Michel HUET avec la collaboration de Clémence Desplancke
Le juge du référé suspension de droit commun et le contrat administratif : un bilan jurisprudentiel mitigé
Le référé-suspension en matière contractuelle, une procédure innovante
Deux arrêts récents du Conseil d’Etat consacrent une véritable avancée dans le dispositif de protection provisoire.
L’arrêt Tropic (CE 17 juillet 2007 Tropic), permet aux concurrents évincés de la conclusion d’un contrat administratif de former un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines clauses qui en sont divisibles.
Cette jurisprudence offre la possibilité d’obtenir une mesure provisoire de suspension après la signature du contrat. Le référé-suspension doit cependant viser un contrat administratif qui n’a pas été totalement exécuté, sous peine de perdre son objet, et être l’accessoire d’un recours principal recevable.
La situation des cocontractants de l’administration a également connu une évolution avec la décision Commune de Béziers II, rendue par le Conseil d’Etat le 21 mars 2011, selon laquelle le cocontractant peut demander l’annulation des mesures de résiliation d’un contrat administratif en formant un « recours de plein contentieux contestant la validité de cette mesure et tendant à la reprise des relations contractuelles ».
Le juge des référés peut désormais également suspendre de telles mesures, ce qui revient à ordonner la reprise provisoire des relations contractuelles.
Les limites de cette innovation
Les conditions relatives à la mise en œuvre du référé-suspension amoindrissent considérablement l’enthousiasme que cette évolution avait suscité.
L’arrêt Commune de Béziers II oblige le requérant à former un recours de plein contentieux contestant la validité de la mesure de résiliation. Or, il était plus aisé pour le cocontractant d’obtenir l’annulation de la reprise des relations contractuelles.
De surcroît, le recours dont disposent les tiers au contrat s’avère être plus efficace que celui des parties. En effet, les tiers peuvent exercer un référé-suspension de droit commun dont les conditions sont l’urgence et l’existence d’un simple doute sérieux quant à la légalité de l’acte. Cela semble illogique étant donné que les tiers sont moins touchés par le contrat que les parties.
Ensuite, l’appréciation par le juge des conditions de la recevabilité du référé-suspension est très sévère. Ainsi, les demandes de suspension dans le cadre du recours Tropic et du recours Commune de Béziers II sont quasiment systématiquement rejetés du fait de l’appréciation très rigoureuse de la condition d’urgence, qui selon l’auteur, devrait plutôt être présumée.
Les revues JurisClasseur, 15ème année, mai 2014, Le juge du référé-suspension de droit commun et le contrat administratif : un bilan jurisprudentiel mitigé par Assem Sayede Hussein, p. 12 à 18
La dispense du délai de recours en matière de travaux publics et la décision opposant la prescription quadriennale
• CE, sect., 6 décembre 2013, Commune d’Etampes, n°344062
L’arrêt Commune d’Etampes rendu le 6 décembre 2013 par le Conseil d’Etat a élargi le champ d’application de la dispense de délai de recours en matière de travaux publics. En effet, le Conseil d’Etat opère un revirement de jurisprudence en soustrayant le contentieux de la décision opposant la prescription quadriennale à la condition de délai.
En l’espèce, un particulier était propriétaire d’un immeuble qui a fait l’objet de plusieurs désordres. Une première expertise avait démontré que les dommages résultaient de la rupture d’une canalisation d’évacuation des eaux usées Une seconde expertise a eu lieu 4 ans plus tard et a conclu à la persistance de ces désordres. Le propriétaire a donc demandé à la commune le versement d’une indemnité d’un montant égal au coût de remise en état de l’immeuble. Le maire d’Etampes a refusé d’y faire droit en opposant la prescription quadriennale.
Le propriétaire a saisi le tribunal administratif de Versailles qui a déclaré sa requête irrecevable au motif que la décision de la prescription n’avait pas fait l’objet d’un recours dans les deux mois de sa notification. La cour administrative d’appel a annulé ce jugement en écartant l’application du délai de recours à la décision opposant la prescription quadriennale dans le cadre de cette action en responsabilité extracontractuelle pour dommage de travaux publics. Le Conseil d’Etat a confirmé cet arrêt.
Si, par cette décision, le Conseil d’Etat a voulu simplifier l’état du droit en matière de travaux publics, une nouvelle question se pose : quid de l’application de la dispense de délai de recours à l’acte opposant la prescription quadriennale en cas de contestation relevant du recours pour excès de pouvoir ?
