Michel HUET
En collaboration avec Lisa DELOUM
Nullité du contrat d’assurance fondée sur la fausse déclaration spontanée de l’assuré.
Civ. 2e, 4 févr. 2016, no 15-13.850
Civ. 2e, 4 févr. 2016, no 15-13.850
L’article L.113-8 du Code des assurances permet à l’assureur de se prévaloir de la nullité du contrat d’assurance en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de l’assuré lorsque cette réticence ou fausse déclaration a pour effet de changer l’objet du risque ou en diminuer l’opinion de ce dernier. À cet égard, la Chambre mixte de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 février 2014, venait clore les divergences de positions entre la deuxième chambre civile et la chambre criminelle en reprenant la solution de cette dernière : l’assureur ne peut se prévaloir de la réticence ou de la fausse déclaration intentionnelle de l’assuré que lorsque celles-ci procèdent des réponses qu’il a apportées à ses questions lors de la phase précontractuelle. A contrario, l’assureur ne saurait invoquer les déclarations qui résultent des seules initiatives de l’assuré, ni des mentions figurant aux conditions particulières de la police pour faire valoir la nullité du contrat (Cass., ch. mixte, 7 févr. 2014, n° 12-85.107 ; Crim. 18 mars 2014 n° 12-87.195).
En l’espèce, une SCI a fait assurer un immeuble dans lequel elle a entrepris des travaux de rénovation afin de le louer en habitation. Le 26 mars 2010, la SCI a déclaré auprès de l’assureur que l’immeuble était achevé et loué afin de négocier au mieux la conclusion d’un nouveau contrat d’assurance, qui prévoyait alors de nouvelles garanties et une prime d’assurance moins élevée. Dans la nuit du 6 au 7 février 2011, un incendie est survenu et entraîna la destruction de l’immeuble. L’assureur, ayant constaté après expertise que l’immeuble n’avait été ni achevé ni loué, a refusé de prendre en charge la réparation du sinistre au titre de sa garantie, en invoquant la nullité du contrat d’assurance prévue par l’article L.113-8 du Code des assurances pour fausse déclaration intentionnelle de l’assuré.
Confirmant les juges d’appel qui ont prononcé la nullité du contrat, la Cour de cassation rappelle d’abord le principe posé par l’article L.113-8 du Code des assurances selon lequel le contrat d’assurance est nul en cas de réticence ou de fausse déclaration intentionnelle de la part de l’assuré, et relève que l’article L.113-2, qui oblige l’assuré à répondre exactement aux questions posées par l’assureur lors de la conclusion du contrat, n’impose cependant pas l’établissement d’un questionnaire préalable écrit.
Dans l’hypothèse où l’assureur n’a pas établi un tel questionnaire pour la déclaration des risques lors de la phase précontractuelle, les déclarations de l’assuré ne peuvent être que spontanées et figurent alors dans les conditions particulières de la police d’assurance ; telles qu’y figuraient en l’espèce, les déclarations mensongères et spontanées de l’assuré à propos l’achèvement et de l’occupation de l’immeuble.
D’autre part, la Haute Cour considère que « le juge peut prendre en compte, pour apprécier l’existence d’une fausse déclaration, les déclarations faites par l’assuré à sa seule initiative lors de la conclusions du contrat ».
Par cet arrêt du 4 février 2016, la deuxième chambre civile maintient sa position antérieure à la celle rendue le 7 février 2014 par la chambre mixte, en considérant d’une part, que la nullité du contrat d’assurance pour fausse déclaration de la part de l’assuré peut se fonder sur des déclarations à sa seule initiative en dehors de tout questionnaire ; d’autre part, qu’en l’absence de questionnaire, ces déclarations fondant la nullité du contrat peuvent résulter des mentions insérées dans les conditions particulières de la police d’assurance.
