Michel Huet avec la collaboration d’Arthur Bosc

PROPRIETE INTELLECTUELLE 

Article 1382 du Code civil et liberté d’expression : que faut-il comprendre ? 

• Cass. 1re civ., 27 novembre 2013, n°12-24651 (2) 
• Cass. 1re civ., 16 octobre 2013, n°12-35434 (1) 
• Cass. 1re civ., 16 octobre 2013, n°12-21309, non publié 
• Cass. 1re civ., 16 octobre 2013, n° 12-26696, non publié

L’assemblée plénière de la Cour de cassation a consacré le principe selon lequel « les abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil » (Cass. Ass. Plen., 12 juillet 2000, n°98-10160 et 98-11155). Il résulte ainsi de cette position que les atteintes aux personnes sont soumises au droit spécial tandis que les atteintes touchant les produits et services sont eux soumis au droit commun de la responsabilité.

C’est dans ce contexte que la Cour de cassation a de nouveau, « et à grand renfort de publicité » statué en faveur de l’exclusion de l’article 1382 du Code civil du champ de la liberté d’expression (Cass. 1re civ., 10 avril 2013, n°12-10177). Toutefois, les récents arrêts ne furent pas aussi radicaux et semblent s’intercaler entre ces deux jurisprudences.

L’arrêt (1), même s’il ne vise dans son visa que l’article 10 de la Convention EDH, semble rejoindre le raisonnement de l’assemblée plénière. On peut alors se demander la raison de l’exclusion de toute référence à l’article 1382 du Code civil, dans la mesure où la Cour a déjà visé les deux dispositions pour contrôler l’abus (Cass., 1re civ., 8 avril 2008, n°07-11251).

Quant à l’arrêt (2), qui visait des faits de dénigrement au sein d’une société d’assurance, on semblait se placer dans la fonction « complétive du droit commun » en ce qui concerne les atteintes affectant les produits ou services d’une entreprise. Mais une nouvelle fois, la Cour de cassation a préféré viser l’article 10 de la Convention EDH, combiné avec l’article 29 de la loi de 1881.

Il semble ainsi que la Cour de cassation ait substitué à l’article 1382 du Code civil, l’article 10 de la Convention EDH comme fondement pour sanctionner les abus à la liberté d’expression à propos de produits ou services. Mais si on analyse ce dernier arrêt, un léger espoir de survie de l’article 1382 du Code civil subsiste. En effet, les attendus visent le caractère abusif de la liberté d’expression « dans les cas spécialement déterminés par la loi ». Or, l’arrêt caractérise en l’espèce « un abus spécifique de la liberté d’expression ». Ne serait-on pas ici dans le domaine soumis à l’article 1382 du Code civil ?

Gazette du Palais, Mercredi 22, Jeudi 23 janvier 2014, n°22 à 23, Article 1382 du Code civil et liberté d’expression : que faut-il comprendre ? par Anne Guégan-Lécuyer, p. 17

Atteintes aux droits patrimoniaux d’auteur via Internet et compétence juridictionnelle 

• Cass. 1re civ., 22 janvier 2014, n°10-15890 

En application de l’article 5¶3 du règlement Bruxelles I, le demandeur peut, en effet, saisir le for du lieu du fait générateur pour obtenir réparation de l’intégralité des dommages subis ou bien le for de chacun des lieux de matérialisation du dommage, afin d’obtenir réparation du seul préjudice subi localement. Mais lorsque l’infraction a lieu sur Internet, se pose la question de la définition du lieu du dommage.

En l’espèce, il s’agissait du pressage, par une société autrichienne, de CD reproduisant les œuvres d’un compositeur britannique résidant en France et commercialisés sur internet par des sociétés britanniques. En outre, les sites internet sur lesquels ils étaient commercialisés étaient accessibles de France, du domicile du requérant.

La première chambre civile a posé deux questions préjudicielles à la CJUE afin qu’elle précise la portée de l’article 5¶3 du règlement Bruxelles I. Par un arrêt du 3 octobre 2013 (CJUE, 3 octobre 2013, n° C-170/12, Pinckney), elle a répondu qu’il suffisait que les droits patrimoniaux sur l’œuvre soient protégés dans l’Etat et que le dommage risque de se matérialiser dans le ressort de la juridiction saisie ; et enfin que la juridiction ne pouvait porter son jugement que sur le préjudice local (il n’est donc pas consacré un forum actoris, de compétence universelle). La Cour de cassation reprend la réponse de la CJUE dans son attendu. Elle consacre donc le critère de l’accessibilité d’un site internet pour déterminer la matérialisation locale du dommage.

