au maître de l’ouvrage ?

– Allotissement des prestations juridiques
L’article 10 du code des marchés publics impose, en matière d’assistance à maîtrise d’ouvrage, aux pouvoirs adjudicateurs la divisions des lots (techniques, financiers et juridiques) sauf si l’objet du marché ne permet pas l’identification de prestations distinctes, ou si le pouvoir adjudicateur «estime que la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence, ou qu’elle risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l’exécution des prestations ou encore qu’il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination ». Si l’allotissement pour les marchés exclusivement juridique (avec des lots droit public, droit civil et droit pénal) est plutôt courant, il convient de relever une ordonnance du tribunal administratif de Pau en date du 5 novembre 2014 par laquelle le juge a imposé l’allotissement des prestations juridiques pour un marché comprenant également des missions techniques et financières. Ainsi, l’allotissement d’un marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage pourrait devenir la règle

– Le groupement conjoint d’entreprise sans clause de solidarité
Il est courant que le maître d’ouvrage exige une clause de solidarité lorsque la candidature à un marché prend la forme d’un groupement d’entreprises afin d’être assuré de la réalisation de la prestation en cas de défaillance de l’un des co traitants. Toutefois, il est impossible pour un avocat de participer à un groupement d’entreprises comprenant une clause de solidarité en raison d’une incompatibilité avec les règles de déontologie de la profession. Cette incompatibilité s’explique par le fait qu’en cas de défaillance de l’avocat, le mandataire, qui ne dispose d’aucune compétence juridique ne pourrait se substituer à ce dernier. Il en ressort que le pouvoir adjudicateur ne peut exiger la constitution d’un groupement solidaire ou avec mandataire solidaire pour les marchés comprenant des prestations juridiques.

Enfin, la 5ème version du projet d’ordonnance « marchés publics » prévoit d’exclure de son champ d’application certains marchés publics juridiques tels que les services de certification et d’authentification de documents qui doivent être assurés par les notaires ou les services qui sont liés, même occasionnellement, à l’exercice de la puissance publique. Toutefois, l’ordonnance conserve la prestation classique de recours à un avocat.

L’Etat, les régions, les départements et les communes sont lotis de services bien souvent très compétents en matière de marchés publics. Cependant, en cette période radicale de mutation, que ce soit pour la promotion ou l’exécution des marchés publics, un décalage apparaît, surtout au niveau comportemental entre le droit applicable et l’esprit de négociation.

Le rôle de l’avocat est déterminant pour accompagner les maîtres d’ouvrages publics pour mieux aborder la négociation puis la conduction d’opérations.

Notre cabinet a plaisir d’être aux tables des négociations puis sur le chantier pour exercer cette fonction fondamentale de l’ingénierie juridique. Il participe aussi aux formations avec une méthode spécifique qui produit des effets à très court terme.

Source : La gazette des communes, des départements et des régions, n°28/2278, semaine du 13 au 19 juillet 2015, Assistance à maîtrise d’ouvrage : les marchés comprenant des prestations juridiques, par Catherine Weber-Seban et Jean-Marc Peyrical

• Les requérants qui s’abstiennent de produire le nombre approprié de copies des pièces annexées à leur requête ne voient pas celle-ci frappée d’irrecevabilité

Conseil d’Etat, 19 juin 2015, 374140 

Par cet arrêt le Conseil d’Etat fait le point quant aux exigences liées au formalisme de la procédure devant le juge administratif.

En l’espèce, les requérants se sont abstenus de produire, malgré une demande de régularisation, le nombre approprié de copies des pièces annexées à leur requête.

Le Conseil d’Etat rappelle dans un premier temps qu’en vertu des articles R. 411-3 et R. 412-1 du code de justice administrative une requête est irrecevable lorsque son auteur n’a pas, en dépit d’une invitation à régulariser, produit de copies de cette requête ainsi que de la décision attaquée en nombre égal à celui des autres parties augmenté de deux. L’article R.412-2, quant à lui, dispose que « lorsque les parties joignent des pièces à l’appui de leurs requêtes et mémoires, elles en établissent simultanément un inventaire détaillé. Sauf lorsque leur nombre, leur volume ou leurs caractéristiques y font obstacle, ces pièces sont accompagnées de copies en nombre égal à celui des autres parties augmenté de deux. ». Le Conseil d’Etat estime que si cette obligation n’est pas respectée, la requête n’est pas frappée d’irrecevabilité. Dans cette hypothèse, il est loisible au juge d’inviter la partie concernée à verser ces copies au dossier et de lui indiquer que, si elle s’en abstient, les pièces en cause sont susceptibles d’être écartées des débats ; que, si le juge entend néanmoins se fonder sur tout ou partie de ces pièces, il ne peut le faire qu’après s’être assuré que les parties en ont eu communication.

La communication des pièces, un sujet qui hante les jours et les nuits d’un avocat.

Dans cette espèce l’avocat et donc son client l’ont échappé belle. Mais ce n’est pas toujours le cas.

Chaque juridiction a ses règles du jeu. Il n y a pas à tergiverser il faut les respecter dans le moindre détail. Sinon, c’est le risque de plonger dans la mine pas très accueillante de la faute professionnelle.

Pour éviter ce risque, certains confrères avocats font appel à des spécialistes des procédures.

Source : La gazette du palais, n°182-183, 1er et 2 juillet 2015, Panorama de jurisprudence du Conseil d’Etat par Philippe Graveleau 

• Le pouvoir adjudicateur est tenu d’examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats 

Conseil d’Etat, 17 juin 2015, Commune de Montpellier, n°388596 

En l’espèce, la commune de Montpellier a engagé une procédure de passation d’un marché public pour l’entretien des fontaines de la ville. La commune a rejeté la candidature d’une société –au moyen d’une lettre lui étant adressée- au motif que cette dernière « n’avaient pas été fournies les habilitations électriques UTE 18-510 » et qu’en outre, « les références présentées à l’appui de son dossier de candidature ne concernaient pas des marchés analogues ». La société saisit la justice et c’est ainsi que la procédure de passation a été annulée par le tribunal administratif de Montpellier sur le fondement de l’article 52 du code des marchés publics qui dispose que « l’absence de références relatives à l’exécution de marchés de même nature ne peut justifier l’élimination d’un candidat et ne dispense pas le pouvoir adjudicateur d’examiner les capacités professionnelles, techniques et financières des candidats. »

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat donne raison au candidat évincé dans la mesure où le fait que ce dernier ne produise pas de références portant sur des marchés analogues ne peut suffire, à lui seul, à justifier le rejet de la candidature de la société Philip Frères. Le pouvoir adjudicateur étant tenu d’examiner les capacités professionnelles, techniques et financières d’un candidat.

Dans un second temps, le Conseil d’Etat relève toutefois que le pouvoir adjudicateur, quand bien même la lettre de rejet de l’offre ne le mentionne pas, s’est livré à une appréciation des capacités professionnelles et techniques de la société et qu’elle les a jugées insuffisantes. En effet, la commune a estimé qu’ « au regard de l’objet social de la société Philip Frères, de ses moyens humains et matériels, des qualifications attestées et de son expérience antérieure, que cette candidature, en dépit de compétences réelles dans l’entretien des cours d’eaux naturels, ne démontrait pas de compétences de maîtrise de l’eau des bassins et des fontaines objet du marché ». Ainsi, le Conseil d’Etat valide la décision de la commune de Montpellier mais seulement parce que cette dernière a procédé à l’examen des compétences techniques et financières du candidat lors de l’instruction devant la commission d’appel d’offres.

Cette décision marque une étape de l’histoire du choix des offres en matière de passation de marchés publics. Un glissement sensible dans la précision des critères vers une plus grande rigueur n’exclut cependant toujours pas les interrogations sur les calculs « savants » permettant d’attribuer des notes curieuses.

La capacité est un critère qui peut être manipulé et mérite une grande vigilance. En outre, il y a la capacité financière et la capacité technique : la première a entraîné des procédures remarquées pour la doctrine (ville de Chaumont) et la seconde nécessite, comme le souligne l’arrêt des clarifications sérieuses.

Le débat sur les capacités est loin d’être épuisé.

Source : La gazette du Palais, 1er et 2 juillet 2015, n° 182-183, Panorama de la jurisprudence du Conseil d’Etat par Philippe Graveleau

• Le recours au marché global autorisé dès lors que l’allotissement aurait entraîné des difficultés financières et techniques 

Conseil d’Etat, 26 juin 2015, Ville de Paris n°389682 

En l’espèce, la ville de Paris a lancé une procédure de dialogue compétitif dans le but d’attribuer un marché global dont l’objet était d’une part la fourniture, l’entretien et l’exploitation publicitaire des kiosques et, d’autre part la gestion de l’activité des kiosquiers. Il est également précisé que le titulaire du contrat est autorisé à exploiter les espaces publicitaires sur les mobiliers en contre partie d’une redevance annuelle.

Le tribunal administratif de Paris annule cette procédure au motif que le pouvoir adjudicateur aurait dû allotir le marché.

Le Conseil d’Etat annule la décision, en effet, la Haute juridiction administrative rappelle l’article 10 alinéa 2 du code des marchés publics qui dispose que « le pouvoir adjudicateur peut toutefois passer un marché global, avec ou sans identification de prestations distinctes, s’il estime que la dévolution en lots séparés est de nature, dans le cas particulier, à restreindre la concurrence, ou qu’elle risque de rendre techniquement difficile ou financièrement coûteuse l’exécution des prestations ou encore qu’il n’est pas en mesure d’assurer par lui-même les missions d’organisation, de pilotage et de coordination. » A cet égard, il appartient au juge administratif de « déterminer si l’analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu’il fournit sont, eu égard à la marge d’appréciation qui lui est reconnue pour estimer que la dévolution en lots séparés, présente l’un des inconvénients mentionnés à l’article 10 du code des marchés publics entachées d’appréciations erronées ». En l’espèce, le pouvoir adjudicateur justifiait son recours au marché global dans la mesure où ce dernier craignait les conflits récurrents qui opposent les gestionnaires de kiosques et les kiosquiers. Ce à quoi le tribunal administratif répond que ce risque était inhérent à la nature de l’activité et ne peut donc constituer un motif pour valable pour échapper à l’allotissement du marché.

Le Conseil d’Etat ne valide pas ce raisonnement et offre à la ville de Paris la possibilité de conclure un marché global au motif que « la mise en œuvre par deux opérateurs distincts des logiques propres à la gestion des ouvrages, à l’exploitation des espaces publicitaires et à la vente de journaux était de nature à entraîner une multiplication des conflits et à rendre ainsi l’exécution de deux contrats techniquement difficile et coûteuse ».

Au-delà des critiques générales sur le recours aux marchés globaux, il vient de noter la confirmation par le Conseil d’Etat du pouvoir juge administratif dont les règles du contrôle sont précises.

Source : AJDA, n°23, 6 juillet 2015, Contrat : recours à un marché global : office du juge par Diane Poupeau

• Une mission confiée au titre d’un contrat de partenariat doit nécessairement avoir un caractère global 

Conseil d’Etat, 29 avril 2015, Société Urbaser Environnement, n°386748 

Un syndicat de valorisation des déchets a lancé une procédure de dialogue compétitif afin de conclure un contrat de partenariat ayant pour objet la conception, la construction, le financement partiel, la mise en service et une partie de l’entretien et de la maintenance d’une plate-forme environnementale de traitement des déchets ménagers. Cette procédure a été annulée par le tribunal administratif de Basse-Terre.

Le Conseil d’Etat affirme cette décision par la réponse suivante « les stipulations du règlement de consultation prévoyaient, d’une part, que la tranche ferme du contrat comportait seulement des prestations d’études alors que la tranche conditionnelle comportait une prestation globale relative aux études, à la construction, à la mise en service ainsi qu’à l’entretien et à la maintenance des installations et, d’autre part, que l’affermissement de la tranche conditionnelle était subordonné à une décision du syndicat, celui-ci étant par suite engagé par les seules prestations prévues par la tranche ferme du contrat ; que ce faisant, il n’a pas inexactement qualifié les pièces du dossier en jugeant que le contrat, dont la tranche ferme était ainsi limitée aux seules études de conception, ne confiait pas une mission globale ». Ici, ce n’est pas tant le principe de la division qui est contesté mais ses modalités. En effet, comme le précise l’arrêt, la tranche ferme du contrat ne porte que sur des prestations d’études alors que la tranche conditionnelle porte sur une prestation globale relative à la construction, mise en service, l’entretien et la maintenance de l’opération. Par conséquent, le contrat de partenariat était susceptible de ne porter que sur une prestation d’études ce qui contrevient à l’article L.1414-1 du code général des collectivités territoriales disposant que le contrat de partenariat est un contrat ayant pour objet de confier à un tiers une mission globale. C’est justement ce caractère global qui justifie, souvent, le recours à ce type de contrats dans la mesure où c’est l’outil juridique grâce auquel le pouvoir adjudicateur va pouvoir confier l’ensemble d’une mission à un seul prestataire allant ainsi contre l’obligation faite dans les marchés publics de devoir allotir.

Source : Revue contrats et marchés publics, n°6, juin 2015, Chronique de jurisprudences en matière de contrats de partenariat par Marion Ubaud-Bergeron 

• La responsabilité du maître d’ouvrage délégué peut être engagée si ce dernier ne s’acquitte pas correctement de sa mission 

Conseil d’Etat, 23 mars 2015, Syndicat mixte pour le traitement des résidus urbains, n°356790 

Afin de pouvoir engager la responsabilité la responsabilité du maître d’ouvrage délégué, il appartient au requérant d’apporter la preuve que les conditions de cette responsabilité sont réunies.

En effet, le Conseil d’Etat rappelle que la responsabilité du maître d’ouvrage délégué peut être engagée si ce dernier d’une part ne s’acquitte pas correctement de sa mission définie par la convention de mandat jusqu’à la réception de l’ouvrage en ce qui concerne les missions qui lui ont été conférées relatives à la création de cet ouvrage. D’autre part, cette responsabilité peut également être engagée après la réception, si ses obligations relatives à l’établissement du décompte général n’ont pas été acquittées et notamment si ce dernier ne s’assure pas que le document « n’est pas entaché d’erreurs ou d’omissions qui ne devraient pas échapper à un professionnel ».

Toutefois, en l’espèce, dans la mesure où le maître d’ouvrage délégué n’a fait état d’aucune erreur, omission ou d’absence de diligence, sa responsabilité ne peut être retenue.

Reconnaître le principe de responsabilité pour le maître d’ouvrage délégué, et en l’espèce jugé qu’elle n’a pas à être retenue, est valorisant pour une fonction difficile et complexe.

La maîtrise d’ouvrage délégué fait souvent l’objet de critiques violentes de l’ensemble des acteurs de la construction.

Quelles sont-elles ? Incompétence, manque de réalisme, autoritarisme démesuré !

Pour avoir une maîtrise d’ouvrage publique forte, il faut une maîtrise d’ouvrage déléguée forte. Ce qui signifie : compétentes, réalisme, autorité raisonnable et sensible.

Le mandat doit décrire d’une manière exhaustive les fonctions de la maîtrise d’ouvrage qui sont déléguées.

Le rôle de l’avocat pour élaborer ces contrats spécifiques pour tisser le lien entre les parties est précieux. Il est en fait l’assistant à maîtrise d’ouvrage juridique pour contracter, dans les meilleures conditions d’équilibre possible, avec l’autre.

Source : Revue contrats et marchés publics, n°6, juin 2015, Commentaires de jurisprudence par Hélène Hoepffner

• Une clause de résiliation anticipée peut déployer tous ses effets à l’égard de la personne publique à certaines conditions

Cour administrative d’appel de Nancy, 2 avril 2015, Société Grenke Location, N°14NC01885 

La cour administrative d’appel permet, par cet arrêt, d’observer un cas dans lequel les conditions de la mise en œuvre d’une clause de résiliation par le co contractant de la personne publique sont réunies.

En l’espèce, une société et la commune de Neuville-Saint-Rémy ont conclu en 2006 un contrat par lequel la société s’engageait à acheter un photocopieur destiné à être mis à la disposition de la commune moyennant un loyer trimestriel. Toutefois, la commune débitrice ne s’acquittant pas de ses obligations contractuelles, la société bailleresse a souhaité mettre fin à cet engagement en vertu de l’article 13 des clauses générales annexées au contrat selon lequel le bailleur peut procéder à une résiliation anticipée du contrat de location sans respecter de préavis lorsque le locataire est en retard de paiement de trois loyers mensuels ou d’un loyer trimestriel. La société souhaite également se prévaloir de l’article 15 en vertu duquel « en cas de résiliation anticipée à l’initiative du bailleur pour une cause prévue au contrat, le bailleur aura droit à une indemnité égale à tous les loyers à échoir jusqu’au terme initial du contrat ».

Le tribunal administratif de Strasbourg rejette la demande. Toutefois, la cour administrative d’appel de Nancy a estimé que la société était en droit de demander les loyers correspondant aux trimestres qui n’ont pas été réglés tout en considérant que l’article 13, permettant la résiliation anticipée, était contraire au principe de continuité du service publique et que par conséquence, la société devait poursuivre l’exécution du contrat.

Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour administrative d’appel le 29 septembre 2014 laissant alors le soin à la cour administrative d’appel de rectifier sa décision. Cette dernière va alors rappeler que quand bien même le cocontractant d’une personne publique ne peut pas se prévaloir des manquements de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations, les parties peuvent prévoir dans le contrat, si ce dernier n’a pas pour objet l’exécution même d’un service public, une résiliation anticipée en cas de méconnaissance de la personne publique de ces obligations contractuelles. Une telle clause étant présente dans le contrat en l’espèce, la cour administrative d’appel va vérifier que toutes les conditions sont réunies.

Tout d’abord, le contrat n’a pas pour objet l’exécution même d’un service public la commune n’établissant pas en quoi un photocopieur est indispensable au fonctionnement d’un service public. En outre, dans la mesure où la commune a été mise en demeure d’invoquer un motif d’intérêt général pour s’opposer à la rupture ders relations contractuelles et que cette dernière s’est abstenu de le faire, la résiliation du contrat peut être prononcée.

La clause de résiliation, « peur ou même pas peur » ? Les deux à la fois et l’avocat sait que cette clause est une des plus importantes du contrat. Sanctionnera celui qui, par sa faute, provoque la résiliation est légitime. Mais vouloir le sanctionner sans discernement est abusif. Faire état d’un préjudice réel notamment en matière commerciale est légitime. Encore faut-il ne pas vouloir faire peser la cause d’un dommage sur les acteurs totalement étrangers au dommage.

Un conseil, faire analyser cette clause par son avocat préféré.