Source : Recueil Dalloz, 24 mars 2016, n°12, « Le carnaval de la déclaration du risque », par David Noguéro
Droit administratif
Le domaine public confronté au droit de superficie
Les textes reconnaissent à l’occupant du domaine public pourvu d’un titre constitutif de droits réels des « prérogatives et obligations du propriétaire » (CGPPP, art. L. 2122-6, al. 2 ; CGCT, art. L. 1311-5 I, al. 2), sans toutefois que ce droit réel concédé ne supprime la précarité du titre domanial. En particulier, au-delà du caractère révocable et temporaire du titre (CGPPP, art. L. 2122-2 et art. L. 2122-3), son titulaire, qui peut recourir au crédit-bail et à l’hypothèque grâce à la cessibilité de ce titre, ne bénéficie toutefois pas du droit d’accession. L’occupant titulaire de droits réels est ainsi, par principe, dans l’obligation de remettre la dépendance en l’état (CGPPP, art. L. 2122-9).
La situation du titulaire d’un titre domanial ordinaire, non constitutif de droits réels, qui bénéficie, par la pratique, d’un droit de superficie, pose question à son égard. Malgré le silence des textes, la jurisprudence a reconnu l’existence d’une propriété des ouvrages qu’il construit, sauf exception des biens de retour ou lorsque l’autorisation confère la propriété des biens au gestionnaire du domaine public (par ex. CE 23 juill. 2010, n°320188 Mme Montravers, Lebon T. ; Dr. Adm. 2010, n° 140, note F. Brenet).
En outre, des incertitudes subsistent, avec le constat d’une certaine graduation de la propriété entre occupants du domaine. D’une part, l’article 1 du Protocole n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la protection des biens, tend ainsi à s’appliquer différemment selon qu’il s’agisse ou non d’un occupant titulaire de droits réels, ces derniers bénéficiant plus facilement de cette protection. Telle est la position de certains arrêts d’appel (par ex. CAA Marseille, 12 juin 2012, n°11MA02074, Min. des transports), qui pour autant, n’appliquent pas strictement la jurisprudence de la Cour européenne prônant la protection des biens de l’occupant, au détriment du principe d’inaliénabilité du domaine public (par ex. CEDH, 22 juill. 2008, n°3585/03, Köktepe c/ Turquie, pour l’indemnisation en compensation du recouvrement des biens par le gestionnaire du domaine). D’autre part, tout en bouleversant l’architecture des occupations domaniales, il devient concevable que le droit de superficie dont bénéficie l’occupant ordinaire puisse un jour fonder une demande de recours au crédit-bail ou à l’hypothèque, alors même que l’autorisation non constitutive de droits réels n’est pas cessible.
Source : AJDA, 11 avril 2016, n° 12/2016, p. 625 « La propriété (singulière et plurielle) de l’occupant du domaine public» par Philippe Yolka
Adoption du projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires
Le projet de loi n° 1278 relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a été adopté par l’Assemblée nationale le 5 avril 2016 et le Sénat le 7 avril 2016, et vient modifier le statut général de la fonction publique issu de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983. Depuis son examen par le Conseil des ministres en 2013, le texte s’est vu retirer un certain nombre de ses dispositions, en particulier pour les sujets les plus sensibles. Tel est le cas de la présidence des conseils de discipline de la fonction publique territoriale par un magistrat administratif, des dispositions harmonisant les sanctions disciplinaires ou encore de l’interdiction du recours à l’intérim qui est maintenu dans les trois fonctions publiques.
