Michel HUET
En collaboration avec Lisa DELOUM

Urbanisme

La création d’emplacements réservés ne peut servir à l’acquisition d’équipements préexistants. 

CAA Marseille, 15 janvier 2016, n° 14MA03478 

Pour créer deux emplacements réservés, une commune a procédé à la modification de son plan d’occupation des sols (POS). A cette occasion la commune souhaite régulariser une situation dans laquelle les voies d’accès et les places de stationnement de l’école communale sont situées sur une parcelle appartenant à des personnes privées. Ces dernières, voyant leurs parcelles grevées par des emplacements réservés, ont demandé l’annulation de la délibération approuvant la modification du POS. Saisie en appel, la Cour administrative de Marseille prononce l’annulation le jugement du Tribunal administratif de Nîmes qui a rejeté leurs demandes.

Vérifiant que les conditions nécessaires à la création d’un emplacement réservé ont été respectées – à savoir la réalisation de voies et ouvrages publics, d’installations d’intérêt général et d’espaces verts (C. urb., anc. L. 123-1-5) – la Cour administrative d’appel énonce que leur création « ne saurait poursuivre comme objectif de régulariser une situation de fait en procédant à l’acquisition d’équipements préexistants, réalisés sur des parcelles n’appartenant pas à la commune ». 

En l’espèce, la Cour juge que la commune a commis un détournement de procédure en créant un emplacement réservé sur une voie d’accès et des places de stationnement qui existaient à la date d’approbation de la modification du POS, dès lors qu’il s’est agi de permettre à la commune de faire l’acquisition de ces équipements.

Source : AJDA, 6 juin 2016, n°20, p.1104, « Modification d’un POS pour créer un emplacement réservé ». 

L’illégalité d’une décision de tacite opposition ne rend pas le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition. 

CE, 9 décembre 2015, n°390273, Commune d’Asnières-sur-Nouère. 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précise, à défaut de texte, les conséquences de l’illégalité d’une décision tacite d’opposition à autorisation d’urbanisme – en l’espèce une déclaration préalable – née d’une demande injustifiée de pièce complémentaire.

En vertu des dispositions du code de l’urbanisme (C. urb., R. 423-22 et s. ; R. 424-1), la décision de non-opposition à déclaration préalable naît un mois suivant le dépôt du dossier, et le délai d’instruction peut être interrompu en cas de demande expresse de pièces complémentaires notifiée par l’autorité compétente. A défaut de production de celles-ci par le pétitionnaire dans un délai de trois mois suivant la réception de cette demande, naît une décision tacite d’opposition à la déclaration ou de tacite rejet du permis. En cas de production des pièces manquantes, un nouveau délai d’instruction d’un mois court à compter de leur réception.

Le Conseil d’Etat relève d’une part, qu’est illégale la demande de production d’une pièce qui n’est pas requise par le code de l’urbanisme ; d’autre part, que l’illégalité de cette demande « est de nature à entacher d’illégalité la décision tacite d’opposition prise en application de l’article R. 423-39 du code de l’urbanisme ». Il précise toutefois que l’illégalité de la décision de tacite opposition « ne saurait avoir pour effet de rendre le pétitionnaire titulaire d’une décision implicite de non-opposition ». 

Source : AJDA, 6 juin 2016, n°20, p.1140, « Quelles conséquences tirer d’une demande injustifiée de pièces complémentaires ? », Francis Polizzi. 

Environnement

L’originalité des PPRNP : exclusion du champ de l’évaluation environnementale et application anticipée. 

Aux termes de l’article L. 562-1 du Code de l’environnement, l’objet des plans de prévention des risques naturels prévisibles (PPRNP) est d’une part, de délimiter les zones exposées aux risques et d’y encadrer la constructibilité, l’aménagement et l’exploitation de d’activités ; d’autre part, de définir des mesures de prévention, de protection et de sauvegarde devant être prises par les collectivités publiques et les personnes privées.

Alors que la loi n°76-626 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature avait exclu les plans et programmes de l’étude d’impact, les articles 1 et 2 de la directive 2001/42/CE ont inclus dans le champ de l’évaluation environnementale tous les plans et programmes susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement. L’article 3 de cette directive laisse aux Etat la faculté de soumettre ou non ces plans et programmes à évaluation environnementale. L’article R. 122-17, II, 2° du Code de l’environnement prévoit ainsi que sont susceptibles de faire l’objet d’une évaluation environnementale après un examen au cas par cas le « plan de prévention des risques technologiques prévu par l’article L. 515-15 du code de l’environnement et plan de prévention des risques naturels prévisibles prévu par l’article L. 562-1 du même code ».