Source : Revue contrats et marchés publics, n°6, juin 2015, Chronique de jurisprudences en matière de marchés publics par Jean-Paul Pietri 

• Des ouvrages non amortispendant la durée d’une concession de travaux peuvent faire l’objet d’une indemnisation par anticipation à l’égard du concessionnaire 

Conseil d’Etat, 13 février 2015, Communauté d’agglomération d’Epinal, n°373645

En l’espèce, un contrat de concession de travaux a été conclu entre la communauté d’agglomération d’Epinal et une société. Ce contrat prévoyait le financement, la conception, la construction et l’exploitation d’un réseau de communication électronique. Dans ce contrat, les parties ont prévu une compensation par anticipation de la valeur des investissements qui ne seraient pas amortis au terme de la concession. Cette situation était inévitable dans la mesure où, au regard des faits, la durée de la concession était inférieure à celle nécessaire à l’amortissement normal des ouvrages.

La cour administrative d’appel de Nancy a annulé le contrat au motif que le paiement anticipé du prix des ouvrages non amortis en fin de convention apportait au concessionnaire un avantage économique qu’il n’aurait pas dû recevoir dans des conditions normales.

Le Conseil d’Etat infirme cette décision en estimant que « lorsque la durée du contrat est inférieure à la durée normale d’amortissement de l’ouvrage, le cocontractant a le droit d’être indemnisé de la valeur non amortie de cet ouvrage au terme du contrat, et donc à hauteur de sa valeur nette comptable ; aucun texte ni aucun principe n’interdit aux cocontractants de prévoir que cette indemnité soit versée avant le terme du contrat, y compris au début de son exécution, dès lors qu’elle correspond à cette valeur nette comptable des biens remis ».

Ainsi, par cet arrêt, le Conseil d’Etat revient sur le principe en vertu duquel la durée du contrat doit permettre au concessionnaire d’amortir complètement ses investissements, de telle manière que la remise des biens intervient à titre gratuit à l’échéance du contrat. En effet, il est clair que les parties peuvent choisir de contourner le principe de la gratuité des biens de retour en accordant une durée d’exécution inférieure à celle permettant d’amortir économiquement les biens. En outre, et c’est là tout l’intérêt de l’arrêt, un versement anticipé du prix de l’ouvrage non amorti sur la durée du contrat peut avoir lieu, même au début de l’exécution du contrat.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Jurisprudence commentée : indemnisation par anticipation du prix des ouvrages non amortis sur la durée d’une concession par Jean-Eudes Martin-Lavigne 

• Les precisions du Conseil d’Etat concernant des vices affectant une procedure de passation d’un marché public

Conseil d’Etat, 3 décembre 2014, Société Bancel, n°366153

En l’espèce, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EPHAD) lance une procédure d’appel d’offres pour la conclusion d’un marché public portant sur la construction d’une maison de retraite. Un candidat évincé saisit le juge administratif au motif que le pouvoir adjudicateur n’aurait pas respecté le délai de standstill qui impose une suspension de la signature du contrat avec l’attributaire après la notification du rejet de leur offre aux candidats évincés. Le tribunal administratif indemnise le candidat évincé au regard des frais engagés en vue de présenter son offre, mais ne prononce pas l’annulation du marché. La Cour administrative d’appel statuant dans le même sens, le requérant s’en remet alors au Conseil d’Etat.

Ce dernier, dans un arrêt du 3 décembre 2014, précise plusieurs points relatifs aux marchés publics.

– Tout d’abord, le requérant argue du fait que dans la mesure où l’offre de la société évincée –à l’instar de toutes celles ayant proposées une offre- a reçu une note pour chacun des trois sous-critères du critère de la valeur technique, ce procédé doit s’analyser comme étant une simple appréciation du nombre de documents produits et par conséquent, d’une absence d’analyse de valeur technique des offres. Toutefois, le Conseil d’Etat considère que le fait que l’offre d’un candidat soit notée, au regard de chaque critère et sous-critère, par le pouvoir adjudicateur permet de considérer que ce dernier a analysé la valeur technique de cette offre.

– Le Conseil d’Etat annule l’arrêt de la cour administrative d’appel en ce qu’il accordait une indemnité à la société évincée dans la mesure où cette dernière était dépourvue de toute chance d’obtenir le marché. Par cette décision, le Conseil d’Etat rappel alors qu’un candidat évincé d’une procédure de passation des marché peut demander l’indemnisation des frais exposés. Deux conditions doivent toutefois être respectées ; l’éviction du candidat est irrégulière et s’il n’avait pas été évincé irrégulièrement, il n’était pas dépourvu de chance d’obtenir le marché public. En l’espèce, comme relevé précédemment, l’éviction ne peut être regardée comme étant irrégulière sachant que le pouvoir adjudicateur a analysé de façon légale l’offre du candidat évincé.

– Quant à l’absence de publicité des délais et voies de recours contre la procédure de passation dans l’avis d’appel public à la concurrence et au non respect du délai d’attente entre la notification du rejet de leur offre aux entreprises évincées et la signature du contrat avec l’attributaire, le Conseil d’Etat va juger que ces deux obligations ne visent « qu’à permettre aux candidats évincés de saisir utilement le juge du référé pré contractuel et que ces vices n’affectent pas la validité du recours et ne sauraient justifier son annulation ou sa résiliation ». Ainsi, ces fautes du pouvoir adjudicateur ne sont pas constitutives de violation des principes d’égalité de traitement, de mise en concurrence, de publicité et de transparence.

– Enfin le Conseil d’Etat affirme le raisonnement de la cour administrative d’appel en ce qu’il « a estimé que la nécessité de poursuivre les travaux, objet du marché litigieux, afin de permettre l’accueil des personnes âgées dépendantes dans un nouveau bâtiment, justifiait la poursuite de l’exécution du contrat ». Toutefois, il convient de rappeler que la poursuite des relations contractuelles ne relève pas de l’office du juge du référé précontractuel –saisi en l’espèce avant que le Conseil d’Etat ne se prononce-. Ainsi, il apparaît curieux que le Conseil d’Etat valide le raisonnement d’un juge qui est allé au-delà de ses compétences. Ainsi, le débat relatif à l’office du juge concernant la procédure de passation d’un contrat administratif et notamment sur l’opportunité de prolonger l’exécution contractuelle demeure.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Jurisprudence commentée ; le recours en contestation de validité d’un marché public et les vices affectant sa procédure de passation, par Jean-Baptiste Villa

• L’encadrement juridique de la négociation dans les procedures adaptées 

Les marchés publics à procédure adaptée (que l’on retrouve aux articles 27 et 28 du code des marchés publics) sont des marchés dont les modalités sont librement définies par le pouvoir adjudicateur notamment concernant la négociation.

La particularité de la procédure adaptée tient à ce que d’une part, le pouvoir adjudicateur peut décider de négocier avec certains candidats sans devoir engager une procédure de négociation avec tous les candidats sans que cela puisse porter atteinte à leur égalité de traitement . D’autre part, le pouvoir adjudicateur dispose de la faculté de négocier avec des candidats dont l’offre est inappropriée, irrégulière, ou inacceptable. Toutefois, les offres qui n’ont pas été régularisées et qui conservent ainsi leur caractère inappropriée, inacceptable ou irrégulier à l’issue de la procédure doivent être rejetées . A défaut, la voie du référé pré-contractuel s’ouvre aux candidats lésés comme cela a été le cas dans un arrêt du Conseil d’Etat en date du 11 avril 2012 Syndicat Ody 12 New line Lloyd’s de Londres .

En outre, en vertu d’un arrêt du Conseil d’Etat du 30 novembre 2011 Ministre de la Défense , le pouvoir adjudicateur peut négocier sur tous les éléments de l’offre, y compris le prix.

Quand bien même la personne publique dispose d’une assez grande marge de manœuvre dans le cadre des procédures adaptées, il n’en demeure pas moins que cette procédure doit respecter les grands principes régissant la commande publique à savoir ; l’égalité, le libre accès à la commande publique, la transparence dans la procédure et l’égalité de traitement des candidats (notamment maintenir un même niveau d’information entre les candidats au cours de la négociation).

La jurisprudence ajoute également que le pouvoir adjudicateur doit indiquer dans les documents de la consultation qu’il entend recourir à la procédure du marché adapté , position confirmée par le ministre de l’Economie et des finances à l’occasion d’une question ministérielle en date du 21 août 2014.

Enfin la liberté laissée aux acheteurs publics ne dispense pas ces derniers d’une part de respecter le secret industriel et commercial ainsi que la liste des candidats avant la remise finale des offres. A défaut, le pouvoir adjudicateur sera sanctionné par la nullité du contrat. D’autre part, le pouvoir adjudicateur ne peut modifier les critères de sélection ayant été portés à la connaissance des candidats.

Source : La gazette des communes, des départements et des régions, n°730/2280, La négociation dans les procédures adaptées par Arnaud Paturat 

• La responsabilité du maître d’ouvrage public dans l’exécution de ses obligations contractuelles 

A titre liminaire, il convient de rappeler la portée de l’arrêt du Conseil d’Etat du 5 juin 2013 Région Haute Normandie afin de pouvoir aborder la question relative à la responsabilité du maître d’ouvrage public dans l’exécution de ses obligations contractuelles, cet arrêt étant le pivot de notre étude. Le Conseil d’Etat a ainsi jugé que « les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique » et que par conséquent, la responsabilité de la région Haute Normandie ne saurait être retenue du seul fait de fautes commises par les autres intervenants à l’opération de restructuration d’un lycée.

Tout d’abord, il convient de rappeler un principe essentiel qui règne sur le droit des contrats ; le débiteur d’une obligation est personnellement tenu de sa réalisation, y compris lorsqu’il en confie volontairement l’exécution à un tiers, ce que l’on nomme « la responsabilité contractuelle du fait d’autrui ». Cette dernière ne fait l’objet d’aucune disposition législative mais son application ne fait aucun doute la Cour de cassation en consacrant souvent la portée. Le droit administratif des contrats ne s’éloigne pas de ce principe puisqu’il repose également sur le respect de la force obligatoire du contrat. En effet, autant pour le juge judiciaire que pour le juge administratif , « le contrat est la loi des parties ».

Si on applique ce raisonnement au droit de la construction, il en ressort que le maître d’ouvrage est contractuellement responsable de ses propres fautes et des faits des tiers qu’il a volontairement introduit dans le rapport d’obligation. De ce fait, le maître de l’ouvrage doit permettre à son co contractant d’exécuter son obligation dans les conditions contractuellement prévues et si cela n’est pas le cas, ce dernier engagerait sa responsabilité.

Toutefois, comme il a été précisé dans l’arrêt du 5 juin 2013, en matière de marchés à caractère forfaitaire, et en l’absence de bouleversement économique du contrat, seule la responsabilité contractuelle pour faute du maître d’ouvrage public pourra être engagée. Ainsi, les fautes commises par un autre intervenant ne suffisent pas, à elle seules, à engager la responsabilité de la personne publique. Le Conseil d’Etat ne remet pas en cause le principe énoncé ci-dessus, il l’adapte seulement aux marchés au forfait. Ainsi, dans le cas où une entreprise titulaire du marché souhaiterait se prévaloir d’un préjudice, il lui appartiendra de démontrer que c’est le fait des autres intervenants qui est la cause de l’inexécution ou de la mauvaise exécution de l’obligation contractuelle du maître d’ouvrage. A titre d’exemple, certains arrêts ont condamné le maître d’ouvrage public lorsque la mauvaise inexécution ou l’inexécution contractuelle a été constatée en raison d’erreurs entachant les pièces contractuelles ou en raison de retards du maître d’ouvrage dans l’organisation d’une campagne de sondage et de dépollution. Il en ressort que le fait du tiers doit avoir un lien avec la mauvaise exécution ou l’inexécution de l’obligation contractuelle du maître d’ouvrage public.

Toutefois, dans un arrêt récent du 3 mars 2015 de la cour administrative de Paris , cette dernière a estimé, à tort, que les maîtres d’ouvrages publics sont totalement exonérés de leur responsabilité dès lors qu’un tiers fautif est intervenu dans l’opération. Il apparaît qu’un courant de jurisprudence dissident est en train de se former dans la mesure où la cour administrative d’appel n’a pas été la seule à statuer en ce sens . Une telle solution ne peut se comprendre car il serait illogique de conférer à un maître d’ouvrage public qui a confié l’exécution de son obligation contractuelle à un tiers une situation confortable qui est celle de l’exonération de responsabilité. En effet, cela pourrait être qualifié comme étant une atteinte à la force obligatoire des contrats, le maître d’ouvrage public étant le seul garant de l’exécution des obligations contractuelles.

Ceci étant dit, il convient de préciser que pour engager la responsabilité du maître d’ouvrage public, il appartient au requérant d’apporter la preuve de la réunion des trois conditions de la responsabilité contractuelle à savoir une faute (identifier l’obligation contractuelle du maître d’ouvrage public qui n’aurait pas été exécutée ou qui aurait été mal exécutée par le maître d’ouvrage lui-même ou par un tiers à qui il en a confié l’exécution), un dommage et un lien de causalité.

Source : Revue contrats et marchés publics, n°6, juin 2015, La responsabilité des maîtres d’ouvrages publics dans l’exécutions de leurs obligations contractuelles : où en est-on ? par le Comité juridique de la FNTP présidé par Yves Gaudemet

• La maîtrise d’ouvrage concernant des travaux d’extension du réseau public d’électricité

Tribunal administratif de Basse-Terre, 19 février 2015, Société Jim, n°1301643

En l’espèce, la société JIM a fait édifier un ensemble immobilier à usage de bureaux. Cette dernière a, par la suite, fait exécuter par une société tierce des travaux d’extension du réseau public d’électricité. Elle a ensuite demandé au syndicat mixte d’électricité de la Guadeloupe –autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité en Guadeloupe- le raccordement de son immeuble. Le syndicat ayant implicitement refusé la demande la société, cette dernière saisit le tribunal administratif de Basse-Terre afin que ce refus soit annulé.

Le tribunal administratif de Basse-Terre refuse de faire droit à la demande de la société JIM dans la mesure où les travaux d’extension du réseau public d’électricité nécessaires pour assurer le raccordement d’un usager relèvent exclusivement de la compétence soit de l’autorité organisatrice du réseau public d’électricité soit de son concessionnaire. Il en découle que l’usager du service public d’électricité ne peut se substituer à ces derniers pour faire réaliser des travaux d’extension du réseau que nécessite son raccordement. De ce fait, les travaux litigieux ayant été réalisés sans l’assentiment et sans le contrôle et la direction organisatrice du réseau public ou de son concessionnaire, le syndicat mixte d’électricité de la Guadeloupe était en droit de refuser le raccordement. Ainsi, l’autorité organisation du réseau public d’électricité et son concessionnaire apparaissent comme étant les seuls à pouvoir assurer la maîtrise d’ouvrage de travaux sur le réseau public de distribution d’électricité.

DROIT ADMINISTRATIF 

• La méthode du Conseil d’Etat pour apprécier l’intérêt à agir du requérant

Conseil d’Etat, 10 juin 2015, n°386121

Cet arrêt permet au Conseil d’Etat de statuer pour la première fois sur la recevabilité d’une requête au regard du nouvel article L.600-1-2 du code de l’urbanisme introduit par l’ordonnance du 18 juillet 2013 visant à lutter contre les recours malveillants et fluidifier le traitement des contentieux.

En l’espèce, des propriétaires d’une maison d’habitation conteste la délivrance d’un permis de construire à une société souhaitant implanter une station de conversion électrique d’une capacité de 1000 mégawatts à 700 mètres. Les demandeurs saisissent le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’une demande de suspension de l’arrêté préfectoral autorisant la construction. Leur requête ayant été rejetée, ces derniers se pourvoient en cassation.

Le Conseil d’Etat va délivrer sa méthode afin d’apprécier l’intérêt à agir du requérant. Ce raisonnement se divise en 3 étapes ;
– Tout d’abord, « il appartient à tout requérant de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien »
– Le défendeur quant à lui doit « apporter tous les éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité »
– Enfin le juge est tenu de « former sa conviction sur la recevabilité de la requête au vu des éléments versés au dossier par les parties en écartant les allégations qu’il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l’auteur du recours qu’il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu’il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci »

Le Conseil d’Etat va appliquer cette grille de lecture et va juger que quand bien même la propriété des demandeurs se situent à 700 mètres du projet, cela ne suffit pas à caractériser une atteinte directe aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance des biens des requérants. Toutefois, les nuisances sonores dont pourraient être victime les requérants sont, quant à elles, considérées comme pouvant justifier l’intérêt à agir des requérants.

Encore une méthode remarquable, sans faille, qui a reçu l’approbation chaleureuse d’une grande partie de la doctrine et surtout des acteurs, réclamant pour pouvoir aménager et construire les moyens de réduire au maximum les recours.

Une seule question pertinente posée par ces acteurs qui ont regretté que l’intérêt à agir ait été reconnu aux requérants : quel est le pouvoir du juge ? La réponse est simple c’est « non intime conviction ». Il en découle que par cette décision, le Conseil d’Etat a renforcé le pouvoir du juge.

Cela signifie que les avocats, devant les juridictions administratives, devront, de plus fort, plaider, dans un véritable corps à corps, le bien fondé du recours de leur client et non pas s’en remettre à leurs écritures. C’est plutôt une bonne nouvelle !

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, L’examen de la réalité de l’intérêt pour agir en matière d’urbanisme par Rémi Grand

• Les conséquences d’un recours administratif préalable obligatoire sur les délais de recours contentieux

Conseil d’Etat, 11 février 2015, SA Aubert France, n°373673

En l’espèce, par une décision du 23 septembre 2013, la commission départementale d’aménagement commercial de l’Essonne autorise une société à créer un ensemble commercial de 2 222 m². La SA Aubert exerce un recours administratif préalable obligatoire auprès de la commission nationale d’aménagement commercial qui se solde par une décision implicite de refus. Toutefois, le 23 mars 2011, la commission nationale décide de retirer la décision implicite de refus et par conséquent rejette la demande d’autorisation. La société porteuse du projet saisit alors la section contentieux du Conseil d’Etat qui annule la décision du 23 mars 2011 ce qui a pour conséquence de maintenir les effets de la décision par la quelle la commission nationale d’aménagement refuse implicitement le recours de la SA Aubert. Toutefois, cette dernière saisit le juge de l’excès de pouvoir en estimant que l’autorisation implicite du 23 mars 2011 est devenue définitive.

A cet égard, l’article R.421-3 du code de justice administrative prévoyant que le délai de recours contentieux de deux mois n’est pas opposable aux décisions implicites si « la mesure sollicitée est prise par une décision des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ». La commission nationale d’aménagement étant l’une d’entre elles, le délai de deux mois ne peut s’appliquer.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Aménagement commercial : conséquence d’un recours administratif préalable obligatoire

• L’incidence d’un recours hiérarchique sur la légalité de la décision initiale

Conseil d’Etat, 11 février 2015, Centre hospitalier d’Auch, n°369110

Par cet arrêt, le Conseil d’Etat réaffirme une jurisprudence constante et permet de pouvoir constater les effets d’un recours hiérarchique sur la légalité de la décision initiale.