En matière de déontologie, les dispositifs de prévention des conflits d’intérêts sont renforcés, avec l’introduction au sein du statut, d’une définition du conflit d’intérêts assortie d’une série d’obligations du fonctionnaire confronté à une telle situation. À cet égard, les fonctionnaires appliqueront les mesures préventives issues des lois sur la transparence de la vie publique n° 2013-906 et n°2013-907 du 11 octobre 2013, au même titre que les membres des juridictions administratives et financières. Certains hauts fonctionnaires seront par ailleurs tenus par une obligation de déclaration d’intérêts. Une autre mesure phare en matière de déontologie est à relever : le statut général des fonctionnaires impose désormais explicitement le respect des obligations de dignité, d’impartialité, d’intégrité et de laïcité. Par ailleurs, les pouvoirs de la Commission de déontologie de la fonction publique sont étendus et confortés : d’une part, avec une compétence en matière de prévention des conflits d’intérêts, un contrôle maintenu en matière de cumul d’activités, ainsi qu’un renforcement du contrôle des départs vers le secteur privé ; d’autre part, les dispositions la concernant sont désormais insérées dans la loi du 13 juillet 1983. Enfin, la déontologie des membres des juridictions administratives et financières fait désormais l’objet de dispositions spécifiques, codifiées respectivement dans le code de justice administrative et le code des juridictions financières.
En dehors des dispositions relatives à la déontologie, la loi prévoit notamment une dégressivité de la rémunération des fonctionnaires territoriaux momentanément privés d’emploi dans un délai de trois ans ; et met en place un meilleur suivi des fonctionnaires territoriaux dits « reçus-collés ». On notera encore, parmi les nouvelles dispositions, la suppression de la position hors cadres, ainsi que la possibilité de recruter des contractuels en CDI en l’absence de corps de fonctionnaires susceptibles d’assurer les fonctions correspondantes dans la fonction publique de l’Etat.
Enfin, la loi est aussi venue modifier l’organisation des juridictions administratives et financières. Au niveau du Conseil d’Etat, les sous-sections deviennent des chambres, et des conseillers d’Etat en service extraordinaire pourront être nommés pour exercer des fonctions juridictionnelles. Concernant la Cour des comptes, celle-ci pourra se doter de conseillers référendaires en service extraordinaire. En matière procédurale, la possibilité d’attribuer des litiges en premier et dernier ressort aux cours administratives d’appel sera généralisée.
Source : AJDA, 11 avril 2016, n° 12/2016, p.628 « Adoption définitive de la loi déontologie » par Marie Christine de Montecler
Contentieux administratif
L’intérêt à agir peut être justifié à tout moment de la procédure devant les juges du fond.
CE 23 novembre 2015, SARL New Margin, n°364757
La SARL New Margin, issue de la transformation de la SA New Margin en société à responsabilité limitée, a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et de contribution sur cet impôt auxquelles a été assujettie la SA New Margin.
Jugeant irrecevable sa demande, le tribunal administratif de Paris a considéré que, malgré l’invitation à régulariser qui lui avait été faite, cette société n’avait justifié ni de sa qualité ni de son intérêt à agir contre les impositions mises à la charge de la SA. La demande est rejetée par la Cour administrative d’appel de Paris qui a considéré que la délibération produite devant elle, par laquelle l’assemblée générale de la SA avait décidé de transformer la société en SARL, n’était pas de nature à régulariser la demande présentée devant le tribunal administratif.
Saisi en cassation, le Conseil d’État, faisant application de l’article R.612-1 du code de justice administrative, considère que la SARL était fondée à demander l’annulation de l’arrêt rendu par la cour d’appel, en relevant que « s’il n’appartenait pas à la cour, en l’absence de contestation sur ce point, de rechercher si la demande de régularisation mentionnée dans le jugement du tribunal administratif contenait toutes les mentions requises par l’article R. 612-1 du code de justice administrative, ni si cette demande avait été régulièrement notifiée à la société, la cour a commis une erreur de droit en jugeant que la production devant elle de la délibération (…) n’était pas de nature à régulariser la demande présentée par [le requérant] devant le tribunal administratif sans rechercher si elle pouvait permettre à la société de justifier d’une qualité lui donnant intérêt pour agir ». En conséquence, même si le requérant n’avait pu justifier de sa qualité et de son intérêt à agir lors de la première instance, les dispositions du code de justice administrative ne font pas obstacle à ce qu’il en justifie en appel, même pour la première fois.
Source : AJDA, 11 avril 2016, n° 12/2016, p.643 « L’intérêt pour agir se justifie à tout moment »