Pour autant, malgré la lettre du texte et leur qualification de document d’urbanisme par la jurisprudence (CE, avis, 3 décembre 2001, n° 236910), le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur l’existence ou non d’une obligation d’évaluation environnementale en matière de PPRNP. Dans son arrêt SNC Sally et autres (CE 29 janvier 2014, n° 356085), le Conseil d’Etat conclut à l’exclusion de l’évaluation environnementale dans la procédure d’élaboration ou de réformation des PPRNP. Il relève que « les PPRNP ainsi définis par le législateur ont pour finalité d’assurer la protection civile des populations contre les risques naturels ; qu’il résulte toutefois [de l’article 3 de la directive 2001/42/CE] que ne sont pas couverts par la directive, notamment, les plans et programmes destinés uniquement à des fins de défense nationale et de protection civile ; qu’il résulte clairement de ces dispositions que les plans ou programmes dont la finalité est d’assurer la protection des populations contre les risques naturels n’entrent pas dans le champs d’application de la directive, alors même qu’ils seraient par ailleurs susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».

Par ailleurs, en vertu de l’article L. 562-2 du Code de l’environnement, le préfet peut décider de rendre directement opposables certaines dispositions du PPRNP en cours d’élaboration lorsque l’urgence le justifie. A cet égard, la question s’est posée de savoir si une application anticipée du projet constitue une décision publique ayant une incidence sur l’environnement au sens de l’article 7 de la Charte de l’environnement, « et si, dans cette hypothèse, les dispositions de l’article L. 562-2 du Code de l’environnement sont conformes aux exigences de celui-ci » (CE 6 juin 2014, n° 376807, Cne de Tarascon). Le Conseil constitutionnel saisi de cette question prioritaire de constitutionnalité (Cons. Const., 9 septembre 2014, n°2014-411 QPC) répond par la négative et déclare l’article L. 562-2 conforme à la Constitution. Il en déduit qu’il s’agit d’un acte administratif ordinaire, lequel ne peut être pris qu’à un stade avancé de l’élaboration du plan (C. env., L. 562-2 : « Lorsqu’un projet (…) contient certaines des dispositions mentionnées au [II de l’article L. 562-1] »), et de façon motivée en vertu de la condition de l’urgence.

Source : AJDA, 6 juin 2016, n°20, p.1105, « Les spécificités procédurales des PPRNP », Seydou Traoré. 

Confirmation et renforcement des pouvoirs d’appréciation du juge en matière environnementale avec la jurisprudence Danthony. 

L’arrêt Danthony rendu par le Conseil d’Etat le 23 décembre 2011 (CE, 23 décembre 2011, n° 335477) confère au juge administratif des pouvoirs étendus dans l’appréciation des vices de procédures et leurs effets. En effet, il ressort de cette jurisprudence qu’un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que s’il ressort des pièces du dossier qu’il a été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie.

En matière environnementale, la solution est appliquée de manière systématique sans bouleverser la démarche déjà pragmatique du juge. Procédant à une distinction entre « vice substantiels » et « non substantiels », le juge évalue traditionnellement les effets de l’illégalité externe d’un acte avant d’en prononcer l’annulation, de sorte que l’acte n’était annulé que si le public et l’administration ont été privés d’un élément essentiel à leur bonne information et à la prise de décision. Il est ainsi de jurisprudence constante que le juge doit rechercher si le retard de publication d’un avis d’ouverture d’enquête publique est susceptible de rendre irrégulière la procédure (CE 16 mai 2008, Cne de Cambon-d’Albi, n° 289316).

Cette approche pragmatique du juge est désormais renforcée avec l’application de la jurisprudence Danthony, notamment en ce qui concerne les installations classées, permettant de renforcer la sécurité juridique des autorisations d’exploiter. Dans un arrêt du 27 février 2015 (CE 27 févr. 2015, n° 382502, Min. de l’intérieur), le Conseil d’Etat adapte sa jurisprudence traditionnelle en intégrant la solution Danthony. Il retient ainsi que la méconnaissance des formalités d’ouverture et de publicité de l’enquête publique n’est de nature à vicier la procédure et donc à entraîner l’illégalité de la décision, lorsqu’elle n’a pas permis une bonne information de l’ensemble des personnes intéressées par l’opération ou si elle a été de nature à exercer une influence sur les résultats de l’enquête et, par suite, sur la décision de l’autorité administrative.