En l’espèce, la requérante a effectué un stage probatoire afin de pouvoir intégrer le corps des aides soignants au centre hospitalier d’Auch. Toutefois, par une décision du 25 mars 2011, le directeur des ressources humaines signifie à la requérante que son stage prend fin au motif que cette dernière n’aurait pas les compétences nécessaires afin d’exercer les fonctions d’aide-soignante. La requérante exerce alors un recours hiérarchique auprès du directeur du centre hospitalier, ce dernier maintenant la décision d’interruption du stage. La requérante saisit alors le tribunal administratif de Pau qui annule pour excès de pouvoir la première décision émanant du directeur des ressources humaines en arguant du fait que ce dernier ne disposait pas d’une délégation de signature régulière afin de pouvoir mettre fin à son stage probatoire.

Le Conseil d’Etat va alors se pencher sur le devenir de la première décision prise illégalement. Il va préciser à cet égard que, lorsqu’une décision administrative prise illégalement donne lieu à un recours administratif et que la décision qui naît de ce recours est légale, la décision administrative initiale ne devient pas légale pour autant. Ainsi, le Conseil d’Etat approuve le raisonnement du Tribunal administratif de Pau annulant la première décision.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Chronique de jurisprudence du Conseil d’Etat, par Jean Lessis et Louis Dutheillet de Lamothe

DROIT DE L’ARCHITECTURE ET DE L’URBAIN 

• Les troubles anormaux du voisinage en droit public

« Nul ne doit causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage », la célèbre formule reprise systématiquement par la Cour de cassation à l’occasion de litiges concernant les troubles anormaux du voisinage s’applique également en présence de dommages causés aux voisins d’un ouvrage public. En effet, ces derniers peuvent rechercher la responsabilité de la personne publique propriétaire ou gestionnaire de l’ouvrage. Toutefois, il convient d’énoncer quelques différences avec le droit privé.

 Qui peut entreprendre une telle action ?
A l’instar du droit privé, seule une personne ayant la qualité de voisin peut engager une action sur le fondement de la théorie des troubles du voisinage. Il s’agit d’un tiers qui, d’une part, n’a aucun lien contractuel avec le constructeur et d’autre part, qui n’a aucun lien direct avec l’ouvrage public. Ainsi, le tiers, pour être qualifié de voisin ne doit pas être considéré comme un usager.
En outre, tout comme devant le juge judiciaire, seuls sont autorisés à agir les personnes disposant d’un droit réel sur l’ouvrage avoisinant. Par conséquent, un locataire ne pourra, par exemple, solliciter la réparation d’une dépréciation de l’immeuble donné à bail. Quant au titulaire d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, ce dernier est tenu de supporter, sans indemnités, les nuisances causées par les ouvrages constitutifs de l’intérêt du domaine.

 Le dommage doit être spécial et anormal
C’est ici que réside la principale différente avec les troubles anormaux du voisinage tels qu’ils sont perçus par le juge judiciaire. La théorie du trouble anormal et spécial étant spécifique à la recherche de responsabilité d’une personne publique, il convient de s’y intéresser tout particulièrement.
– Dans un premier temps, le dommage ne peut être indemnisé que s’il touche la victime à titre particulier ou ne concerne qu’un nombre réduit d’individus (les atteintes portées à l’environnement étant exclues ces dernières pouvant affecter une population importante)
– Dans un second temps, en ce qui concerne le dommage anormal, ce dernier se traduit par le fait que « l’existence ou le fonctionnement de l’ouvrage soit à l’origine des nuisances qui excèdent les inconvénients normaux du voisinage » (nuisances sonores, olfactives, bruits, poussières). Toutefois, l’indemnisation n’est pas due chaque fois qu’une nuisance est constatée (par exemple, pour des nuisances sonores qui n’excèdent pas un certain seuil ).

 La prise en compte du principe d’intangibilité
Alors qu’en droit privé les troubles anormaux du voisinage peuvent donner lieu à une démolition dans les cas les plus graves, il ne faut pas perdre de vue qu’en droit public il existe le principe d’intangibilité des ouvrages publics en vertu duquel les dommages causés par ces derniers ne peuvent être réparés que par l’octroi d’une indemnité (qui peut correspondre à la diminution de la valeur vénale du bien, de pertes de loyers à condition qu’il s’agisse de dommages définitifs. En cas de dommages réparables, temporaires ou évolutifs, seuls les préjudices actuels ou certains seront indemnisés). Cette théorie empêche donc leur destruction ou leur déplacement . Toutefois ce principe souffre d’une exception selon laquelle la destruction ou le déplacement peuvent être envisagés à condition qu’aucune régularisation ne soit envisageable et que la destruction de l’ouvrage ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général.

 Les causes d’exonération de la personne publique
La personne publique n’aura pas à indemniser le voisin-victime si ce dernier a acquis son bien immobilier postérieurement à la construction de l’ouvrage ou quand bien même c’est le cas, le dommage était prévisible (voisin qui acquiert sa propriété après que la déclaration d’utilité publique des travaux de construction d’une autoroute).
Enfin, on retrouve les cas classiques d’exonération à savoir la faute de la victime, la cause étrangère et la force majeure (qui est rarement admise par les juges).

La confusion qui règne dans l’esprit des citoyens n’est que la reproduction de la confusion du droit qui jongle à travers des contradictions et des cloisonnements.

La question récurrente posée à l’avocat est celle de l’envie de démolir la construction voisine ou de la crainte de voir sa propre construction détruite. C’est à l’avocat d’aider à trouver une solution en analysant les raisons réelles des haines de voisinage et en tentant, dans la mesure du possible une médiation.

La question de l’intelligibilité d’un bâtiment est délicate car elle traverse des champs de droit qui ne la traite pas de la même manière.

Connaître le terrain, c’est-à-dire se déplacer physiquement est presque toujours indispensable, car au-delà du droit et inspirant le droit, il y a l’atmosphère et les « génies des lieux » qui parfois les hantent, qui parfois les enchantent.

Source : La gazette des communes, des départements et des régions, n°26/2276, semaine du 29 juin au 5 juillet 2015, Indemniser les voisins d’un ouvrage public par Sophie Banel, Eve-Line Bernardi et Clément Capdebos

• Les différents moyens de valoriser le domaine public

En raison des difficultés financières des collectivités territoriales, ces dernières doivent trouver le moyen de valoriser leur domaine public. A cette fin, il existe plusieurs moyens devant être identifiés, ces derniers ne répondant pas aux mêmes conditions de mise en œuvre et aux mêmes objectifs.

• Valoriser le domaine public en cédant un bien
Quand bien même le bien aura été cédé, la collectivité peut garder une certaine emprise sur ce dernier. En effet, d’une part la collectivité territoriale, lors de la vente, peut contraindre l’acquéreur à réaliser sur le terrain un équipement qui répondrait aux besoins de la commune (logements ou espaces culturels). En outre, certains équipements réalisés par l’opérateur pourront être remis en pleine propriété à la collectivité territoriale par le biais d’une vente en l’état future d’achèvement (VEFA).

• Valoriser le domaine public par le biais d’une mise à disposition
o Mise à disposition du domaine public par des autorisations d’occupation non constitutives de droits réels
 Sur le domaine public
Comme son nom l’indique, cette simple mise à disposition domaniale assure à la collectivité territoriale la conservation de ses droits dans la mesure où l’autorisation présente un caractère précaire, révocable et temporaire.
 Sur le domaine privé
Il existe des contrats de location qui valorisent le domaine public en ce qu’ils permettent le paiement d’une redevance ou d’un loyer
 Qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé
Ces autorisations d’occupation non constitutives de droits réels présentent deux inconvénients. En effet, dans un premier temps, certes la loi « Pinel » du 18 juin 2014 a permis qu’un fonds de commerce soit exploité sur le domaine public – à la condition qu’il y ait une clientèle propre- mais il convient de souligner que l’occupation demeure précaire et révocable. Ainsi, la personne publique pourra y mettre un terme à tout moment et pour tout motif d’intérêt général avec une indemnisation de l’occupant (équivalente à la valeur du fonds).
Dans un second temps, il ne faut pas perdre de vue le principe d’inaliénabilité du domaine public qui ne permet pas à l’occupant de bénéficier de droit « solides » sur l’ouvrage (l’empêchant surtout de consentir une sûreté sur le bien, ne permettant pas un trop grand investissement)

o Mise à disposition du domaine public par des autorisations d’occupation constitutives de droits réels
 Sur le domaine public
On retrouve le bail emphytéotique administratif et les autorisations d’occupation constitutives de droits réels qui attribuent à son titulaire un droit réel sur le bien qui est en réalité un droit de propriété temporaire sur le bien (d’une durée maximale de 99 ans pour un BEA et de 70 ans pour une AOTDR).
En ce qui concerne le bail emphytéotique administratif, le preneur à bail pourra avoir la mission de réaliser un équipement qui sera d’une certaine utilité à la collectivité territoriale (logements ou complexes sportifs) sans pour autant être un équipement public . L’avantage du BEA et ce qui justifie son succès est sans aucun doute le fait que d’une part, la personne publique conserve des droits importants sur son bien notamment une maîtrise sur la destination du bien (en imposant ou en interdisant une destination ou un type de construction) et que d’autre part, le BEA, étant un contrat administratif, la personne publique conserve le droit d’y mettre fin à tout moment.
Toutefois, quand bien même le BEA apparaît comme l’outil idéal afin de valoriser le domaine public, son champ d’application doit être respecté. En effet, en vertu de l’article L. 1311-2 du code général des collectivités territoriales ; « Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l’objet d’un bail emphytéotique prévu à l’article L. 451-1 du code rural et de la pêche maritime, en vue de l’accomplissement, pour le compte de la collectivité territoriale, d’une mission de service public ou en vue de la réalisation d’une opération d’intérêt général relevant de sa compétence ». Ainsi, en l’absence de ces critères, la personne publique n’aura pas d’autres choix que de conclure un contrat de droit privé.

 Sur le domaine privé
En plus du BEA et de l’AOTDR, un bail à construction ou un bail emphytéotique de droit commun peuvent également être accordés. Ces derniers ne sont pas autorisés sur le domaine public dans la mesure où ils accordent des libertés non négligeables au preneur quant à la gestion du bien. En effet, quand bien même la collectivité territoriale peut imposer au preneur l’édification d’une construction dans le cadre d’un bail à construction, il faudra qu’elle prenne garde à la conclusion d’un bail emphytéotique de droit commun dans la mesure où elle ne pourra imposer au preneur des obligations attachées à la destination du bien ni imposer des obligations attachées aux caractéristiques des ouvrages concernés. Ces contrats seront alors utilisés dans l’hypothèse où la collectivité territoriale souhaite valoriser des dépendances dont elle n’a plus l’utilité afin de permettre à des opérateurs économiques de développer des activités certes privés mais qui vont bénéficier à la collectivité territoriale en ce qu’elles participent à son développement économique (la création d’un complexe hôtelier par exemple).

La question de la valorisation est dans le droit dominant une question marchande. Tout promoteur ou maître d’ouvrage public sait parfaitement, qu’au-delà des prestations de l’architecte, qu’au-delà même de son droit d’auteur mais souvent avec lui, l’architecte valorise culturellement et socialement un projet urbain et architectural. C’est cette valorisation immatérielle que l’avocat peut mettre en scène et mettre en droit.

Source : Le Moniteur, 10 juillet 2015, n°5824, Collectivités territoriales, comment tirer le meilleur parti de son patrimoine public ? Par Alexandre Vandepoorter

• Eviter le contentieux lié aux bruits du chantier

Les bruits de chantier sont inévitables et ces derniers troublent la tranquillité des riverains à tel point que la jurisprudence en a fait une théorie en vertu de laquelle « nul ne doit causer à autrui des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage », théorie valable aussi bien en droit public qu’en droit privé. Les risques de contentieux sur le fondement des troubles anormaux du voisinage ne doivent pas être occultés par le maître de l’ouvrage ou les constructeurs. En effet, l’allocation de dommages-intérêts est parfois si importante (il a été versé une somme de 500 000 € pour un hôtel de luxe parisien riverain d’un chantier de réhabilitation ) qu’il convient de prendre des mesures préventives afin d’éviter ce type de dédommagement.

La principale difficulté tient à ce qu’aucune norme n’encadre les bruits de chantier. De ce fait, dans la mesure où pour être dédommagé, le voisin victime doit apporter la preuve du caractère anormal du trouble et donc excéder les inconvénients normaux du voisinage, la qualification du trouble étant laissée à l’appréciation souveraine des juges du fond. Leur raisonnement suit la ligne conductrice suivante ;
– Dans un premier temps, les juges du fond s’en tiennent à un postulat inébranlable ; un chantier ne constitue pas en lui-même un trouble anormal du voisinage .
– Ensuite, il faut quantifier le trouble dans son intensité et sa durée
– Enfin, chaque espèce sera différente dans la mesure où nuisances sont appréciées/évaluées en tenant compte de l’environnement du chantier (nature du quartier, activités exercées)
Ainsi, si un trouble anormal est relevé, ce dernier peut être sanctionné au titre de différentes législations (code de la santé publique, code de l’environnement le plus fréquemment la sanction civile).
L’autre conséquence, et non des moindres ; dès lors que le caractère anormal du trouble est relevé, cette condition est suffisante afin d’engager la responsabilité du maître d’ouvrage et des constructeurs s’il est prouvé que c’est précisément l’activité du constructeur qui est à l’origine matérielle du trouble.

En raison des lourdes conséquences liées aux bruits sur le chantier évoqués, il convient d’apporter des solutions préventives. En effet, quand bien même le maître d’ouvrage peut insérer des clauses dans le contrat en vertu desquelles ce dernier pourra fonder son recours en garantie à l’encontre des entreprises, la prévention reste la meilleure solution.

Ainsi, il est recommandé de ;
– Recourir au référé préventif, procédure grâce à laquelle le maître d’ouvrage doit faire constater, par un expert judiciaire, l’état des immeubles voisins avant le commencement effectif des travaux. En la matière, un sapiteur –acousticien- identifiera les méthodes potentiellement nuisibles et proposera des adaptations.
– Le maître d’ouvrage peut également procéder à l’affichage du planning des travaux, et si le chantier se situe à proximité des lieux dits « sensibles », un « protocole bruit » pourra être mis en place afin de définir les seuils de bruit tolérables ainsi que les plages horaires.

A noter que les démarches préventives sont prises en compte par les juges du fond en cas de contentieux. A cet égard, un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 13 mars 2013 en donne une illustration, ce dernier ayant jugé qu’ « il appartient au maître d’ouvrage qui avait la maîtrise du chantier, de s’informer, dans le cadre de l’étude de faisabilité de son projet, des activités de son voisinage et de tout mettre en œuvre pour limiter ses inévitables inconvénients. Sur ce point, il n’est fait aucune mention d’un quelconque contact avec les exploitants de l’hôtel, qui aurait permis au maître d’ouvrage de connaître les dates de fermeture annuelles de l’établissement, et de tenter, dans toute la mesure du possible, de faire procéder aux opérations les plus gênantes au cours de la période de fermeture, ou, à tout le moins, au cours d’une période de moindre activité, ce qu’elle n’allègue même pas avoir fait ». Cette décision, motivée, apparaît comme étant un guide de conduite du maître d’ouvrage dont la responsabilité aura du mal à être engagée si ces préconisations ont été respectées.

Les recherches en cours importantes notamment au C.N.R.S sur la norme, des réflexions nombreuses de la doctrine, professeurs, avocats, notaires, des journalistes du droit immobilier illustrent un chapitre que l’on pourrait nommer « vices et vertues » de la norme.

Pour les bruits de chantier, l’effort normatif porte essentiellement sur les équipements comportant des « silencieux » exceptionnels. Il faut rendre hommage à la haute technologie au service de l’Homme.

Mais le silence n’est pas non plus souhaitable. Il faut, comme en musique, des silences. La question porte en fait sur la qualité des bruits devenue qualité des sons.

Pierre Boulez, Olivier Messian et tous les compositeurs qui ont pris la forge comme métaphore de la ville ou le train comme métaphore du progrès sont porteurs d’un message d’essence poétique que l’avocat doit entonner pour mettre en musique le droit.

Source : Le Moniteur, 3 juillet 2015, n°5824, Bruits de chantier : parer les risques par Aurélie Dauger

• Le versement d’une provision au constructeur dans le cadre de l’annulation d’un contrat de construction de maison individuelle 

Cour de Cassation, 3e civ. 17 juin 215, n°14-14372, Epoux X c/ Société Babeau Sequin

Des époux ont conclu un contrat de construction de maison individuelle, ce dernier ayant été annulé par la cour d’appel de Paris qui, par conséquent, condamne le constructeur à restituer aux propriétaires de la maison les sommes qu’ils avaient versées. Ce dernier assigne alors les époux en désignation d’un expert pour évaluer la valeur de la maison conservée et le versement d’une provision. La cour d’appel accueille leur demande.

En l’espèce la Cour de cassation va se prononcer sur deux points ;

Tout d’abord, les propriétaires de la maison arguent du fait « qu’il incombe aux parties de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur la même cause et qu’elles ne peuvent invoquer dans une instance postérieure un fondement juridique qu’elles s’étaient abstenues de soulever en temps utile » et qu’ainsi, le constructeur qui présente devant la cour d’appel la demande tendant au versement d’une provision viole le principe de l’autorité de la chose jugée. Toutefois, la Cour de cassation rejette ce raisonnement dans la mesure où la cour d’appel ne s’était pas prononcé sur le remboursement éventuel des prestations fournies par le constructeur mais que ce dernier n’invoquait pas un nouveau moyen à l’appui d’une demande, mais formait une nouvelle demande, la cour d’appel en a exactement déduit que les demandes du constructeur étaient recevables ;

Ensuite, les époux estiment que dans la mesure où « la nullité d’un contrat de construction de maison individuelle prononcée en raison de la violation de règles d’ordre public protectrices du maître de l’ouvrage lui ouvre le droit de solliciter la restitution des sommes versées en exécution de celui-ci sans indemnité pour le constructeur », la cour d’appel ne peut les condamner à verser au constructeur une provision au motif que la violation des règles d’ordre public est sans effet sur le droit à paiement des sommes déboursées par le constructeur pour la réalisation de l’ouvrage. La Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel. En effet, cette dernière relève que les époux n’ayant pas sollicité la démolition de la maison, le prononcé de la nullité pour violation des règles d’ordre public est sans effet sur le droit à restitution des sommes déboursées par le constructeur. La Cour de cassation estime alors que le versement de la provision, correspondant au remboursement des sommes exposées lors de la réalisation de l’ouvrage est lié à la remise en état des parties dans la situation antérieure au contrat annulé.

Le secteur de la maison individuelle reste, malgré de grandes difficultés économiques et financières, porteur d’espérance pour les architectes.

Il convient qu’ils soient attentifs à la nature et au contenu des contrats qu’ils souscrivent avec leurs clients et tout particulièrement le particulier.