Le Conseil d’Etat, après avoir rappelé l’article R. 421-1 du code de justice administrative qui dispose que « sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée », entérine la jurisprudence constante selon laquelle, dans le contentieux de la responsabilité, l’existence d’une décision ne fait pas renaître le délai de recours.
Cette décision crée une rupture au sein du contentieux de la prescription quadriennale étant donné que l’on distingue désormais ce qui relève du domaine des travaux publics des autres domaines.
L’auteur s’interroge donc, ainsi que l’avait fait le Conseil d’Etat dans un rapport de 1993, sur la pertinence de la persistance de cette règle.
En ce qui concerne le recours pour excès de pouvoir, celui-ci reste hors du champ d’application de la dispense de délai en matière de travaux publics. Cependant, le juge administratif assimile le recours pour excès de pouvoir dans le cadre de la jurisprudence Lafage (qui concerne les contentieux pécuniaires) à un recours de plein contentieux afin de faire bénéficier le requérant de la dispense de délai.
AJDA, n°17, 19 mai 2014, La dispense du délai de recours en matière de travaux publics et la décision opposant la prescription quadriennale par Charles Froger, p. 993-996
Droit de l’architecture
Fixation de la rémunération du maître d’œuvre
• CE, 10 févr. 2014, Communauté d’agglomération Tour(s), n°367821
L’article 9 de la loi MOP du 12 juillet 1985 établit les règles qui gouvernent la rémunération définitive des maîtres d’œuvre. Cette rémunération tient compte de l’étendue de la mission, de la complexité des travaux, ainsi que de leur coût.
Le Conseil d’Etat rappelle que la rémunération forfaitaire du maître d’œuvre est liée au coût prévisionnel des travaux. En général, ce coût ne peut être établi à la date de la conclusion du contrat de maîtrise d’œuvre. Dans ce cas, la rémunération forfaitaire du maître d’œuvre sera fixée à titre provisoire compte tenu de l’estimation prévisionnelle provisoire des travaux.
La rémunération définitive du maître d’œuvre sera ensuite fixée, par les parties, par avenant en fonction du coût prévisionnel des travaux arrêté lors du lancement de la consultation des entreprises à partir des études d’avant-projet définitif. En l’espèce, un tel avenant n’avait pas été conclu. Cependant, les parties avaient décidé de retenir le coût prévisionnel des travaux évalué dans l’avant-projet définitif comme élément de calcul du montant du forfait définitif de rémunération, ce qui est tout à fait possible selon le Conseil d’Etat.
Les revues JurisClasseur, 15ème année, mai 2014, Fixation de la rémunération du maître d’œuvre par Willy Zimmer, p.25-26
Condition du versement d’une rémunération supplémentaire du maître d’œuvre
• CE, 10 févr. 2014, Sté Arc Ame, n°2014-002256
Le Conseil d’Etat rappelle que la rémunération du maître d’œuvre revêt un caractère forfaitaire mais que cela n’exclut pas une éventuelle augmentation en cas de modification de programme ou de prestations décidées par le maître de l’ouvrage. La seule condition étant que cette augmentation soit subordonnée à l’existence de prestations supplémentaires de maîtrise d’œuvre utiles à l’exécution des modifications décidées par le maître de l’ouvrage. En effet, le Conseil d’Etat a décidé que cette augmentation n’avait pas à faire l’objet ni d’un avenant ni d’une décision expresse de la part du maître de l’ouvrage.
Les revues JurisClasseur, 15ème année, mai 2014, Condition du versement d’une rémunération supplémentaire du maître d’œuvre par Willy Zimmer, p.26-27
Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement
Lorsqu’un opérateur acquiert un bien immobilier en vue de réaliser une opération d’aménagement ou de construction, il vérifie au préalable que les caractéristiques physiques du bien et que le droit qui lui est applicable permettent de réaliser l’opération qu’il souhaite. Ce qui explique pourquoi en général les acquisitions de ce type sont précédées par la conclusion de promesses de vente sous la condition suspensive de l’obtention des diverses autorisations administratives auxquelles la réalisation de ces opérations est subordonnée.
L’acquisition par un opérateur d’un bien immobilier dans l’objectif de réaliser une opération d’aménagement ou de construction est en général précédée par la conclusion de promesses de vente sous la condition suspensive de l’obtention des diverses autorisations administratives nécessaires à la réalisation de ces opérations. Ce qui paraît être une simple formalité se révèle plus compliqué lorsque l’on est en présence d’un bien qui fait partie du domaine public : la personne publique peut souhaiter vendre son bien mais ne peut pas forcément le désaffecter et donc le déclasser.