En outre, toujours en matière d’installations classées, la jurisprudence protège tant les garanties offertes au public consulté en veillant à leur bonne information lors de l’enquête publique, qu’à celles offertes à l’exploitant. Par exemple, il a été jugé que le respect du délai de convocation de l’exploitant devant la CODERST constitue une garantie au principe du contradictoire, en lui permettant de faire appel au représentant de son choix (CAA Marseille, 27 mars 2012, n° 10MA02054, Sté SNEGBA).

Source : Energie – Environnement – Infrastructure, mai 2016, n°5, p.15,« L’influence de la jurisprudence Danthony en droit de l’environnement », Marylène Fourès. 

Nouvelle reconnaissance d’un préjudice écologique né de la pollution au fuel de l’estuaire de la Loire 

Cass., crim., 22 mars 2016, n° 13-87650 

La raffinerie de Donges, exploitée par le groupe pétrolier Total, a causé d’importants dommages environnementaux dans l’estuaire de la Loire par déversement de fuel né d’une rupture de tuyauterie le 16 mars 2008. En première instance, le tribunal correctionnel de Saint-Nazaire condamne le groupe à une amende et au paiement de dommages et intérêts au titre de préjudices matériel et moral, mais ne reconnait pas le préjudice écologique. Interjetant appel, l’association Ligue pour la protection des oiseaux (LPO), bien que déboutée de sa demande d’indemnisation (« ses frais de fonctionnement n’ont pas de lien direct avec les dommages causés à l’environnement »), obtient de la Cour d’appel de Rennes une reconnaissance implicite de l’existence d’un préjudice écologique.

Faisant application de sa jurisprudence Erika (Crim., 25 septembre 2012, n° 10-82.938), la Cour de cassation rappelle que le préjudice écologique est constitué par une « atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement et découlant de l’infraction ». En outre, elle censure la cour d’appel en ce qu’elle a refusé de reconnaitre l’existence d’un préjudice écologique, tout en retenant la faute qui en résulte : « un préjudice écologique résulte nécessairement des infractions de rejet en mer ou eau salée de substances nuisibles pour le maintien ou la consommation de la faune ou de la flore et de déversement de substances nuisibles dans les eaux souterraines superficielles ou de la mer ».

Par ailleurs, la cour d’appel a privé de base légale sa décision en écartant toute indemnisation au titre du préjudice écologique sur des motifs liés à l’insuffisance ou à l’inadaptation du mode d’évaluation proposé par la LPO, « alors qu’il lui incombait de chiffrer, en recourant, si nécessaire, à une expertise, le préjudice écologique dont elle avait reconnu l’existence, et consistant en l’altération notable de l’avifaune et de son habitat (…) du fait de la pollution ».

Source : Recueil Dalloz, 9 juin 2016, n°21, p. 1236, Aude-Solveig Epstein. 

Commande publique 

Précisions pour l’application de la jurisprudence Tarn-et-Garonne aux concurrents évincés de la conclusion d’un contrat administratif 

CE, 5 février 2016, n°383149, Syndicat des transports en commun Hérault Transport. 

Dans cette affaire, un candidat évincé a obtenu en appel la résiliation d’un marché public conclu entre une société de transport et un syndicat mixte. Saisi en cassation et confirmant la résiliation, le Conseil d’Etat précise les modalités d’application de la jurisprudence Tarn-et-Garonne (CE, 4 avril 2014, n° 358994), laquelle élargit la recevabilité du recours des tiers en contestation de la validité d’un contrat administratif.

Le Conseil d’Etat relève que les modalités du recours des tiers au sens de l’arrêt Tarn-et-Garonne ne s’appliquent qu’à compter du 4 avril 2014. En l’espèce, le recours formé le 7 août 2009 devant le tribunal administratif, doit être apprécié au regard des règles applicables avant la décision Tarn-et-Garonne, « qui permettaient à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure un contrat administratif d’invoquer tout moyen à l’appui de son recours contre le contrat » ; autrement dit, sans justifier d’avoir été lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine.

Par ailleurs, cet arrêt donne des précisions sur les moyens invocables par les concurrents évincés dans le cadre d’un recours Tarn-et-Garonne, lesquels ne peuvent « utilement invoquer, outre les vices d’ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction ».

Source : AJDA, 6 juin 2016, n°20, p.1120, « La jurisprudence Tarn-et-Garonne appliquée aux concurrents évincés », Jean-François Lafaix. 

Domanialité publique 

Précisions sur la jurisprudence relative à la cession de biens publics avec réduction de prix. 