Les fameux C.M.I (contrat de maisons individuelles) sont très encadrés et impliquent de nombreuses contraintes et responsabilités allant bien au-delà des contrats « classiques » de maîtrise d’œuvre.

La confusion entre les deux types de contrat peut être catastrophique pour un architecte. La présente espèce n’aborde qu’une des faces de l’iceberg.

Source : La Gazette du Palais, 8 et 9 juillet 2015, n°189-190, Panorama de jurisprudence de la Cour de cassation par Catherine Berlaud

• L’allocation de dommages-intérêts fondée sur l’atteinte à la vie privée ne peut se cumuler avec une indemnisation fondée sur une atteinte aux droits moraux et patrimoniaux d’un auteur 

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 13 novembre 2014, Société Com’plus c/ Pascal V R n° 12-20.209

En l’espèce, la Cour de cassation valide le raisonnement de la cour d’appel en ce qu’elle a condamné la société Com’ plus à verser à M. V R la somme de 35 000 € au titre des atteintes portées aux droits moraux et patrimoniaux d’auteur de M. V R. En effet, la dite société a utilisé les œuvres individuelles de l’auteur sous la forme de visuels, brochures, logos ou flyers. En outre, la société défenderesse ne peut invoquer un détournement de clientèle ni une baisse du chiffre d’affaires imputable à des agissements déloyaux commis par l’auteur. La concurrence déloyale ne peut donc être retenue au motif que l’auteur a fait usage de ses propres œuvres.

En revanche, la Cour de cassation censure l’arrêt de la cour d’appel dans la mesure où cette dernière, en plus de la somme de 35 000€, a condamné la société défenderesse à l’octroi d’une somme de 10 000 € au titre du respect de la vie privée de l’article 9 du code civil. La Cour de cassation a alors estimé, sur ce point, que les deux sommes ne peuvent se cumuler nonobstant le principe de réparation intégrale.

La question des demandes de dommages-intérêts nous est posée en permanence. Elle est complexe, car comme l’illustre cette espèce, elle peut porter sur plusieurs terrains du droit : droit de la construction, droit au respect de la vie privée, droit à l’image de l’auteur ou droit à l’honorabilité ou droit d’auteur.

Il faut manipuler ces différents domaines avec doigté et fixer au cas par cas une stratégie pour tenter d’obtenir, bien évidemment, le maximum.

La règle du cumul, comme en l’espèce, peut être sanctionnée par les tribunaux.

Source : Revue internationale de droit d’auteur, avril 2015, n°244, Jurisprudence, page 353 

• Le nouveau projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine 

« Libérer, protéger, partager ». C’est ainsi que Fleur Pellerin résume son projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine présenté ce 8 juillet 2015 au conseil des ministres.

Ce projet de loi prévoit en son article 1er –au sein du titre premier consacré à la liberté de création artistique- que « La création artistique est libre ». Par conséquent, les pouvoirs publics que sont, entre autres, l’Etat, les collectivités territoriales devront apporter leur contribution à la réalisation artistique en créant un environnement juridique, économique et social propice à la création. A titre d’exemple, il est prévu que des zones d’expérimentation dédiées aux architectes soient crées et permettent ainsi à certains de leurs projets de déroger aux règles d’urbanisme en autorisant une majoration du volume de 5%.

En outre, une servitude publique unique verra le jour, la « cité historique » dans laquelle se trouveront les secteurs sauvegardés et les aires de valorisation de l’architecture et du patrimoine. Ainsi, un périmètre donné pourra être classé comme « cité historique » par décision de l’Etat après accord de la commune ou de l’intercommunalité compétente pour l’élaboration des documents d’urbanisme.

Par ailleurs, pour apporter plus de clarté aux règles d’urbanisme, le projet de loi prévoit l’instauration de périmètres délimités qui remplaceraient les « périmètres automatiques » des 500 mètres et ainsi la notion assez casuistique de la « covisibilité ». Les permis de construire qui se situent à proximité des monuments historiques seront instruits en quatre mois au lieu de six actuellement.

Le projet de loi œuvre pour la préservation du patrimoine archéologique en ce qu’il élargit sa définition. Cette préservation se manifeste également par la modification du régime de propriété des biens archéologiques. En effet, sera consacré un statut de biens communs de la Nation ; les biens immobiliers et mobiliers archéologiques auront automatiquement un régime public de propriété.

Enfin, la loi prendra en compte les biens inscrits dans le patrimoine reconnu par l’UNESCO. Effectivement, lorsqu’un bien est reconnu en tant que patrimoine mondial, sa protection ainsi que sa gestion seront pris en compte dans les documents d’urbanisme. Cette initiative permet alors d’assurer sa préservation et sa mise en valeur dans la mesure où une zone « tampon » autour du bien sera instituée afin de prendre en compte l’existence du patrimoine dès lors qu’un projet aura vocation à s’implanter à proximité.

Au-delà de l’exposé fidèle du projet de loi, de nombreuses critiques émanant de tous les corps politiques ont fusé. Ce qui est d’abord souligné c’est la crédibilité de ce projet de loi tant attendu par les architectes.

Au-delà du slogan : « libérer, protéger, partager », il y a des décisions concrètes, celles sur l’archéologie préventive paraissant les plus satisfaisantes.

Mais le grand projet de loi sur la création architecturale fait pschitt ! Tout comme celui de 2000 par une grande loi sur « le cadre de vie ».

La politique modulée de l’architecture s’éparpille. Il reste à espérer que l’Architecture, sans direction et sans but reprenne vie dans un grand ministère ou ailleurs.

Source : Revue AJDA, n°24, 13 juillet 2015, Au fil de la semaine, Protéger le patrimoine culturel et promouvoir la liberté de création par Jean-Marc Pastor 

• Un recours administrative préalable obligatoire tardif rend la demande contentieux irrecevable 

Tribunal administrative de Poitiers, 9 avril 2015, n°1400188 

En l’espèce, le conseil régional de l’Ordre des architectes de Poitou-Charentes a, par décision du 7 avril 2011, radié une architecte du tableau de l’ordre au motif que cette dernière ne remplit plus les conditions légales afin d’exercer la profession (en l’espèce, il s’agissait d’un défaut d’assurance professionnelle). Cette dernière a ensuite vu sa demande de réinscription rejetée les 30 septembre et 9 décembre 2011 en raison d’un défaut de moralité lié à la poursuite de son activité professionnelle postérieurement à sa radiation. L’architecte exerce alors un recours, afin d’obtenir l’annulation de cette décision de décision de radiation, auprès du ministre de la culture qui ne reçoit pas de réponse. Elle forme également une demande tendant à l’annulation des refus de réinscription.

Concernant la première demande, le tribunal administratif relève qu’en l’espèce, la décision prononçant la radiation de l’architecte du tableau de l’ordre lui a été notifiée par lettre recommandée avec avis de réception le 9 avril 2011. Toutefois, le courrier a été retourné à son expéditeur avec la mention « non réclamé ». Il n’en demeure pas moins que, selon les constations des juges du fond, la demanderesse a été avisée de sa mise en instance le 9 avril 2011. Ainsi, le délai de 30 jours à compter de la notification de la décision pour introduire le recours préalable obligatoire auprès du ministre de la culture n’a pas été respecté dans la mesure où le recours a été présenté le 18 juin. De ce fait, la demande tendant à l’annulation de la décision du 7 avril 2011 prononçant la radiation est irrecevable. Ici, le tribunal administratif confirme sa position jurisprudentielle sur les conséquences d’un recours préalable tardif .

En outre, concernant la première demande de réinscription au tableau de l’ordre rejetée le 30 septembre 2011, le tribunal administratif précise que cette dernière n’est pas automatique quand bien même l’architecte défaillante présente une attestation d’assurance.

Concernant la seconde demande de réinscription rejetée le 9 décembre 2011, le Conseil de l’ordre n’a pas commis de faute dans la mesure où la requérant a continué à exercer sa profession après sa radiation notamment par le dépôt de trois permis de construire. Cette dernière manquant alors à son devoir de moralité, non seulement le refus relatif à sa demande de réinscription est validé par le tribunal administratif mais ce dernier rejette également ses conclusion à des fins d’indemnisation.

Mauvais exemple pour une question fondamentale, celle du rapport entre éthique et architecture et déontologie et architecture.

La ligne jaune est un repère pour survivre. Rouler à droit, c’est-à-dire être vraiment droit, c’est aller droit dans le mur. Propos d’architectes à l’oreille d’un ami.

Or la ligne jaune peut être franchie, soit par inadvertance, soit parce que l’on est daltonien, soit par inconscience, soit par insouciance, soit parce que « c’est le seul moyen de gagner ». Le rappel à l’ordre de l’ordre des architectes est salutaire et c’est sa fonction. L’appel iconoclaste à violer les normes et les règles est irresponsable non pas au regard de la pensée dominante mais au regard de la construction d’une société alternative et plus démocratique.

• Des murs qui longent les rues et qui participant à la sécurité de la voie publique appartiennent à la personne publique 

Conseil d’Etat, 15 avril 2015, n°369339

En l’espèce, le maire d’Aix-en-Provence met en demeure la propriétaire d’un terrain de prendre des mesures de restauration en raison de l’état de péril imminent d’un mur qui sépare sa propriété de la voie publique. Cette dernière argue du fait que le mur fait parti du domaine public et que par conséquent, il ne lui appartient pas de procéder aux mesures édictées.

Le tribunal administratif de Marseille a estimé que, dans la mesure où le mur a pour fonction de maintenir les terres de la propriété de la requérante et non de protéger les usagers de la voie publique, ce dernier ne peut être regardé comme faisant parti intégrante du domaine public.

Le Conseil d’Etat n’approuve pas ce raisonnement et va alors juger que le mur litigieux est un accessoire de la voie publique au motif qu’ « un mur situé à l’a plomb d’une voie publique et dont la présence évite la chute de matériaux qui pourraient provenir des fonds qui la surplombent doit être regardée comme un accessoire de la voie publique, même s’il a pour fonction de maintenir les terres des parcelles qui la bordent ». Ainsi, le fait que ce mur soit nécessaire à la sécurité de la circulation suffit à l’intégrer dans le domaine public en vertu du principe selon lequel les personnes publiques sont normalement propriétaires des biens affectés à l’utilité publique.

En outre, le Conseil d’Etat précise également qu’ « en l’absence de titre en attribuant la propriété aux propriétaires des parcelles en bordure desquelles il est édifié ou à des tiers », il convient d’en attribuer la propriété à une personne publique ou à une personne privée en se basant sur son affectation. Ainsi, en l’absence de titre et si le bien est affecté à l’utilité publique, le propriétaire sera, en toute logique, la personne publique. Quand bien même cette jurisprudence n’est pas nouvelle, elle a le mérite de proposer des éléments de réponse quant à la propriété des murs qui longent les rues lorsque ces derniers ont également une utilité privé. Par conséquent, le fait que ces murs participent à la sécurité des voies publiques est une sorte de présomption afin de désigner la personne publique comme en étant la propriétaire. En revanche, si la sécurité des voies publiques n’est pas démontrée, le mur n’appartient pas pour autant à une personne privée, le juge doit se fonder sur d’autres indices pour se prononcer.

C’est avec gourmandise qu’un avocat en architecture découvre une telle décision. Car il s’agit de décisions qui dévoilent la relation entre l’architecture, l’urbain et le droit. Et de quel droit ? Le plus important au regard du code civil : le droit de propriété. Le tracé d’un architecte, urbaniste ou paysagiste est la mèche allumée pour faire sauter le baril de poudre de la propriété.
L’acte architectural et urbain ébranle bien souvent un zonage administratif et aussi les fondements d’une société.

Quelle belle époque ! Quelle belle saison ! Au violon Vivaldi !

Source : AJDA, n°24, 13 juillet 2015, Jurisprudence commentée : la propriété publique des biens affectés à l’intérêt général, une présomption simple mais une présomption tout de même, par Norbert Foulquier. 

URBANISME 

• Précisions concernant le régime juridique des coupes et élagages des arbres en présence de lignes électriques

Il convient, au préalable, de distinguer les cas où les lignes électriques sont implantées dans des propriétés privées et celles qui sont implantées sur les voies publiques.

Concernant les cas où les lignes électriques sont implantées dans des propriétés privées, le régime juridique ne pose pas de difficulté. Ainsi, si l’élagage et l’abatage d’un arbre est rendu nécessaire pour des raisons de sécurité, le gestionnaire du réseau peut y procéder nonobstant le refus des propriétaires. Toutefois, cette possibilité n’entraîne pas le transfert la garde des arbres au gestionnaire. Par conséquent, si la chute d’un arbre endommage les lignes électriques, les propriétaires demeurent responsables sur le fondement de l’article 1384 du Code civil.

Toutefois, lorsque les lignes électriques sont implantées sur la voie publique la difficulté résulte dans le fait que des élagages et des abattages peuvent être nécessaires aussi bien sur la voie publique mais également sur des propriétés riveraines. Cette situation faisant l’objet d’incertitudes juridiques, il convient de distinguer trois hypothèses ;

– Lorsque les arbres sont situés sur les voies publiques, le régime est plutôt clair. Ainsi, dans un premier temps, le gestionnaire de la voie peut demander que l’installation d’une ligne électrique soit compatible avec les plantations existantes tout en pouvant surveiller les élagages. Dans un second temps, lorsqu’une ligne électrique est détériorée par un élagage défectueux, le juge administratif peut condamner la collectivité publique, gardienne de l’arbre (et non le gestionnaire du réseau).

– Lorsque des arbres, situés dans une propriété privée débordent sur la voie publique, l’article L.2212-2-2 du Code général des collectivités territoriales prévoit que le maire peut procéder à l’exécution forcée des travaux d’élagage afin de « garantir la sûreté et la commodité du passage » en cas de carence des propriétaires et à leurs frais (cette disposition ne concernant cependant que les voies communales et ne s’applique pas aux chemins ruraux). Toutefois, cet élagage doit être fait par le maire. Qu’en est-il des gestionnaires de réseaux ? Quand bien même les textes législatifs semblent muets et ne permettent donc pas au gestionnaire de procéder à l’élagage des arbres aux frais des propriétaires, la seule solution est de demander au maire et au préfet d’user de leurs pouvoirs de police spéciale notamment en cas d’urgence extrême lorsque l’arbre menace de tomber sur la voie publique et endommagerait ainsi les lignes électriques.

– A priori, lorsque les arbres sont situés sur les propriétés riveraines, la personne publique ne peut agir. Toutefois, certains arrêtés de voierie imposent aux propriétaires de respecter des distances d’éloignement par rapport à la limite du domaine public afin d’assurer la protection des lignes électriques. Cependant ces arrêtés, créant de véritables servitudes administratives (qui ne peuvent être autorisés que par un texte) sont parfaitement contestables quant à leur légalité. En outre, les dispositions législatives sur ce point ayant été abrogées (notamment l’article L.65-1 du Code des postes et communications électroniques en vertu duquel les propriétaires sont tenus d’élaguer les plantations gênant la construction ou compromettant le fonctionnement des lignes de télécommunication) et la jurisprudence étant très peu fournie, il apparaît que rien ne puisse contraindre les propriétaires à procéder à l’abattage ou l’élagage. Toutefois, il convient de rappeler ce qui a été signalé précédemment ; les propriétaires conservent la garde des arbres et leur responsabilité serait engagée si la chute d’un arbre causerait un dommage aux lignes électriques.

Alors que l’élagage et l’abatage des arbres ne semblent pas poser de difficultés lorsque ces derniers se trouvent sur la voie publique où se trouvent sur un terrain privé mais « débordent » sur le domaine public, le régime juridique concernant les arbres se trouvant exclusivement sur des propriétés privées apparaît incomplet et nécessiterait une clarification législative et jurisprudentielle.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructure, n°6, juin 2015, Lignes électriques implantées sur les voies publiques : quel cadre juridique pour les coupes et élagages d’arbres situés aux abords et notamment dans les propriétés riveraines ? Par Pierre Sabliere

• L’établissement de servitude permettant la réalisation de travaux d’utilité publique

Cour administrative d’appel de Marseille, 27 mars 2015, Société civile du domaine des Bomettes, n°13MA01883

Par un arrêté du 8 décembre 2010, le préfet du Var a déclaré d’utilité publique des travaux de renforcement d’un réseau électrique. Pour faciliter l’exécution de ces travaux, le préfet approuve par la suite, des servitudes d’ancrage, d’appui, de passage, d’élagage et d’abattage d’arbre sur la commune. Toutefois, la société propriétaire des parcelles grevées par les servitudes saisit le tribunal administratif de Toulon aux fins d’annulation de l’acte approuvant les servitudes. Toutefois, le tribunal administratif rejetant la demande, la société interjette appel.

La Cour administrative d’appel de Marseille rappelle dans un premier temps que « le préfet ne peut établir par arrêté les servitudes nécessaires au passage d’une ligne électrique qu’après que la déclaration d’utilité publique du projet de travaux correspondant a été adoptée et rendue opposable aux tiers » en vertu de l’article L.323-5 du code de l’énergie. Ces conditions ont été remplies en l’espèce. En outre, la société ERDF ayant entamé la recherche d’un accord amiable avec la société requérante pour l’utilisation des parcelles durant la période précédant la déclaration d’utilité publique, la société requérante conteste cette pratique. La Cour administrative d’appel écarte ce raisonnement en précisant que les exigences de l’article L.323-5 du code de l’énergie n’interdisent pas au porteur du projet de prendre des initiatives quant à l’établissement des servitudes antérieurement à la déclaration d’utilité publique en l’absence de disposition spécifique y faisant obstacle et dès lors que les propriétaires ne sont pas privées d’une garantie.

Enfin, la société requérante a également contesté le caractère d’utilité publique des travaux en estimant qu’un autre tracé de ligne électrique aurait été moins préjudiciable pour sa propriété. La Cour administrative refuse cet argument en affirmant que « l’opportunité du tracé ne saurait être utilement discutée devant le juge de l’excès de pouvoir ». En l’espèce, le juge administratif suit une jurisprudence constante en vertu de laquelle il refuse de se prononcer des solutions techniques alternatives. Ce dernier se contente alors d’opérer un bilan coûts-avantages en estimant qu’un projet relatif à l’établissement d’une ligne électrique ne peut être déclaré d’utilité publique si les atteintes à la propriété privée, le coût financier, les inconvénients à l’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics sont excessifs.

Décision de bon sens, logique du droit public développée avec talent. Mais question ouverte non plus sur la notion de servitude, mais sur celle de « travaux d’utilité publique ». Utilité publique, que de faits et que de droits n’a-t-on masqué ou détournés en ton nom.