Or, l’opérateur a besoin de garanties en ce qui concerne la désaffectation ou le déclassement du bien afin de ne pas engager de dépenses inutiles. Se pose alors la question de la capacité des personnes publiques pour conclure des promesses de vente de biens du domaine public sous condition suspensive de leur déclassement. Aucune réponse claire n’a été donnée à ce jour.
Il convient tout d’abord de rappeler les règles qui régissent les biens des personnes publiques : ces biens sont inaliénables et imprescriptibles, ils cessent d’appartenir au domaine public à la double condition qu’ils ne soient plus affectés à un service public ou à l’usage direct du public et qu’ils aient fait l’objet d’une décision expresse de déclassement. Enfin, il existe un principe d’interdiction pour les personnes publiques de contracter sur l’exercice de leur pouvoir de décision unilatérale.
Afin de respecter ces trois règles, la conclusion d’une promesse de vente d’un immeuble du domaine public par une personne publique sous condition suspensive du déclassement de cet immeuble, est subordonnée à deux conditions :
– la vente ne pourra être considérée comme formée qu’une fois que l’immeuble aura été déclassé et donc aura cessé d’appartenir au domaine public, ainsi, le principe d’inaliénabilité ne sera pas méconnu.
– Cette promesse de vente ne doit pas méconnaître le principe d’interdiction pour les personnes publiques de contracter sur l’exercice de leur pouvoir de décision unilatérale. Il est possible, selon les auteurs, d’interpréter cette condition de deux manières différentes : soit on suppose que la personne publique propriétaire de la dépendance domaniale ne peut prendre aucun engagement en ce qui concerne son déclassement ou alors on considère que la personne publique s’engage à procéder au déclassement des dépendances avant l’expiration du délai de validité de la promesse, dès lors qu’elle sera légalement en droit de le faire. Le Conseil d’Etat interprète le principe du déclassement préalable en faveur de l’intérêt général.
AJDA, n°17, 19 mai 2014, Les promesses de vente de bien du domaine public sous condition suspensive de déclassement par Laurent Aynès, Etienne Fatôme et Michèle Raunet, p. 961 à 966.
Le contrat de partenariat à l’épreuve de la complexité
• CAA Lyon, 2 janvier 2014, Conseil régional de l’ordre des architectes d’Auvergne,n°12LY0827
En l’espèce, une commune a décidé de recourir au contrat de partenariat pour la réalisation d’une piscine municipale. Le conseil municipal a autorisé le maire, par une délibération, à signer ce contrat de partenariat. Le conseil régional de l’ordre des architectes d’Auvergne a saisi le tribunal administratif de Clermont-Ferrand d’un recours pour excès de pouvoir. Le tribunal administratif a rejeté cette requête au motif que la commune n’a pas commis d’erreur d’appréciation en recourant à ce type de contrat. L’ordre régional de l’ordre des architectes d’Auvergne a interjeté appel de ce jugement devant la cour administrative d’appel de Lyon qui a annulé le jugement du tribunal administratif et la délibération du conseil municipal autorisant la signature du contrat de partenariat. Elle a estimé que le critère de la complexité du projet n’était pas rempli et que « le vice tiré de cette illicéité constitue une irrégularité d’une particulière gravité non régularisable et de nature à justifier la résolution du contrat. »
Selon l’ordonnance du 17 juin 2004, le critère de complexité est considéré comme respecté dès lors qu’il est démontré que « compte tenu de la complexité du projet, la personne publique n’est pas objectivement en mesure de définir seule et à l’avance les moyens techniques répondant à ses besoins ou d’établir le montage financier ou juridique du projet ».
En l’espèce, la cour administrative d’appel de Lyon a apprécié ce critère de manière restrictive autant sur le point technique que sur les points juridique et financier.
Cet arrêt est susceptible d’avoir des effets néfastes sur la gestion des dépenses publiques de la commune. En effet, la cour administrative d’appel ordonne la résolution du contrat ce qui implique, juridiquement, de replacer les parties dans l’état qui précède l’existence de leurs relations contractuelles. Quant aux conséquences financières de cette résolution, cela fait peser une importante charge d’endettement sur la commune notamment du fait du coût de rachat de l’ouvrage. Ainsi, la poursuite de l’exécution du contrat de partenariat aurait été moins coûteuse.