CE, 14 octobre 2015, n°375577, Commune de Châtillon-sur-Seine 

Dans cette affaire le Conseil d’Etat complète sa jurisprudence en matière de cession à une personne privée d’un bien immobilier à un prix inférieur à sa valeur marchande. D’une part, est repris la double condition posée par l’arrêt Commune de Fougerolles (CE, 3 novembre 1997, n° 169473) à savoir que la cession doit être justifiée par des motifs d’intérêt général et comporter des contreparties suffisantes. D’autre part, la jurisprudence Commune de Mer (CE 25 novembre 2009, n° 310208) est précisée quant à l’évaluation des contreparties du rabais.

S’agissant des motifs d’intérêt général, le Conseil d’Etat adopte une conception élargie de l’intérêt général, lequel est caractérisé en l’espèce par la volonté de la commune de mettre fin aux occupations irrégulières de terrains par les gens du voyage en leur permettant un relogement. Ensuite, concernant les contreparties, le juge doit, après avoir vérifié que la cession est justifiée par des motifs d’intérêt général, s’assurer de l’effectivité et de la suffisance des contreparties. En outre, le Conseil d’Etat pose une définition des contreparties, lesquelles s’entendent comme des « avantages que, eu égard à l’ensemble des intérêts publics dont la collectivité cédante a la charge, elle est susceptible de lui procurer ».

Source : AJDA, 6 juin 2016, n°20, p.1125, « La cession de biens publics avec réfaction », Norbert Foulquier. 

Droit penal 

Condamnation de personnes morales pour corruption active d’agents publics étrangers 

Cour d’appel de Paris, Pôle 5, ch. 13, 26 février 2016, n°13-09208 

Dans cet arrêt relatif à l’affaire dite Pétrole contre nourriture, la Cour d’appel de Paris infirme le jugement du tribunal correctionnel qui a prononcé la relaxe des personnes physiques et morales françaises impliquées. Il était reproché à ces dernières d’avoir versé des pots de vin à des dirigeants irakiens à l’occasion de l’achat de pétrole, afin d’acquérir des barils supplémentaires au-delà des quotas imposés par le programme humanitaire Pétrole contre nourriture. En raison de sa condamnation aux Etats-Unis pour les mêmes faits, une des deux personnes morales (la société Total et la société de courtage pétrolier Vitol LTD) poursuivies invoquait la règle non bis in idem.

D’abord sur l’application de l’infraction de corruption active d’agents publics étrangers, appliquant les dispositions de l’article 435-3 du Code pénal, la Cour d’appel donne des précisions sur un des éléments constitutifs à savoir la perception d’un paiement « sans droit ». Il s’agissait de déterminer si le droit irakien permettait la transaction litigieuse. Les prévenus faisaient ainsi valoir que les quotas imposés sur les ventes de barils résultaient d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, laquelle n’a pas été intégrée au droit irakien de sorte qu’aucune disposition de ce droit s’opposait à la transaction. Pour autant, la Cour d’appel de de Paris relève que les ventes de pétrole à des sociétés étrangères étaient régies par ladite résolution. Ainsi, les surcharges perçues par les agents irakiens contraires à la résolution, constituent des paiements « sans droit », et ce, peu important l’enrichissement personnel de l’agent corrompu.

Concernant la règle non bis in idem transnationale, celle-ci est, en droit français, inapplicable lorsque les juridictions sont compétentes territorialement comme en l’espèce. A contrario, la règle s’applique lorsque leur compétence est extraterritoriale (C. pén., art. 113-9 ; C. proc. pén., art. 692). Mais pour rejeter la règle, la cour d’appel approuve d’abord le tribunal correctionnel dans son interprétation de l’article 14, 7° du Pacte international sur les droits civils et politique, en vertu duquel « nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure de chaque pays ». Elle relève d’une part, que le Pacte « ne soumet pas l’application de la règle à la condition que l’État poursuivant les faits en second fonde son action sur une application extra territoriale de la loi pénale et n’assortit la règle d’aucune condition liée à la mise en œuvre transnationale », d’autre part, « que le risque de procédures multiples s’accroît, il est légitime que la protection des justiciables s’insère dans la même logique ». Enfin, la règle non bis in idem ne pouvait s’appliquer en raison d’une qualification juridique différente retenue aux Etats-Unis (« grand larceny » ou vol aggravé) : « Dès lors que la décision de la Cour de NYC et l’infraction soumise à la cour, à la supposer établie, sanctionnent des intérêts différents ».

Source : Recueil Dalloz, 9 juin 2016, n°21, p. 1240, « Première condamnation française de personnes morales pour corruption transnationale », Juliette Lelieur.