La question est celle d’une vision plus démocratique de l’utilité publique ou les procédures seraient plus transparentes et les citoyens concernés informés durant leurs vacances. C’est aussi un vrai questionnement sur l’intérêt général, sur la gouvernance. Le pouvoir du décideur public émanant de la représentation d’élus ne saurait être contesté, mais les citoyens directement concernés ne sont-ils pas aussi représentants de l’intérêt général. L’équilibre est difficile à atteindre, quelquefois demande plus de temps, mais le coût final, selon certaines expériences est moindre car il évite les contentieux.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructures, n°6, juin 2015, Le contrôle juridictionnel de l’établissement de servitude pour des travaux de renforcement du réseau public de distribution d’électricité par Jean-Sébastien Boda et Cécile Fontaine 

• Dans quels cas est-il obligatoire de joindre l’étude d’impact au permis de construire ? 

Conseil d’Etat, 25 février 2015, Communauté d’agglomération de Mantes-en-Yvelines n°367335

L’obligation de joindre l’étude d’impact au dossier de demande de permis de construire ne concerne que les cas où l’étude d’impact est exigée en vertu des dispositions du code de l’environnement pour des projets soumis à autorisation en application du code de l’urbanisme. Ainsi, il n y a pas d’obligation systématique de joindre l’étude d’impact au dossier de demande de permis de construire.

En outre, en vertu du décret du 29 décembre 2011 portant réforme des études d’impact des projets de travaux, d’ouvrages ou d’aménagements (postérieur aux faits d’espèce) ; « Désormais, seuls sont soumis à étude d’impact les projets mentionnés en annexe à l’article R. 122-2 du code de l’environnement. En fonction de seuils qu’il définit, le décret impose soit une étude d’impact obligatoire en toutes circonstances, soit une étude d’impact au cas par cas, après examen du projet par l’autorité de l’Etat compétente en matière d’environnement ». Parmi eux on retrouve notamment :
– Les installations classées pour la protection de l’environnement
– Les installations nucléaires de base
– Infrastructures ferroviaires
– Infrastructures routières

Source : Le moniteur, complément urbanisme aménagement, n°21, 22 juin 2015, Etude d’impact dans les dossiers d’autorisations de construire : le rappel par le Conseil d’Etat du principe d’indépendance des législations, par Virginie Lachaut Dana et Laurent Férignac

• L’annulation de la décision de préemption de la commune en l’absence d’un projet réel 

Cour administrative d’appel de Bordeaux, 24 février 2015, Commune de Canet de Salars, n°13BX02623

Cet arrêt permet de revenir sur les modalités du droit de préemption exercé par les communes. En vertu de l’article L.210-1 du code de l’urbanisme ; « les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l’intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l’article L. 300-1, à l’exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d’aménagement ». Par conséquent, les collectivités titulaires du droit de préemption peuvent légalement exercer ce droit, d’une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l’exercent, de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date, d’autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.

En l’espèce, le maire a utilisé le droit de préemption ayant pour objectif d’acquérir des parcelles en vue « de satisfaire rapidement des demandes d’acquisition de terrains à construire et en s’engageant à diviser le terrain préempté en trois lots dont un sera loué ou vendu à un artisan qui déciderait de s’installer sur la commune ».

La Cour administrative d’appel annule la délibération du conseil municipal autorisant le maire à exercer le droit de préemption dans la mesure où « l’installation d’un artisan, sur un des trois lots du terrain préempté ne constitue qu’une simple hypothèse, qui n’est corroborée par aucune des pièces versées au dossier ». Ainsi, la commune ne justifie pas de la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement et par conséquent, les motifs de l’exercice du droit de préemption urbain ne sont pas assez motivés.

La question du droit de préemption des collectivités territoriales est en voie d’assainissement. Jusqu’alors, d’un côté les particuliers ou les promoteurs immobiliers étaient tentés par des montages douteux pour échapper aux appétits d’un maire qui n’avait pas pour objet premier l’intérêt général de la commune. De l’autre, les collectivités employaient à tort et à travers l’arme du droit de préemption pour préserver des réserves foncières alors qu’elles n’avaient pas la moindre idée quant à un projet urbain cohérent.

Désormais, il convient qu’un véritable projet urbain ou un projet immobilier sérieux soit présenté pour justifier le recours à la préemption.

C’est une bonne nouvelle pour les acteurs de la construction porteurs d’un projet concret et pour les concepteurs d’études d’aménagement qui assistent la commune. Une meilleure sécurité juridique pour tous.

Source : Le Moniteur, complément urbanisme aménagement, n°21, 22 juin 2015, Actualités sur le foncier par Yves Jégouzo 

• La demande d’autorisation permettant le changement de destination des locaux incombe au seul bailleur 

Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 10 juin 2015, n°14-15.961

En l’espèce, le propriétaire d’un local à destination d’habitation souhaitait le louer à un autre usage. Le contrat de bail stipulait à cet égard que « le preneur déclarait faire son affaire personnelle de l’obtention de toutes autorisations administratives nécessaires pour son installation ».

Toutefois, la Cour de cassation précise que la demande d’autorisation requise par l’article L.631-7 du code de la construction et de l’habitation incombe au seul bailleur. En outre, la délivrance de l’autorisation doit être antérieure à la signature du bail.

Ainsi, les accords ou conventions conclus en violation des articles L.631-7 et suivants du code de la construction et de l’habitation sont nuls de plein droit (article L.631-7 alinéa 5).

La question du changement de destination est d’une actualité galopante, surtout dans les grandes villes et tout particulièrement à Paris. L’idée de reloger à Paris « la classe moyenne » vivant dans une banlieue proche un peu « chic » et de se débarrasser des stocks de bureaux semble convenir à tout le monde qui appartient à un certain monde.

Il serait donc en principe plus « simple » d’obtenir plus rapidement les autorisations nécessaires.

Les grands bailleurs institutionnels privés ou publics et les bailleurs sociaux sont en charge de la demande d’autorisation, ce que confirme la Cour de cassation.

Sur le plan formel, les demandes d’autorisation doivent être remplies avec précision et dans les critères prévus à cet effet.

Sur le fond, les nouvelles procédures ne sont pas toujours faciles à respecter.

Une question récurrente : en plein chantier, le maître d’ouvrage, change, pour des raisons commerciales, sont programme initial. Quelles démarches ? Quels délais ?

Attentions aux autorisations-balais de fin de chantier censées régulariser une construction !

Source : Recueil Dalloz, n°23, 25 juin 2015, Actualités Droit immobilier, construction, urbanisme par Yves Rouquet 

• La situation de l’élu local clarifiée par la loi du 31 mars 2015 

« Le statut de l’élu local ne doit plus être un serpent de mer de notre débat public ». C’est dans ce contexte que la loi du 31 mars 2015 est née. En effet eu égard aux trois questions importantes qui sont restées en suspend concernant le statut d’élu local pendant très longtemps, un remède législatif était nécessaire ; comment justifier l’idée de bénévolat pour les fonctions de représentation qui sous-entend un principe de gratuité (clairement affirmé par l’article L.2123-17 du code général des collectivités territoriales qui dispose que «les fonctions de maire, d’adjoint et de conseiller municipal sont gratuites »). En outre, la question de la « professionnalisation » des fonctions exécutives locales. Dans les faits, cette qualification paraît pourtant évidente pour les élus locaux (ces derniers perçoivent des salaires sous forme d’indemnités par exemple). Et enfin, la dernière question et sûrement la plus importante ; la définition d’un véritable statut de l’élu. C’est la loi du 31 mars 2015 qui va apporter une tentative de réponse.

En effet, l’article 2 de la loi susvisée (retranscrit au nouvel article L.1111-1-1 du code général des collectivités territoriales) dispose que « les élus locaux sont les membres des conseils élus au suffrage universel pour administrer librement les collectivités territoriales dans les conditions prévues par la loi. Ils exercent leur mandat dans le respect des principes déontologiques consacrés par la présente charte de l’élu local ». En plus de cette définition, la loi récente permet de formaliser le statut d’élu local et innove de façon importante sur deux points ;

 Les droits octroyés aux élus locaux
Tout d’abord, concernant la détermination des indemnités de fonction pour les élus locaux : la loi ne remet pas en cause le principe de gratuité énoncé précédemment (en raison du trop grand nombre d’élus). Toutefois, la nouveauté tient à ce qu’une distinction de régime est établie entre les élus exerçant des missions exécutives et les autres, donc une distinction entre ceux qui exercent un mandat à temps plein et ceux qui consacrent du temps à leur collectivité de façon bénévole comme l’atteste la modification des modalités d’attribution des indemnités de fonction.
Comme chacun sait, le principe de gratuit ne fait pas obstacle à ce que des indemnités soient versées aux élus au regard de la taille de la collectivité et de leur responsabilité. La loi du 31 mars 2015 innove en ce qu’elle change la règle relative à l’octroi des indemnités des maitres. Ainsi,
– Dans les communes de moins de 1000 habitants, le montant de l’indemnité n’est plus délibéré en conseil municipal afin de garantir des indemnités aux maires des petites communes, ces derniers étant souvent privé du plafond légal pour des « raisons budgétaires ».
– Dans les communes de plus de 1000 habitants, le conseil municipal conserve la possibilité de fixer une indemnité de fonction « inférieure » au barème. Toutefois, cette décision ne peut se prendre « qu’à la demande du maire ».
Ensuite, la loi étudiée impose également une formation obligatoire –auparavant facultative- des élus afin que ces derniers puissent gérer au mieux leur collectivité. Désormais, une telle formation est obligatoire pour les élus exerçant des fonctions exécutives durant « la première année de mandat » et concerne « tous les élus ayant reçu une délégation » dans les commune de plus de 3500 habitants mais également au niveau départemental et régional. Toutefois, ce mécanisme peut s’avérer compliqué à mettre en œuvre dans la mesure où les domaines de compétence d’un maire –par exemple- doivent être extrêmement larges (droit de l’urbanisme, contentieux administratif ou encore droit de la fonction publique), il appartiendra à l’élu local de choisir avec attention son organisme de formation et la compétence qu’il souhaite perfectionner.
Cette formation obligatoire ne doit pas être confondue avec le droit individuel à la formation (DIF), d’une durée de 20 heures, qui a pour objet « l’acquisition des compétences nécessaires à la réinsertion professionnelle à l’issue du mandat ». Ici, l’objectif est tout autre, il s’agit de préparer l’élu à une vie professionnelle postérieurement à son mandat. Par ailleurs, comme l’énonce le code général des collectivités territoriales « le droit individuel à la formation relève de l’initiative de chacun et peut concerner des formations sans lien avec l’exercice du mandat ».
Toutefois, la loi du 31 mars 2015 comporte des carences : le gouvernement n’a pas cédé à deux revendications des élus : d’une part le montant des indemnités (la situation économique et budgétaire étant défavorable) et la définition de la notion de prise illégale d’intérêt dont la définition peu claire est inquiétante et fait peser sur les élus de nombreux risques.

 Les devoirs des élus
La loi du 31 mars 2015 innove en ce qu’elle impose des obligations aux élus par le biais notamment de la « charte de l’élu local ». Cette dernière impose des principes déontologiques parmi lesquels figurent notamment des valeurs éthiques et une obligation d’assiduité aux réunions de la collectivité.
Concernant les valeurs éthiques, ces dernières sont traduites par l’article 1er de la charte qui dispose que « l’élu local exerce ses fonctions avec impartialités diligence, dignité, probité et intégrité » et que ce dernier « poursuit le seul intérêt général, à l’exclusion de tout intérêt qui lui soit personnel, directement ou indirectement, ou de tout autre intérêt particulier ». Quand bien même l’objectif est louable, cette charte, et donc les valeurs éthiques qui en découlent, est dépourvue de valeur normative.
Ce qui n’est pas le cas du devoir d’assiduité explicitement consacré par la récente loi. Cette dernière prévoit que l’absence des élus départementaux et régionaux aux travaux de leur collectivité est sanctionnée par une diminution de leurs indemnités, cette sanction n’était auparavant que facultative et laissée à l’appréciation des règlements intérieurs. Toutefois la loi prévoit expressément que la diminution « ne peut dépasser pour chacun des membres, la moitié de l’indemnité pouvant lui être allouée ». En revanche, cette sanction n’est applicable qu’aux départements et aux régions et non aux communes puisque d’une part, les situations sont différentes et que d’autre part, la loi ne prévoit pas d’indemnités de fonction pour l’ensemble des élus.
Afin d’être conciliante avec le statut hybride d’élus, la loi prévoit également des garanties aux élus pour que ces derniers puissent concilier leur vie professionnelle et leur fonction d’élu. La loi prévoit ainsi que les élus pourront opposer cette garantie à leurs employeurs.
– La loi a étendu le crédit d’heures aux conseillers des communes de moins de 3500 habitants (temps global que l’employé peut prendre pour participer aux travaux de sa collectivité »
– Les adjoints au maire des communes de 10 000 habitants et plus auront le droit à une suspension du contrat de travail avec un droit à réinsertion dans l’entreprise à l’issue du mandat.
– Ont désormais la qualité de « salariés protégés » ; les maires, et les adjoints au maire de communes de plus de 10 000 habitants, le président ou vice président ayant une délégation de l’exécutif du conseil départemental ou régional. Cela signifie que les élus sont protégés contre les décisions arbitraires des employeurs pour des raisons politiques quand bien même il paraît difficile en pratique d’identifier les raisons politiques du litige.

En définitif, quand bien même la loi du 31 mars 2015 ne crée pas officiellement de statut d’élu local, en renforçant les droits et les devoirs de ce dernier, elle y contribue fortement.

Source : AJDA, N°21, 22 juin 2015, Le statut de l’élu local en filigrane par Arnaud Haquet 

ENVIRONNEMENT 

• L’intégration d’une installation de production d’énergies renouvelables dans le paysage 

Toute construction doit s’intégrer dans l’environnement qui l’entoure afin de ne pas porter atteinte aux caractéristiques des lieux avoisinants. Cette règle est également valable pour les projets d’énergie renouvelables qui, par leur consistance, peuvent avoir des difficultés à s’insérer dans le paysage.

L’insertion paysagère d’un projet relatif aux énergies renouvelables est cruciale. En effet, pour ne citer que lui, dans le secteur de l’éolien, l’administration impose certaines prescriptions aux porteurs du projet : éloigner un maximum les éoliennes des habitations, minimiser les défrichements ou encore respecter une distance égale entre chaque éolienne. De plus, l’étude d’impact joue un rôle prépondérant –lorsque cette dernière est obligatoire-, afin de déterminer si l’installation éolienne peut s’insérer harmonieusement dans son environnement (le juge administratif va même jusqu’à annuler un permis de construire éolien en raison de l’insuffisance de l’étude d’impact liée à l’absence de photographies). Il n’est pas exclu que le développeur du projet propose des mesures compensatoires pendant la phase de concertation afin de palier aux impacts paysagers (plantation de haies chez les habitants).

Cependant, quand bien même la vérification de l’impact paysager semble être incontournable, il apparaît à la lecture de la jurisprudence que le juge administratif admet la légalité de tels projets en dépit d’une atteinte aux paysages. En effet, pour que le permis de construire éolien puisse être annulé il faut que l’atteinte portée au paysage soit de nature à « dénaturer le site ou à en transformer les caractéristiques essentielles » ce que le juge admet rarement. Il convient de souligner que le juge administratif fait preuve de la même souplesse quand bien même le projet se situerait dans une zone faisant l’objet d’une protection particulière. Cette position du juge peut peut-être s’expliquer par le fait que lorsque l’exploitation du parc éolien prend fin, l’exploitant est expressément tenu de procéder non seulement au démantèlement de l’installation mais également à la remise en état du site (article L.553-3 du code de l’environnement). Ainsi, l’impact que pourrait avoir cette installation sur le paysage ne serait que passager.

Enfin, quand bien même la jurisprudence semble faire primer les installations de production d’énergies renouvelables à la qualité paysagère certaines exceptions méritent d’être soulevées. Tout d’abord la combinaison des articles L.146-4 du Code de l’urbanisme (régissant la loi Littorale) et la loi Grenelle II qualifiant les éoliennes d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) rend impossible d’implanter un parc éolien dans une commune littorale. Par ailleurs, l’appréciation large qui est faite de l’intérêt à agir par le juge semble faire obstacle à l’installation d’une éolienne. Etant donné que le critère de la visibilité conditionne la recevabilité du recours, il en résulte que le juge examinera le bien fondé de la demande alors que l’éolienne est seulement visible du portail de la propriété .

La question d’une installation de production d’énergies renouvelables dans le paysage est avant tout politique et ne peut se réduire aux éoliennes où nos gouvernants ont laissé l’image d’atermoiements, de revirements néfastes à une vision dynamique de la production d’énergies. Il s’agit d’un enjeu majeur difficile pour concilier production, croissance et protection du patrimoine architectural, urbain et paysager. L’urgence est pour hier.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructure, n°6, juin 2015, L’insertion paysagère des installations de production d’énergies renouvelables, par Julien Bonneau et Laura Daydie

• Précisions sur la responsabilité environnementale par la Cour de justice de l’Union européenne 

CJUE, 4 mars 2015, Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare C/ Fipa Group Srl, Tws Automation Srl et Ivan Srl

En l’espèce, les sociétés défenderesses ont fait l’acquisition de terrains gravement contaminés par des substances chimiques suite aux activités exercées par les anciens propriétaires, ces derniers produisant des insecticides et des désherbants. Quand bien même les sociétés n’apparaissent pas comme étant les auteurs de la pollution, l’administration italienne a exigé de leur part la réalisation d’une barrière hydraulique dans le but de protéger la nappe phréatique. Toutefois, la législation italienne ne permet pas d’exiger du propriétaire la mise en œuvre des mesures de sécurisation d’urgence et de réhabilitation en cas d’impossibilité d’identifier le responsable de la pollution. C’est dans ce contexte qu’une question préjudicielle a été soumise par l’Assemblée plénière du Conseil d’Etat italien à la Cour de justice de l’Union Européenne.

Il est question de savoir si les dispositions internes issues du droit italien sont compatibles avec les principes de l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) –disposant que la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau élevé- et de la directive 2004/35 relative à la responsabilité environnementale.

La Cour de justice commence par rappeler que le principe du pollueur-payeur que l’on trouve à l’article 191 paragraphe 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) « s’adresse à l’action de l’Union, cette disposition ne saurait être invoquée en tant que telle par des particuliers aux fins d’exclure l’application d’une réglementation nationale ».De ce fait, les principes généraux européens ne sauraient être utilisés en cas de législation incomplète.

Ensuite, la Cour précise la mise en œuvre de la directive 2004/35 en recherchant si elle est applicable à la situation d’espèce. Pour ce faire, cette dernière va se pencher sur la notion d’exploitant, notion fondamentale dans la mesure où cette qualité conditionne l’application de la directive. Ainsi, l’exploitant du site doit supporter les coûts des réparations lorsqu’un dommage environnemental est apparu sur le site sauf s’il peut prouver que le dommage a été causé par une autre personne. De ce fait, la responsabilité environnementale peut être retenue dès lors qu’il existe un lien de causalité entre le dommage environnemental et l’activité de l’exploitant. Toutefois, la Cour de justice écarte la qualification d’exploitants pour les sociétés défenderesses et ne démontre, en outre, aucun lien de causalité entre la présence des sociétés sur le terrain et la pollution de ce dernier.