En ce qui concerne l’interprétation de la solution du juge du contrat, l’auteur émet l’hypothèse selon laquelle le juge aurait souhaité, en plus de censurer le recours au contrat de partenariat, condamner l’usage du dialogue compétitif.
AJDA, n°17, 19 mai 2014, Le contrat de partenariat à l’épreuve de la complexité par Gaële Chamming’s, p.985-989.
Droit de l’urbanisme
Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge
L’article L. 600-5 du code de l’urbanisme modifié par l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013 ainsi que l’article L. 600-5-1 créé par cette même ordonnance prévoient deux régimes d’annulation partielle d’un permis modificatif.
Au titre de l’article L. 600-5, il est possible de recourir à une annulation partielle d’un permis de construire même en cas d’indivisibilité de ce dernier, la condition étant que le vice ne concerne qu’une partie identifiable du permis et qu’il soit susceptible d’être régularisé par un permis modificatif. Cela résulte d’un arrêt rendu en 2013 par le Conseil d’Etat (CE 1er mars 2013, n°350306, Fritot et autres c/ Ventis).
Quant à l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme, celui-ci prévoit la possibilité pour le juge de surseoir à statuer sur la demande d’annulation d’un permis de construire afin de permettre au pétitionnaire de régulariser un permis affecté d’une illégalité partielle en cours d’instance.
Ces articles donnent au juge le pouvoir de « sauver » des permis de construire. L’ordonnance du 18 juillet ne définissant pas le champ d’application de la réforme, la jurisprudence a explicité certains points : le régime d’annulation de l’article L.600-5 s’applique en cas d’illégalité interne mais également en cas de violation d’une règle de forme donc d’illégalité externe. Ensuite, il appartient aux juges du fond d’apprécier souverainement le caractère régularisable ou non de l’illégalité. Le critère admis pour autoriser la régularisation par un permis modificatif est l’absence de bouleversement de l’économie générale du projet.
En raison des pouvoirs étendus dont dispose le juge en vertu des articles L. 600-5 et L. 600-5-1, l’auteur s’interroge sur la possibilité de rattacher le permis de construire du régime de plein contentieux. En effet, ces deux articles confèrent au juge le pouvoir d’apprécier lui-même la pertinence de suggérer aux parties la régularisation de leur autorisation par un permis modificatif.
Actualités juridiques de l’environnement et du développement durable, n°223, mai 2014, Articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme : retour d’expérience sur les nouveaux pouvoirs du juge par Lou Deldique, p. 182-186
Un « hameau nouveau intégré à l’environnement » au sens de la loi Littoral doit être prévu dans le PLU
• CE, 3 avril 2014, Commune de Bonifacio, n°360902
Au sein des communes soumises à la loi Littoral, l’extension de l’urbanisation est possible à condition qu’elle soit en continuité avec les agglomérations et villages existants ou qu’elle se réalise en hameaux nouveaux intégrés à l’environnement, conformément à l’article L. 146-4 du code de l’urbanisme.
Il convient tout d’abord de définir cette notion de « hameau nouveau intégré à l’environnement ». Elle a surtout été définie négativement par la jurisprudence : ainsi a-t-on appris que des projets de grande ampleur ne pouvaient être définis de hameau nouveau, tout comme la réalisation d’une seule maison d’habitation ou une simple aire d’accueil des gens du voyage. Toutefois, il n’existe pas de définition générale du hameau nouveau. Le juge prend sa décision en tenant compte de l’ensemble du projet au regard des spécificités locales. Le Conseil d’Etat a donné sa définition du hameau nouveau en y intégrant cette idée de respect des spécificités locales : un hameau nouveau est « une extension de l’urbanisation de faible ampleur intégrée à l’environnement par la réalisation d’un petit nombre de constructions de faible importance, proche les unes des autres et formant un ensemble dont les caractéristiques et l’organisation s’inscrivent dans les traditions locales ». Cependant, cette notion de « traditions locales » est difficile à appréhender du fait de sa subjectivité.
Le Conseil d’Etat rappelle également que les juges du fond, en plus d’examiner le projet soumis, ne doivent pas oublier de rechercher si l’opération est prévue dans une zone appropriée du PLU.
Actualités juridiques de l’environnement et du développement durable, n°223, mai 2014, Un « hameau nouveau intégré à l’environnement » au sens de la loi Littoral doit être prévu dans le PLU par Laurent Bordereaux, p. 187-189