Au regard de ces éléments, la Cour de justice de l’Union européenne considère que « lorsqu’aucun lien de causalité ne peut être établi entre le dommage environnemental et l’activité de l’exploitant, cette situation relève du droit national » et qu’ainsi « la directive 204/35 ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui, lorsqu’il est impossible d’identifier le responsable de la pollution d’un ou d’obtenir de ce dernier les mesures de réparation ne permet pas à l’autorité compétente d’imposer des mesures de réparations, le propriétaire étant seulement tenu au remboursement des frais relatifs aux interventions de l’autorité compétente dans la limite de la valeur de marché du site ».

De ce fait, la législation italienne, qui n’impose pas de mesures de prévention et de réparation à l’encontre des propriétaires non responsables de la pollution de leurs terrains, est compatible avec le droit de l’Union.

Cette décision importante n’est pas transposable en droit français. Comme le précise la Cour de justice de l’Union européenne, c’est le droit de chaque Etat de l’Union qui doit opérer. Or, au niveau du droit de propriété, l’histoire de l’Italie et de la France sont totalement différentes.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructures, n°6, juin 2015, Sols et responsabilité environnementale : la situation du propriétaire auquel la pollution n’est pas imputable par François-Guy Trébulle

• L’amélioration de la prise en charge des mesures de compensation environnementale en marchés publics 

Depuis la loi du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, le maître d’ouvrage, public ou privé, doit prendre des mesures de compensation dès lors qu’un projet de construction peut avoir des conséquences non négligeables sur l’environnement. Ainsi, des prescriptions administratives seront imposées au porteur du projet afin de minimiser l’impact de la construction sur l’écosystème.

Il est conseillé au maître d’ouvrage public, pour une meilleure gestion des opérations, de confier à un interlocuteur unique une mission qui permettra de couvrir toutes les compensations environnementales prescrites par l’administration par le biais d’un marché public global dans lequel on retrouvera la conception et la réalisation. Ce type de contrat demeure une exception dans la mesure où la loi du 12 juillet 1985 (loi MOP) interdit au maître d’ouvrage public de confier la réalisation et la conception de l’ouvrage à un même prestataire. Toutefois, la personne publique devra respecter les conditions strictes qui subordonnent l’accès à ce type de marché public tels que des motifs techniques qui imposeraient l’association de l’entrepreneur aux études de conceptions (taille de l’ouvrage, difficultés techniques, fonctionnalité particulière) ou un engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique. Ainsi, si le pouvoir adjudicateur ne peut remplir ces conditions il se verra refuser l’accès au marché public global et sera privé d’un outil contractuel efficace concernant la compensation environnementale.

C’est sans compter sur le projet d’ordonnance relative aux marchés public (directive 2014/25/UE) qui devrait assouplir les conditions de recours aux marchés publics globaux. En effet, l’ordonnance prévoit la création d’un contrat prévoyant des objectifs de performance énergétique qui permettraient aux mesures de conception environnementale de faire l’objet d’un contrat de conception réalisation. En outre, un autre projet de loi pourrait venir faciliter la mise en œuvre des compensations environnementales. En effet, le projet de loi pour « la reconquête de la biodiversité » permet aux maîtres d’ouvrage de pouvoir anticiper sur la réalisation de ces mesures. Un opérateur de compensation pourra alors anticiper et réaliser des actions de réhabilitation avant que ces dernières ne soient prescrites par l’administration.

La politique des « mesures de compensation » exercée par de nombreux Etats dans le monde (dont les Etats-Unis) n’a jamais été une mesure de protection de l’environnement. Elle a permis, au contraire, de permettre une croissance phénoménale de la pollution, des déchets, du Co2.

La France avec son grand projet de réunir le plus d’Etats possible en 2016 pour de vrais engagements à limiter la pollution de la planète porte le drapeau d’une cause noble.

Alors la question posée est celle des mesures proposées pour faciliter la mise en œuvre des compensations environnementales.

Les contrats globaux, les marchés conception-réalisation, s’ils s’ouvrent encore d’avantage à la liberté de pouvoir compenser, sont aux antipodes des mesures environnementales portées fièrement par la France.

Ce n’est plus une question, c’est une stupéfaction !

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructures, n°6, juin 2015, Les marchés publics de compensation environnementale par Christine Le Bihan Graf et Laure Rosenblieh

• La nécessaire compatibilité entre la loi polynésienne prévoyant les plans de prévention des risques naturels et la Charte de l’environnement 

Conseil d’Etat, 13 février 2015, Haut-commissaire de la République en Polynésie française, n°384447

Le Haut-commissaire de la République en Polynésie française a déféré au Conseil d’Etat « la loi du pays » concernant les plans de prévention des risques naturels dans la mesure où le Conseil d’Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique sur ces dernières.

Cette loi prévoit dans un premier temps que les plans de prévention des risques naturels ont pour objet de délimiter les zones exposées à ces risques et celles dans lesquelles de tels risques sont susceptibles d’être provoqués ou aggravés. Il est prévu dans un second temps que des mesures peuvent être prises afin d’interdire tout type de construction ou de subordonner leur édification à certaines conditions. Au regard de ces différents éléments, le Conseil d’Etat en conclu que « les plans de prévention des risques naturels constituent des décisions publiques susceptibles d’avoir une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement ».

Cette précision n’est pas sans conséquence. En effet, « la loi du pays » déférée prévoit qu’il est possible d’apporter à un plan de prévention des risques naturels prévisibles des actualisations –par le biais d’arrêtés pris en conseil des ministres- qui prendraient en compte l’évolution de la connaissance des risques. Le Conseil d’Etat déclare cette loi illégale au motif qu’en « considérant que ces dispositions ne limitent pas l’étendue des modifications qu’il est possible d’apporter à un plan de prévision des risques naturels prévisibles ; que l’actualisation qu’elles prévoient est dès lors susceptible d’avoir une incidence directe et significative sur l’environnement et qui n’inclut aucune modalité de participation du public » et qu’ainsi « la Polynésie Française a méconnu l’étendue de sa compétence au regard des exigences de l’article 7 de la Charte de l’environnement ». C’est donc en raison de cette incompatibilité entre la « loi du pays » et la Charte de l’environnement que cette dernière est déclarée illégale.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Les plans de prévention des risques naturels en Polynésie française

DROIT DE LA CONSTRUCTION 

• Le constructeur de maisons individuelles est responsable d’une erreur d’implantation de l’immeuble sur le fondement de la garantie décennale 

Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 15 avril 2015, n°14-13054

En l’espèce, des particuliers font l’acquisition d’un terrain issu d’une opération de lotissement sur lequel ils font édifier une maison individuelle par un constructeur de maisons individuelles. Toutefois, en raison du mauvais état du terrain, le lotisseur entreprend des travaux afin d’édifier des colonnes ballastées. Postérieurement aux travaux, un voisin se plaint d’un empiètement des colonnes sur sa propriété et réclame la suppression de ces dernières. Les juges du fond ayant accepté cette requête, ces derniers condamnent le lotisseur et l’entreprise ayant exécuté les colonnes tout en écartant la responsabilité du constructeur de maisons individuelles. En effet, la cour d’appel retient à cet égard que d’une part « aux termes du contrat de construction de maison individuelle, la société avait à sa charge la réalisation de fondations mais non la remise en état du sol » et que d’autre part « il n’est pas démontré qu’elle a été consultée pour l’implantation des colonnes ballastées ni qu’elle a été avisée d’un débord de ces colonnes sur le fonds voisin et qu’en conséquence, l’imputabilité du dommage n’est pas démontrée ».

Toutefois, la Cour de cassation casse et annule la décision de la cour d’appel au motif que le constructeur de maison individuelle est responsable de plein droit, sur le fondement de la garantie décennale, d’une erreur d’implantation de l’immeuble et des dommages causés par les travaux de construction qu’il réalise ou fait réaliser. Cet arrêt confirme le principe en vertu duquel le constructeur de maisons individuelles répond globalement de la bonne exécution de l’ouvrage y compris au titre de travaux préalablement exécutés sur le terrain contribuant à la pérennité de l’édifice.

L’erreur d’implantation est le contentieux le plus fourni du droit de la construction.

La naïveté de certains architectes mais aussi de certains promoteurs peut avoir des conséquences graves notamment en matière de construction de maisons individuelles.

Que faire ?

– Avant tout, choisir un géomètre-expert (à la charge du promoteur) en ne cantonnant pas sa mission avec hauteurs mais en l’étendant aux relevés de terrains
– Se souvenir que le cadastre n’a aucune valeur juridique

Source : Le Moniteur, 3 juillet 2015, Jurisprudences, par François-Xavier Ajaccio, Albert Caston et Rémi Porte

• Le contrat de performance énergétique pour les bâtiments appartenant à des personnes publiques 

Le contrat de performance énergétique peut se définir comme étant « un contrat dont l’objet est de garantir dans la durée une amélioration de l’efficacité énergétique d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments existants ».

Il convient de s’interroger sur l’articulation de ce contrat particulier avec le régime des contrats publics. En effet, les consommations d’énergie des bâtiments des collectivités territoriales, de l’Etats et leurs établissements publics devant être réduits de 20% d’ici 2020, le contrat de performance énergétique est d’une importance non négligeable.

Tout d’abord, il est important de souligner que ce contrat n’est pas, en lui-même, une nouvelle catégorie de contrat public. A cet égard, il va alors s’inspirer de modèles préexistants tels que le contrat de partenariat ou le marché public de travaux. Il est alors intéressant d’analyser d’une part un contrat de performance énergétique qui serait passé sous la forme d’un marché de travaux et un contrat de performance énergétique qui serait passé sous la forme d’un contrat de partenariat.

• Contrat de performance énergétique passé sous la forme d’un marché public (de travaux, de service, marchés globaux associant conception, réalisation et exploitation/maintenance)
– Les travaux ou les actions entreprises seront réglés au fur et à mesure de leur accomplissement
– Si la mise en œuvre du contrat est jugée complexe, la personne publique pourra avoir recours à la procédure de dialogue compétitif (eu égard aux considérations techniques du bâtiment)
– En outre, le recours à une procédure adaptée est possible, bien évidemment, si les seuils prévus par ces procédures ne sont pas dépassés
– Des clauses types ont été rédigées par le Ministère de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie
– Il convient également de signaler la modification de l’article 18 de la loi MOP par la loi Grenelle II. En effet, en vertu de cette nouvelle disposition, il est permis de confier à un seul et même groupement un marché global « lorsque des motifs d’engagement contractuel sur un niveau d’amélioration de l’efficacité énergétique rendent nécessaire l’association de l’entrepreneur aux études de l’ouvrage ».
– Concernant le critère de choix des offres nous pouvons trouver : le coût global de l’offre ou plusieurs critères relatifs aux objectifs de performance énergétique (le programme établi par la personne publique comporte alors un objectif de réduction de la consommation énergétique exprimé en pourcentage garanti sur la durée du contrat)
– Une étude de faisabilité en amont est indispensable

• Contrat de performance énergétique passé sous la forme d’un contrat de partenariat
– Ce contrat présente un avantage certain : le paiement des travaux peut être différé afin de faire coïncider les travaux avec la période de garantie
– Concernant la forme du règlement, ce dernier intervient par loyer périodique

• La mise en œuvre du contrat
Le contrat de performance énergétique contenant un programme prévisionnel d’amélioration de la performance énergétique, afin de remplir son objet, il est nécessaire de déterminer une situation de référence (donc qui une situation qui correspondrait à la situation existante avant les actions à mener). Une fois cette donnée obtenue, l’amélioration est mesurée par l’écart de consommation énergétique entre la situation de référence précédemment évoquée et celle mesurée périodiquement pendant la durée prévue par le contrat. Il est, par ailleurs, vivement conseillé de contractualiser un protocole de mesure et de vérification de la performance. Les obligations résultant de ce protocole seront certes effectuées par l’opérateur, mais, et c’est là tout l’intérêt, ces mesures devront être vérifiables par la personne publique (qui pourra se faire assister par un assistant à maîtrise d’ouvrage).

• La mise en œuvre de la garantie de performance
Le principe est simple, un engagement quantifié de réduction de la consommation d’énergie doit figurer dans le contrat. Par conséquent, une prime sera versée au co contractant de la personne publique et cas de surperformance et une pénalité en cas de sous-performance.

• La durée du contrat
Le contrat doit être scindé en deux. Dans un premier temps, la durée relative à la mise en œuvre des travaux et dans un second temps, la durée relative à la mise en œuvre de la garantie de performance énergétique qui comment à courir lors de l’achèvement des actions d’amélioration prévues au contrat.

Source : La gazette de communes, des départements et des régions, n°29/2279, Le contrat de performance énergétique par Joël Bernot

• Une clause prévoyant que la seule prise de possession vaut reception est de nature à créer un déséquilibre significatif entre les parties 

Cour de cassation, 3ème chamber civile, 6 mai 2015, n°13-24.947 

Des particuliers ayant conclu un contrat de construction de maison individuelle ont assigné le constructeur au paiement de préjudices résultant de désordres apparents. Ce dernier argue du fait qu’une clause dans le contrat stipulait que « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l’ouvrage et le maître d’œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l’exigibilité de l’intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible ».

La Cour de cassation considère la clause non-écrite dans la mesure où « la réception suppose la non volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir » et qu’ainsi « cette clause, qui, insérée dans un contrat entre un professionnel et un non-professionnel, crée au détriment de ce dernier un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties puisqu’elle impose au maître de l’ouvrage une définition extensive de la réception ».

Cette décision n’est pas surprenante dans la mesure où dans le cadre de la réception tacite, cette dernière ne peut être reconnue que si deux critères sont réunis : la prise de possession de l’ouvrage et le complet paiement du prix. En effet, selon une jurisprudence constante que la Cour de cassation rappelle en l’espèce, la seule prise de possession ne peut suffire, cette dernière ne manifestant pas la volonté non-équivoque du maître de l’ouvrage de réceptionner l’ouvrage.

En outre, et c’est là tout l’intérêt de l’arrêt, la Cour de cassation répute non-écrite une clause aménageant contractuellement la réception en considérant que prise de possession vaut réception – et en privant le maître de l’ouvrage de tous recours possibles en cas de dommages à l’ouvrage- car selon la Cour régulatrice cette dernière serait de nature à créer « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ». C’est la première fois que la Cour de cassation use de ce critère afin de sanctionner une clause de contrat de construction de maison individuelle dans un contrat conclu entre un professionnel et un non-professionnel. Ainsi, la Cour de cassation applique le droit de la consommation au droit de la construction afin de continuer «sa croisade à l’encontre des constructeurs de maisons individuelles peu scrupuleux ».

Source : RDI, n°7/8, Juillet/Août 2015, Chroniques : Promotion immobilière, par Fanny Garcia

• La nécessité de prendre en compte l’état actuel des travaux afin de caractériser une menace grave et imminente d’effondrement 

Cour de cassation, 3ème chambre civile, 5 mai 2015, n°14-12.235

En l’espèce, un particulier a confié des travaux de restauration d’un immeuble d’habitation à une société. Toutefois, l’entreprise chargée du lot charpente refuse d’exécuter les travaux dans la mesure où il est impossible de poser la charpente sans risque d’effondrement du gros œuvre. Le maître de l’ouvrage assigne l’entrepreneur général ainsi que son assureur.

Ces derniers font grief à la Cour d’appel de mettre hors de cause l’assureur au motif que ce dernier doit sa garantie lorsqu’il existe une menace grave et imminente d’effondrement et qu’ainsi, des travaux de conformité aux règles en vigueur pour que l’immeuble ne risque pas de s’effondrer caractérise une menace grave et imminente d’effondrement. En outre, le demandeur précise que « l’existence d’une menace grave et imminente d’effondrement doit s’apprécier en fonction de la finalité des travaux qui est la construction d’un bâtiment ». La question qui se posait en l’espèce était donc de savoir si la menace d’effondrement devait être appréciée en fonction de la finalité des travaux qui sont la construction d’un bâtiment.
Toutefois la Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que dans la mesure où « le gros œuvre avait techniquement été mal exécuté et que le bâtiment était fragilisé par les insuffisances et les malfaçons qu’il convenait de corriger avant de mettre en place la charpente, l’effondrement prévu par la garantie d’assurance n’était pas réalisé et qu’il n’apparaissait pas que les nombreuses malfaçons fussent à l’origine d’une menace grave et imminente d’effondrement ».

La Cour de cassation donne alors une interprétation restrictive à la notion de menace grave et imminente d’effondrement car elle estime que c’est au regard du seul état actuel des travaux qu’il faut apprécier le risque et non à la finalité de ces derniers. Ainsi dans la mesure où, en l’espèce, les murs porteurs réalisés étant simplement fragilisés par les malfaçons dont ils étaient affectés, il importait peu que ces derniers ne puissent supporter le poids de la charpente nécessaire à l’achèvement de l’ouvrage. Par conséquent, la Cour de cassation prend seulement en compte les désordres qui se sont déjà manifestés matériellement sans prendre en compte une menace future qui aurait pu atteindre la totalité du bâtiment.

Source : RDI, n°7/8, Juillet/Août 2015, Chroniques : Responsabilité et assurance des constructeurs, par Jean Roussel 

DROIT DE L’IMMOBILIER 

• Quelques pistes pour l’encadrement juridique de la révolution numérique 

Quand bien même les aspects techniques, sociétaux et économiques de la révolution numérique sont les plus visibles et les plus impressionnants (multiplication des objets connectés sans compter l’impact de cette filière sur le marché français), l’aspect juridique n’est pas en reste.

Toutefois, il convient de souligner qu’un droit unique relatif au numérique n’existe pas. Ce domaine touchant à des nombreuses branches du droit, toute la difficulté sera de trouver le bon équilibre. Si l’on s’intéresse de plus près au fonctionnement de l’ère numérique, on s’aperçoit que malgré les places, a priori, vitales du droit de la concurrence (notamment les autorités de concurrence qui doivent veiller à ce que des pratiques discriminatoires ou anticoncurrentielles ne soient pas exercées par le prestataire) et du droit économique, ces derniers ne sont pas suffisants et doivent être conjugués avec de grands principes juridiques constituant le socle de notre société actuelle.

Comme l’a énoncé le Conseil Constitutionnel dans une décision du 10 juin 2009 (n°2009-580) ; l’accès à Internet constitue une des formes de la liberté de communication de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. En outre, un autre droit sacré intervient dans cette problématique : le droit de propriété. En effet, les moyens de communication étant de plus en plus développés, d’innombrables données sont partagées. Comment les protéger ? Une distinction est proposée entre les données ouvertes (aisément accessibles) et celles dite non ouvertes (les purement personnelles, les collectives et les agrégées qui bénéficient toute d’un degré de protection différent). Ainsi, le droit commercial, pénal et fiscal seront utilisés afin d’encadrer l’exploitation payante des données. On retrouve ici, toujours l’idée de combiner certains domaines du droit pour trouver des solutions adaptées.

Quand bien même certains outils sont déployés au service de la révolution numérique, son encadrement juridique n’en demeure pas moins flou et incertain. Toutefois, en dépit de ces lacunes, l’avenir s’annonce plutôt optimiste. Tant au niveau national (nombreux travaux du législateur, initiatives du gouvernement comme la conception d’un plan permettant l’accès au très haut débit) qu’au plan européen, l’avancée est en marche. L’Union Européenne, compte tenu de son influence sur les Etats membres et de son poids économique, pourrait être une pièce maîtresse de la révolution numérique en présentant notamment, en 2015, son plan concernant un marché unique numérique. Il semblerait que le droit soit prêt à s’adapter aux évolutions de la société moderne. Encore faut-il poser la question : quelle société moderne ? Une société ultra ou néolibérale ? Une société privilégiant le culturel et le social et non l’économique et le financier ? Le droit pour servir les deux et l’avocat aussi.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructures, n°6, juin 2015, Le numérique est au centre d’une quadruple révolution technique, sociétale, économique mais aussi juridique par Jean-Ludovic Silicani 

• L’avancée positive de l’économie circulaire 

A titre liminaire, rappelons que l’économie circulaire est un concept économique visant à limiter le gaspillage des matières premières, de l’eau et des sources d’énergie afin de préserver les ressources qui, si aucune action n’est entreprise, auront vocation à disparaître dans les 20 prochaines années. Il s’agit donc, comme le précise le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, de proposer un nouveau modèle qui vise à combattre le système linéaire de notre économie (extraire, fabriquer, consommer, jeter). Cette technique suggère, entre autres, d’intensifier l’utilisation du produit en économisant la fonctionnalité de ce dernier (allonger sa durée d’usage ou ses composants en les remplaçant ou en les réparant).

Cette précision apportée, il convient alors de s’intéresser à l’évolution de l’économie circulaire au sein du droit positif. Quand bien même la Commission européenne a retiré de son programme les questions relatives à l’économie circulaire, le projet de loi Transition énergétique vers une croissance verte (adoptée par l’Assemblée Nationale en nouvelle lecture en mai dernier et réexaminée par le Sénat en ce moment) consacre un titre au sujet, l’intégrant de ce fait au droit français. De véritables mesures ont été mises en place afin que l’économie circulaire puisse déployer tous ses effets avec, par exemple, l’intégration des critères de réemploi, de réutilisation et de recyclage dans la commande publique. Ce projet de loi pourrait également amorcer la création d’un autre projet de « transition ressources » élaboré par l’Institut de l’économie circulaire visant à élaborer un arsenal juridique afin d’assurer la transition vers l’économie circulaire.

La question est celle des limites de cette avancée. Certes elle s’ancre dans le territoire mais à petits pas. Sur le fond, si elle est nécessaire, elle n’est pas suffisante car elle perpétue un système qui n’est pas conforme à une vision alternative de l’économie et du droit.

Source : Revue Energie – Environnement – Infrastructures, n°6, juin 2015, Economie circulaire où en est-on ? par François-Michel Lambert 

DROIT DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE

• La résolution du conflit entre les droits d’auteur et le droit des marchés publics 

Cour Administrative d’appel de Bordeaux, 30 septembre 2013, Commune du Bacarès, n°11MA00299

Par une décision du 14 mai 2009, le maire de la commune du Bacarès a commandé une sculpture destinée à être implantée sur une avenue de sa commune. Le tribunal administratif de Montpellier annule la dite décision à la demande d’une association.

Le présent arrêt résout trois problèmes juridiques ;

o L’affichage d’une décision du maire dans des panneaux vitrés et fermés au public dans les locaux de la mairie peut-il être considéré comme suffisant ?

La Cour administrative d’appel de Bordeaux répond par la négative. En effet, cette dernière relève que dans la mesure où la décision du maire a fait l’objet « d’un affichage qui a consisté à placer les feuillets constituant la décision disposés par superposition dans des panneaux vitrés et fermés au public dans les locaux de la mairie » ce dernier doit être considéré comme étant insuffisant et prive ainsi les citoyens d’une connaissance complète de l’acte. Par conséquent, l’article R. 421-2 du code de justice administrative disposant que :  » Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée » ne peut s’appliquer ; le délai de recours contentieux n’a pas pu courir, la commune ne pouvant alors se prévaloir de la tardiveté de la demande de l’association.

o Une maquette peut-elle être considérée comme étant une œuvre d’art existante et ainsi pouvoir échapper aux mesures de publicités imposées par le Code des marchés publics ?

L’article 3 du code des marchés publics liste les marchés qui échappent aux mesures de publicité et de mise en concurrence. Parmi ces nombreuses exceptions, nous pouvons trouver les « accords-cadres et marchés qui ont pour objet l’achat d’œuvres et d’objets d’art existants, d’objets d’antiquité et de collection ». Ainsi, les mesures de publicité insuffisantes n’auraient pas été prises en compte et la solution aurait été toute autre si le projet du maire avait reçu la qualification « d’œuvre d’art existante ». Ici, les juges du fond ont refusé cette qualification en s’appuyant sur les principes de la propriété intellectuelle en vertu desquels l’œuvre artistique ne peut exister qu’à partir du moment où elle fait l’objet « d’une réalisation matérielle achevée ou inachevée » , ce qui ne semble pas être le cas en l’espèce.

o Une commune qui choisit de ne recourir qu’à un seul artiste pour la création d’une œuvre d’art échappe-t-elle aux mesures de publicité imposées par les marchés publics ?

Le législateur a prévu une autre exception aux mesures de publicité en lien avec la propriété intellectuelle. En effet, l’article 35-II-8° du Code des marchés publics prévoit que « peuvent être négociés sans publicité préalable et sans mise en concurrence ; les marchés et les accords-cadres qui ne peuvent être confiés qu’à un opérateur économique déterminé pour des raisons techniques, artistiques ou tenant à la protection de droits d’exclusivité ». Ici, il était question de savoir si la « sculpture monumentale » commandée par le maire de la commune présentait des caractéristiques techniques ou artistiques qui justifierait alors le fait que le pouvoir adjudicateur ne fasse appel qu’à un seul artiste. La Cour administrative d’appel répond par la négative en estimant « que la commune n’établit pas que des raisons artistiques particulières » puissent justifier ce choix unique. En d’autres termes, il n’appartient pas aux juges du fond de rechercher si le projet en cause est susceptible de répondre aux critères de l’article 35-II-8° mais au pouvoir adjudicateur de démontrer les conditions requises.

Par cet arrêt, le juge administratif réaffirme son interprétation stricte des dérogations aux mesures de publicité dès lors que l’objet du contrat est en lien avec la propriété intellectuelle.

De nombreuses questions viennent perturber la construction de la jurisprudence administrative.

Depuis l’arrêt commenté de le Cour administrative d’appel de Bordeaux tout problème concernant le droit d’auteur est obligatoirement soumis aux juridictions judiciaires spécialisées expressément désignées.

– Est-ce pour autant que ces dernières seront plus à l’écoute des auteurs, notamment pour sanctionner les atteintes au respect de l’œuvre ?

– Qu’en sera-t-il si les juridictions administratives résistent en faisant jouer le chant de la doctrine qui, au nom de l’intérêt général, invoque la notion de « bloc de compétence ». En clair, tout ce qui attrait aux ouvrages ou aux espaces publics devrait être de la compétence des juridictions administratives.

Les prochaines décisions qui seront prises par les tribunaux administratifs et les cours administratives seront déterminantes.

Source : Petites affiches, N°109, 2 Juin 2015, Chronique droit de l’art, par Robert Haddad 

• La nouveauté ne doit pas être confondue avec le critère d’originalité 

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 22 janvier 2014, Société Atelier du Moulin c/ Société Octant Architecture

En l’espèce, une société attributaire d’un marché de conception et de réalisation d’un complexe architectural découvre qu’un tiers, intervenu dans la réalisation de ce projet a présenté des photographies de ces deux œuvres sur une brochure et sur un site internet. La société agit alors en contrefaçon et en concurrence déloyale. La cour d’appel accueille cette demande au motif que le complexe multi loisirs aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur présente un « aspect particulier propre à cet ouvrage ne résultant aucunement des seuls impératifs de la construction d’une serre ». En outre, les juges du fond relèvent également « un aménagement très particulier […] le tout différant des aménagements classiques de zoo » et que par conséquent, « les appelants ne versent aux débats aucune pièce comportant des photographies ou reproductions d’aménagements intérieurs identiques ou même simplement comparables ».

Toutefois, la Cour de cassation, dans un arrêt du 22 janvier 2014, casse et annule la décision de la cour d’appel au motif que l’absence d’antériorité et le caractère nouveau des choix opérés pour la conception de ces bâtiments et leurs aménagements ne caractérisent pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Par conséquent, l’ouvrage n’étant pas constitutif d’une œuvre au sens de l’article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle, une action en contrefaçon ne peut être favorablement accueillie.

Ainsi, cette décision s’inscrit dans un courant jurisprudentiel parfaitement établi en vertu duquel toute confusion entre nouveauté et originalité est prohibée. En effet, seul le critère d’originalité permet de qualifier un ouvrage d’œuvre. La difficulté tient à ce que le droit français, faute de définition de l’originalité, oblige les juridictions à rechercher « l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». Ce critère repose parfois sur un caractère purement divinatoire et s’affranchit de toute logique automatique, ce qui donne à cette notion une certaine insécurité juridique. La qualification sera alors basée uniquement sur la casuistique, et la question demeure : qu’est-ce que l’originalité ?

Les nombreux dossiers qui ont été confiés à notre cabinet depuis sa fondation en 1978, permettent de déceler une évolution certaine du traitement du caractère originale d’une œuvre architecturale, urbaine ou paysagère. Il s’agit d’une guerre continue pour reconnaître l’originalité d’une œuvre. Des batailles sont gagnées, d’autres sont perdues : notre « architecte auteur » édité par le Moniteur en 2009 et toujours en vente, illustre les pratiques quotidiennes du droit d’auteur en architecture.

Le jurisclasseur construction a répondu à notre demande de créer une rubrique spécifique sur le thème du droit d’auteur de l’architecte. Il faudra sans doute attendre la fin de l’année 2015 pour qu’elle soit publiée.

Quoi qu’il en soit, la dichotomie entre la nouveauté pour les brevets et la marque et l’originalité pour le droit d’auteur perdure.

Source : Revue internationale de droit d’auteur, avril 2015, n°244, Jurisprudence, page 321 

• Le renforcement de la protection du nom des collectivités territoriales 

Les collectivités territoriales pouvant être victimes d’abus ou d’usurpation, le droit français assure une protection aux collectivités territoriales ayant déposé leur nom afin de protéger ces dernières en vertu des missions de service public qui leurs sont imparties. Les actions des collectivités n’ayant pas pris cette précaution étant alors extrêmement réduits.

Toutefois, un décret du 2 juin 2015 (n°2015-595) vient protéger les collectivités territoriales qui n’auraient pas déposé leur nom auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle. En effet ce dernier vient préciser les modalités d’application du nouvel article L.712-2-1 du code de la propriété intellectuelle –crée par la loi Hamon du 17 mars 2014 relative à la consommation- en vertu duquel « toute collectivité territoriale ou tout établissement public de coopération intercommunale peut demander à l’Institut national de la propriété industrielle d’être alerté en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant sa dénomination, dans des conditions fixées par décret ». Ce droit d’alerte est assorti d’un droit d’opposition à l’enregistrement par le tiers dans un délai de 2 mois suivant la publication de la demande d’enregistrement (article L.712-3 du code de la propriété intellectuelle). Le décret précise également les procédures de consultation et d’enquête publique menées pendant les demandes d’homologation ainsi que les conditions d’opposition à l’enregistrement d’une marque par les collectivités. Ce nouvel article et son décret d’application apparaissent comme étant une réelle avancée pour la protection civile du nom des collectivités territoriales dans la mesure où quand bien même la collectivité n’aura pas déposé son nom afin d’en faire une marque, cette dernière pourra bénéficier du droit d’alerte issu de la loi Hamon. Il s’agit également d’une action préventive permettant à la collectivité d’agir avant l’exploitation de la marque litigieuse.

Il convient également de rappeler que les actions dont disposent les collectivités en cas d’usurpation sont de deux ordres ;

– Des actions issues du droit spécial de la propriété intellectuelle avec d’une part une action en nullité de la marque avant que cette dernière ne soit déposée et d’autre part une action en contrefaçon à défaut d’avoir fait opposition au dépôt de la marque par un tiers dans le délai imparti. Cependant, il s’agit ici d’une action qui ne peut intervenir qu’à la condition que la collectivité territoriale ait effectivement déposé son nom en tant que marque.

En plus de ces actions de droit spécial, la collectivité lésée pourra également des actions offertes par le droit commun à savoir une action fondée sur l’article 1382 du code civil en raison du préjudice subi du fait des agissements en concurrence déloyale et parasitaire. La collectivité territoriale pourra ainsi réclamer l’allocation de dommages-intérêts en rapportant la preuve de l’existence des conditions classiques de droit commun à savoir l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

Le nom de la ville est le signe de son identité qui a plusieurs voies de droit pour la faire reconnaître.

Source : La gazette des communes, des départements et des régions, n°24/2274, La protection civile du nom des collectivités par Francesca Paggi et Danielle De Palma 

• La co création face au droit d’auteur 

Il ne s’agit pas, ici, d’étudier une œuvre qui serait crée par deux artistes reconnus. Il s’agit plutôt de s’intéresser à la participation d’un autre intervenant et non des moindres : le public.

En effet, avec le courant du « maker movement », le public crée, détourne, les œuvres existantes notamment grâce à l’essor du numérique qui rend cette collaboration plus simple et plus diversifiée. Il convient donc de s’interroger sur les conséquences de ce nouveau phénomène de co création.

Tout d’abord, la co création consiste en « une série d’échanges et de partage de connaissances entre les partenaires d’un projet » les participants étant au centre du processus. Pour que la co création soit menée à bien, la participation du public est requise. De plus en plus, la co création directe du public est possible. En effet, grâce aux nouvelles technologies, le public peut participer à la réalisation d’un clip-vidéo ou procéder au crow funding (consistant à chercher le financement d’un projet de création auprès d’une communauté d’individus). Ces procédés permettant non seulement à l’artiste de se faire connaître mais également de créer un lien privilégié avec son public.

La question qui se pose alors est de savoir comment gérer la co-création. Pour pouvoir y répondre, compte tenu de la complexité de la notion et afin d’y voir plus clair, il a été dégagé 5 formes de co création ;

– Une co création pilotée par l’auteur
– Le public qui laisse libre cours à son imagination mais en maintenant l’état d’esprit originel de l’artiste
– Une large participation du public sans communauté de partage
– Un public moteur de l’œuvre en proposant des idées (pour un scénario de film par exemple)
– Une collaboration collective intense par laquelle le public est invité à partager et à participer à l’idée.

Quand bien même l’idée paraît séduisante, il n’en demeure pas moins qu’elle présente un risque : qu’en est-il de l’œuvre ? L’artiste ne risque-t-il pas de perdre tout contrôle sur son œuvre ? La question mérite d’être posée.

L’unicité de l’œuvre de l’artiste doit être protégée. Toutefois, certains artistes ne voient pas d’inconvénients à ce que la musique –par exemple- soit libre de droit et par conséquent libérée des droits de propriété intellectuelle. Mais, ce système doit être respecté et il convient de rappeler que « si l’artiste peut renoncer explicitement à ses droits patrimoniaux afin de placer son œuvre dans le domaine public, la paternité de l’œuvre doit être respectée lors de sa diffusion, en citant le nom de l’artiste ». Ainsi, les perspectives modernes de la co création et le droit d’auteur doivent s’articuler. Le droit de la propriété intellectuelle, tel qu’il est conçu et prévu par notre système normatif ne peut être remis en cause par ces nouveaux procédés quand bien même ces derniers sont louables. En effet, on remarque que plus la co création est forte, plus l’œuvre est éphémère, ce qui met en danger sa pérennité.

De ce fait, quand bien même la co création, possible en grande partie grâce à l’ère numérique favorisant ainsi le partage des connaissances et la collaboration, ne doit pas pour autant donner naissance à des œuvres qui appartiendront à tout le monde et au final… à personne.

Source : Mensuel du droit et de la gestion des professionnels des arts et de la culture, juin 2015, n°25, Arrêt sur image : co création : enjeux et perspectives, par Caroline Riché et Amélie Clauzel

• Les conséquences de l’introduction de la « liberté de panorama » en droit d’auteur 

La « liberté de panorama » prévue par la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 permet la reproduction d’une œuvre protégée qui se trouve de façon permanente dans l’espace public, sans autorisation, ni rémunération du titulaire du droit.

Toutefois, cette exception ne fait pas parti du système français. En effet, l’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit qu’une œuvre est protégée par le droit d’auteur jusqu’à 70 ans après la mort de l’artiste. De cette façon, la reproduction d’une œuvre dans l’espace public de manière permanente requiert nécessairement l’autorisation préalable de son auteur ou de ses ayants-droits. Certains députés pointent du doigt la nécessité d’adapter le droit d’auteur au contexte numérique actuel en insérant l’exception de panorama dans notre législation. A cet égard, la secrétaire d’Etat au numérique souhaite introduire cette notion dans le futur projet de loi consacré au numérique.

Il convient alors de s’interroger sur les éventuelles conséquences de l’introduction de la liberté de panorama au sein du droit d’auteur français.

• Des définitions nécessaires
Afin de mieux cerner cette exception, il faudrait que les futurs projets de loi puissent définir ce qu’on entend par « espace public ». Entend-t-on par là uniquement l’extérieur des bâtiments publics ou également leur intérieur ?
En outre, quelles sont les œuvres concernées par la liberté de panorama ? Il convient de rappeler que la liberté de panorama ne pourra être mise en œuvre que si l’œuvre « se trouve de façon permanente dans l’espace public ». De ce fait, toutes les œuvres installées temporairement ou les œuvres n’ayant pas vocation à demeurer (telles que des chorégraphies) ne peuvent rentrer dans le champ d’application de la liberté de panorama.
Enfin, de quelle reproduction s’agit-il ? Lors du projet de loi copie privée en 2011, ce dernier a rappelé que tous les supports sont concernés qu’il s’agisse de dessins, de peintures ou de photographies.

• L’influence d’internet et des réseaux sociaux
L’insertion dans notre législation de la liberté de panorama est une nécessité au regard de l’ère numérique. En effet, comme nous pouvons l’observer tous les jours, de nombreuses œuvres, toujours protégées par le droit d’auteur, sont reproduites sur internet sans que leurs auteurs puissent bénéficier d’une quelconque contre partie financière. Ainsi, l’introduction du concept de la liberté de panorama ne pourrait qu’accentuer cette perte pour les artistes. Afin de pouvoir amoindrir cet inconvénient, certains auteurs proposent que la liberté de panorama –et donc la reproduction permanente de certaines œuvres dans l’espace public- soit possible uniquement pour des usages non-commerciaux afin qu’aucun bénéfice ne soit perdu pour l’auteur de l’œuvre. Il faudrait alors, prévoir un système dans lequel la reproduction de l’œuvre donnerait lieu à une rémunération légale.

• Les alternatives à la liberté de panorama
Dans la mesure où cette exception n’existe pas-encore- en droit français, la Cour de cassation utilise différentes variantes de la liberté de panorama. En effet par la théorie de l’accessoire, de l’exception de courte citation ou de droit à l’image du bien. Toutefois, en dépit de la qualité de ces théories, il n’en demeure pas moins qu’elles couvrent un champ d’application trop réduit. Alors que la théorie de l’accessoire et l’exception de courte citation ne permettent pas d’inclure dans leurs champs d’application la reproduction intégrale de l’œuvre, le droit à l’image du bien, quant à lui, ne concerne que reproductions « à but exclusif d’information immédiate », ce qui réduit une fois de plus la possibilité de reproduction.

Ainsi, l’introduction de la liberté de panorama dans notre système entraînerait des conséquences non négligeables. Il appartiendra ainsi au législateur d’en définir précisément les contours.

Source : Palimpseste, Revue communication, commerce, électronique, n°59, juin 2015, La liberté de panorama, vers une nouvelle exception au droit d’auteur par Bérénice Deutsch et Eloïse Fuchs

PROCEDURE 

• La frontières entre les conditions de recevabilité et le bien fondé de la demande 

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 11 février 2015, n°14-10009

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 5 mars 2015, n°14-11425

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 10 mars 2015, n°12-27139

Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 19 mars 2015, n°13-26594

Par ces quatre espèces, la Cour de cassation revient sur la distinction entre la recevabilité de la demande et son bien-fondé. En effet, dans les quatre arrêts, les juges du fond ont déclaré des demandes irrecevables pour ensuite les rejeter comme mal fondées.

La Cour de cassation casse ses arrêts pour excès de pouvoir, sanction sévère dans la mesure où cette cassation constate que les juges du fond ont dépassé leurs prérogatives. Par ce motif, l’objectif de la Cour de cassation est de rappeler les notions inhérentes à la procédure civile.

Ainsi ;

– Une fin de non-recevoir est définie par l’article 22 du Code de procédure civile qui dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen du fond, pour défaut du droit d’agir ». Cette dernière permet donc de rejeter sans examen de son bien fondé une demande ou une défense qui ne remplit pas les conditions de recevabilité.

– Le bien fondé, quant à lui, ne se réfère qu’aux seuls arguments juridiques de la demande. Ainsi, la vérification des conditions de recevabilité est un préalable obligatoire à l’examen du bien fondé de la requête. Si ces dernières ne sont pas acquises, les juges ne pourront, et ne devront pas examiner le bien fondé juridique des arguments en présence.

Comme nous pouvons le constater, les deux notions sont antinomiques. Par conséquent, les juges du fond ne peuvent pas statuer au fond après avoir déclaré une demande irrecevable sous peine de voir leur arrêt censuré pour excès de pouvoir.

Source : La gazette du Palais, 16-16 juin 2015, n°165 à 167, Chronique de jurisprudence de procédure civile par Soraya Amrani-Mekki 

• L’obligation pour le juge des référés de respecter le principe du contradictoire 

Conseil d’Etat, 7 mai 2015, Compagnie nationale du Rhône, n°385235

En l’espèce, la Compagnie nationale du Rhône, concessionnaire du domaine public fluvial de l’Etat demande au juge des référés du tribunal administratif de Marseille de sommer à une société de quitter une parcelle du domaine public dans la mesure où cette dernière l’occupe sans droit ni titre.

Le juge des référés fait droit à cette demande une astreinte de 1500 € par jour d’occupation a été décidée.

Quelques temps après, la société n’ayant pas quitté les lieux, le concessionnaire demande au juge des référés de liquider l’astreinte allant du 1er avril 2014 au 30 juin 2014. Cette demande ayant été rejetée, la société demanderesse se pourvoit en cassation au motif que l’ordonnance du juge des référés rejetant la demande aurait été rendue sous l’empire d’une procédure irrégulière dans la mesure où elle n’aurait pas pu produire ses observations au mémoire en défense émanant de la société défenderesse. En effet, la société requérante a été invitée à « produire ses observations éventuelles aussi vite que possible afin de ne pas retarder la mise en état d’être jugé du dossier » et qu’en outre, l’ordonnance attaquée avait été rendue sans tenue d’une audience publique.

Le Conseil d’Etat considère que le principe du contradictoire n’ayant pas été respecté l’ordonnance rejetant la demande de la société requérante doit être annulée. En effet, le Conseil d’Etat relève que d’une part, la Compagnie nationale du Rhône n’avait pas connu le délai dans lequel elle était autorisée à produire ses observations en réplique, la notification du mémoire en défense mentionnant seulement que les observations devaient se faire le plus vite possible. D’autre part, le fait que l’ordonnance soit rendue sans la tenue d’une audience publique a empêché la société requérante d’exposer ses observations oralement avant que le juge ne statue.

Cet arrêt du Conseil d’Etat est la conséquence logique des articles L.522-1 alinéa 1 et R.522-4 du code de justice administrative disposant que « le juge des référés statue au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale » et que « les délais les plus brefs sont donnés aux parties pour fournir leurs observations. Ils doivent être rigoureusement observés, faute de quoi il est passé outre sans mise en demeure ». En outre, un arrêt du 29 juillet 2002 Domah a précisé que si les parties ne sont pas convoquées à une audience, le juge des référés doit procéder la communication d’un délai lorsqu’il fonde sa décision sur des éléments contenus dans le mémoire de la partie adverse. Ainsi, quand bien même le juge des référés n’est pas tenu de compléter l’instruction écrite par la tenue d’une audience lorsqu’il statue sur la liquidation d’une astreinte dont il a assorti l’injonction faite à l’une des parties, ce dernier doit respecter le principe du contradictoire.

Source : Contrats et marchés publics, n°7, Juillet 2015, Commentaires de jurisprudences, Référé, mesures utiles, respect du contradictoire, par Jean-Paul Pietri

DROIT EUROPEEN 

• La jurisprudence 2014 de la Cour de justice de l’Union européenne en matière de commande publique 

La Cour de justice de l’Union européenne a, au cours de l’année 2014, délivré un nombre important d’arrêts consacrés à la commande publique sur lesquels il convient de s’attarder.

1- Champ d’application de la directive 2014/18

A- Notion de marchés de travaux

• CJUE, 10 juillet 2014, Impresa Pizzarotti & C.Spac/ Cne Bari et a, affaire C-213/13
Cet arrêt posait la question suivante : un engagement de donner en location des biens non encore construits peut-il être qualifié de marché de travaux ?
Si la Cour rappelle le principe en vertu duquel les règles relatives aux marchés de travaux ne sont pas applicables aux contrats location de bâtiments existants, ce dernier a été tempéré au regard des faits d’espèce. En effet, dans la mesure où le bâtiment n’était pas construit au moment où était conclu l’engagement, sa construction résultait d’une part, de cet engagement lui-même et d’autre part du fait que l’ouvrage répondait à des besoins précisés par le pouvoir adjudicateur. Ainsi, le fait que l’objet du contrat ne soit pas la location mais la réalisation de l’ouvrage pour ensuite procéder sa location, confère au contrat la qualité de marché de travaux.
Contrairement au droit français, et plus particulièrement des dispositions issues de la loi MOP du 12 juillet 1985, le fait que l’ouvrage deviendra ou non la propriété du pouvoir adjudicateur est sans incidence.

B- Champ d’application de l’exception du « in house »
• CJUE, 19 juin 2014, Centro Hospitalar de Setubal EPE c/ Serviço de Utilizaçao Comun dos Hospitals (SUCH), affaire C-574/12
Par cette décision, la Cour permet de rappeler les conditions strictes de l’existence d’une relation in house entre un pouvoir adjudicateur et une entité juridiquement distincte de lui. Ainsi,
– La condition relative au « contrôle analogue » (le pouvoir adjudicateur doit exercer sur l’entité attributaire du marché un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services) n’est pas remplie lorsque l’entité attributaire d’un marché public est une association d’utilité publique sans but lucratif qui compte parmi ses sociétaires des institutions privées. Ici, il convient de souligner que les institutions privées n’étaient pas des entreprises commerciales avec un capital social mais des associations sans but lucratif. En dépit de cela, la Cour considère que la relation in house ne peut exister dans la mesure où « l’attribution sans mise en concurrence par un pouvoir adjudicateur d’une marché à une entité distincte juridiquement de lui est susceptible de conférer à cette entité un avantage par rapport à ses concurrents », une association pouvant donc obéir à des considérations propres à leurs intérêts privés qui différent des objectifs d’intérêt public par le pouvoir adjudicateur.

2- Règles de passation
A- Candidatures
1. Exclusions
CJUE, 10 juillet 2014, Consorzio Stabile Libor Lavori publici c/ Cne Milan, affaire C-358/12
La Cour précise que les Etats membres peuvent prévoir des motifs d’exclusion supplémentaires quand bien même le caractère exhaustif des motifs d’exclusion prévus par les directives a été affirmé. Toutefois, la Cour insiste sur le fait que les motifs d’exclusion ne doivent pas présenter un caractère disproportionné lorsque, par exemple, l’exclusion est systématique ou automatique.
La condition de la proportionnalité est remplie dès lors que l’exclusion est fondée sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance.

CJUE, 6 novembre 2014, Cartiera dell’Adda Spa c/ CEM Abiente SPA, affaire C-42/13
Il est acquis qu’un candidat peut être exclu dès lors que son offre est incomplète ou comporte des inexactitudes.
En l’espèce, le cahier des charges prévoyait que l’absence de procédure pénale ou de condamnation passée à l’encontre du directeur technique devait être jointe sous peine d’exclusion de la candidature.
Toutefois, la Cour précise que les Etats membres ne sont pas contraints d’autoriser un candidat à apporter des compléments ou de rectifier les informations fournies à l’appui de leur candidature une fois le délai de dépôt imparti expiré. En effet, l’invitation à compléter ou à rectifier un document n’est qu’une faculté laissée à la discrétion de la réglementation des Etats membres.

CJUE, 18 décembre 2014, Generali-Providencia Biztosito Zrt c/ Közbeszerzési Hatosag Közbeszerzési Döntobizottsag, affaire C-470/13
Un candidat à une procédure de passation de marché public d’assurance s’est fait exclure en raison d’une condamnation pour infraction aux règles de la concurrence dans la mesure où cette dernière a passé des accords avec des concessionnaires automobiles.
Pour la CJUE, une telle infraction constitue « un motif légitime d’exclusion »

2. Candidature des personnes publiques à des contrats de la commande publique
CJUE, 18 décembre 2014, Azienda Ospedaleri-Universitaria Careggi-Firenze c/ Date medical Service Srl, affaire C-568/13
Afin qu’une personne publique puisse candidater à l’obtention d’un marché public, son activité doit être compatible avec ses objectifs institutionnels et statutaires. En outre, et la Cour de justice de l’Union européenne est plus souple que le juge national, dans la mesure où lorsque la candidature d’une personne publique est retenue, il n’est pas imposé à cette dernière de mettre en œuvre des mesures correctrices autres que celles découlant du contrôle des offres anormalement basses.

B- Choix des offres
CJUE, 9 octobre 2014, Royaume d’Espagne c/ Commission européenne, affaire C-641/13
Par cet arrêt, la Cour affirme que l’expérience sur des marchés antérieurs ne peut constituer un critère de sélection des offres.

C- Modalités d’exécution du marché
CJUE, 18 septembre 2014, Bundesdruckerei c/ Stadt Dortmund, affaire C-549/13
En l’espèce, le pouvoir adjudicateur –basé en Allemagne-, a voulu imposer, dans l’attribution d’un marché public, que les candidats s’engagent à verser à leurs salariés et à leurs sous-traitants –se situant en Pologne- un salaire horaire minimum de 8,62 €. L’un des candidats argue du fait qu’il n’a pas à respecter cette obligation dans la mesure où la loi polonaise ne l’impose pas.
La Cour va juger à cet égard que « le caractère convenable de la rémunération doit s’apprécier au regard de la réglementation de l’Etat où la prestation est effectuée ». Par conséquent, en raison du coût de la vie dans l’Etat polonais, cette exigence ne peut être mise en œuvre. Cette décision s’explique par le fait que la réalisation de la prestation n’aura pas lieu en Allemagne mais en Pologne. Par conséquent, appliquer dans ce pays le salaire minimal imposé en Allemagne est disproportionné par rapport à l’objectif de protection des travailleurs.

3- Recours
CJUE, 11 septembre 2014, Ministerio dell’ Interno c/ Fastweb spa, affaire C-19/13
Lorsque le pouvoir adjudicateur a publié un avis d’attribution, ce dernier doit comporter la justification de la décision d’attribuer le marché sans publication d’un avis préalable et les raisons ayant motivées le pouvoir adjudicateur à se dispenser de cette publicité. Cette faculté étant autorisée par l’article 2 quinquies paragraphe 4 de la directive 89/665, le juge devra alors vérifier que les conditions posées par les directives pour se passer de publicité sont respectées. A défaut, le contrat sera dépourvu d’effets.

Source : Revue contrats et marchés publics, n°6, juin 2015, Un an de droit de l’Union européenne de la commande publique par Willy Zimmer 

DROIT DE L’AMÉNAGEMENT URBAIN 

• La consecration par le Conseil d’Etat de la domanialité publique globale verticale

Conseil d’Etat, 19 novembre 2014, R2gie municipale “Espaces Cauterets”, n°366276 

En l’espèce, une société a pu exploiter un bar restaurant à l’intérieur du bâtiment de la gare d’arrivée du téléphérique d’un domaine. Ce bâtiment a été désaffecté sur le territoire d’une commune. Toutefois, à l’expiration de dernière convention, la société s’estimant titulaire d’un bail commercial a refusé de signer la convention d’occupation du domaine public proposée par la commune. Par conséquent, la commune a mis en demeure la société de quitter les lieux ainsi que de supprimer la cabane de restauration rapide aménagée sur la terrasse devant le restaurant. La cour administrative d’appel s’est dans un premier estimée incompétente afin de prononcer l’expulsion de la société mais la condamne à démonter la cabane. La régie municipale « Espace Cauterets » se pourvoit alors en cassation en raison de la décision de la cour administrative d’appel concernant l’expulsion de la société.

Ainsi, toute la question est de savoir si les locaux exploités par la société défenderesse font parti du domaine public auquel cas le juge administratif serait compétent. Le conseil d’Etat va répondre à cette question en précisant au préalable que « lorsqu’un bien appartenant à une personne publique a été incorporé dans son domaine public, il ne cesse d’appartenir à ce domaine que du fait d’une décision express de déclassement ». Or en l’espèce, les faits nous indiquent seulement que les locaux ont simplement été désaffectés sans qu’il soit fait mention d’un acte de déclassement.

Ceci étant dit le Conseil d’Etat statue sur la compétence du juge administratif en estimant que « l’ensemble immobilier accueillant l’ancienne gare d’arrivée du téléphérique du domaine du Lys a été affecté au service public des remontées mécaniques et fait l’objet d’un aménagement spécial ; que tous les locaux compris dans l’enceinte de cet ensemble immobilier, éléments d’une organisation d’ensemble contribuant à l’utilité générale de cet équipement, ont été incorporés dans le domaine public dont la régie municipale « Espace Cauterets » en est le gestionnaire ». Ainsi, le Conseil d’Etat reconnaît la compétence du juge administratif et parallèlement, le fait que les locaux fassent parti intégrante du domaine public. C’est grâce à cette qualification que le litige peut se résoudre dans la mesure où le Conseil d’Etat précise que «l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est justifié à demander au juge administratif l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine ».

Cet arrêt mérite d’être souligné dans la mesure où le Conseil d’Etat utilise la théorie de la domanialité publique globale verticale. En effet, quand bien même la cour administrative d’appel relève –et à juste titre- que l’ensemble immobilier litigieux était certes utilisé partiellement par un service public, il n’en demeure pas moins que ce dernier n’a jamais été affecté ni à l’usage direct du public ni à ce service. Ainsi, ils ne pourraient faire parti du domaine public.

La solution du Conseil d’Etat s’explique par le fait que ce n’est pas sur une affectation à un service public ou à l’usage direct du public que le juge fonde la domanialité publique globale, mais sur l’utilité publique de l’ensemble de l’équipement. Toutefois, il convient de rappeler que « la domanialité publique globale verticale » ne peut être reconnue comme telle si un parti de l’ensemble immobilier ne répond pas à la définition du domaine public (affectation à un service public ou à l’usage direct du public). Ainsi, pour que le concept de la domanialité publique globale verticale s’applique, il suffit que le bien auquel est appliqué ce régime concoure à l’utilité publique de l’ensemble auquel il appartient.

Source : AJDA, n°21, 22 juin 2015, Jurisprudence commentée : la domanialité publique verticale, par Norbert Foulquier 

• Un projet d’intérêt général ne doit pas avoir nécessairement de lien avec un plan d’élimination des déchets

Conseil d’Etat, 30 mars 2015, Société Sita Ile-de-France, n°375117 n°366276 

En l’espèce, le préfet avait donné à un centre de stockage des déchets la qualification de projet d’intérêt général. Toutefois la Cour administrative d’appel a estimé que cette qualification ne pouvait être donnée dans la mesure où aucune personne publique n’envisageait de recourir à l’expropriation pour la réalisation du projet. Concernant, cet argument le Conseil d’Etat précise que « peut constituer un projet d’intérêt général un projet ayant fait l’objet d’une délibération ou d’une décision émanant d’une personne ayant la capacité d’exproprier, que celle-ci ait ou non l’intention de recourir à l’expropriation ».

En outre, la Cour administrative d’appel avait également argué du fait que la réalisation de l’ouvrage en cause n’était pas inscrite dans le plan d’élimination des déchets ménagers et assimilés faute d’approbation de celui-ci. Le Conseil d’Etat va alors juger qu’ « un projet d’intérêt général a pour seul objet sa prise en compte dans un document d’urbanisme et doit conduire à la modification ou à la révision du document existant ». Ainsi, d’une part, un projet d’intérêt général n’a pas à être compatible avec un plan d’élimination des déchets et d’autre part, le préfet peut parfaitement qualifier un centre de stockage des déchets de projet d’intérêt général quand bien un plan d’élimination des déchets n’existerait pas.

Source : RDI, n°7/8, Juillet/Août 2015, Chroniques : Urbanisme, par Pierre Soler-Couteaux