On peut toutefois reprocher à la CJUE de ne s’être prononcée sur l’impact du lien de causalité ; cette question relevant du fond. En effet, si le pressage des CD était opéré en Autriche, leur commercialisation émanait de sociétés britanniques. De plus, la CJUE a insisté dans sa jurisprudence Mines de potasse d’Alsace (CJCE, 30 novembre 1976) sur la nécessité que le dommage soit une conséquence directe de l’évènement causal. En l’espèce, le requérant avait attaqué la société autrichienne qui a effectué le pressage de ses œuvres ; or, le dommage se réalise par la commercialisation sur internet. Il se peut ainsi qu’il ait assigné la mauvaise personne. C’est la cour d’appel de renvoi qui aura à se pencher sur cette question.

Petites affiches, 11 février 2014, n° 30, Atteintes aux droits patrimoniaux d’auteur via Internet et compétence juridictionnelle par Véronique Legrand

Recevabilité de l’action sans mise en cause des coauteurs 

• Civ. 1re civ., 11 décembre 2013, n° 12-25974 

En l’espèce, il s’agissait d’un parolier qui avait écrit des textes pour un compositeur-interprète. Ce dernier a signé avec une société de production un contrat d’enregistrement dans le cadre duquel il a reproduit certaines de ses chansons sans son accord. Le parolier a alors assigné la société de production mais pas les coauteurs de l’œuvre de collaboration au titre de son droit moral et de ses droits patrimoniaux d’auteur.

Dans un attendu de principe, la Cour de cassation a estimé que « la recevabilité de l’action engagée par l’auteur de l’œuvre première et dirigée exclusivement à l’encontre de l’exploitant d’une œuvre de collaboration arguée de contrefaçon n’est pas subordonnée à la mise en cause de l’ensemble des coauteurs de celle-ci ».

En dérogeant à l’article L. 113-3 du Code de propriété intellectuelle qui exige que tous les coauteurs soient impliqués dès lors que leur œuvre est concernée, la Haute Cour fait « primer l’œuvre composite sur l’œuvre de collaboration » tout en permettant à l’auteur de l’œuvre première de voir son droit moral et ses droits patrimoniaux respectés.

Juris art etc., n°10, Février 2014, Recevabilité de l’action sans mise en cause des coauteurspar C. Burkart, p. 11

Les mesures phares pour le secteur culturel 

Les lois de finances rectificative et initiale pour 2013 et 2014 sont sorties le 29 décembre dernier. Elles apportent de multiples modifications qui visent notamment à accroître ou à supprimer des aides.

En ce qui concerne la loi de finances rectificative pour 2013 : 

Cinéma et audiovisuel :

• Le taux de la taxe sur les éditeurs et distributeurs de services de télévision passe de 5,5% à 3,75%.
• Le taux du crédit d’impôt à raison des dépenses de production déléguée d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles passe à 30% lorsque le budget est inférieur à 4 millions d’euros.
• Une taxe sur les cessions de titres d’un éditeur de services de communication audiovisuelle est instituée au taux de 5%.
• Le budget du Conseil supérieur de l’audiovisuel bascule dans le programme « Protection des droits et libertés », reconnaissant ainsi une mission fondamentale de l’institution.

Presse écrite :

• Le régime des journaux de presse est prolongé en 2014.
• Exonération de cotisation foncière des entreprises (CFE) offerte aux entreprises qui vendent au public des écrits périodiques dont les critères sont précisés. Cette aide est soumise au régime de minimis et ne compte qu’à partir de 2015.
•Le reliquat du prêt accordé à L’Humanité et les intérêts afférents sont effacés.

Jeux vidéo :

• Le crédit d’impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo a été retouché. Seules les dépenses exposées dans les 36 mois précédent la date d’obtention de l’agrément définitif sont éligibles.
• La condition tenant au coût de développement du produit est abaissée à 100 000 euros. Pour favoriser le jeu indépendant et sur mobile avec de faibles coûts de production, les dépenses salariales sont désormais prises en compte.
• Les jeux « pour adultes » sont exclus. Le crédit d’impôt est ouvert aux autres jeux visant ce public s’ils contribuent au développement et à la création française et européenne de jeux vidéo à un « niveau particulièrement significatif »

Patrimoine et autres mesures :

• Le régime du crédit d’impôt en faveur des maîtres restaurateurs est prorogé en 2014.

En ce qui concerne la loi de finances initiale pour 2014 : 

Cinéma et audiovisuel :

• Tirant les conséquences de la hausse des taux de TVA, les droits d’entrée et la cession de tout droit portant sur une œuvre cinématographique passent de 7% à 5,5% d’imposition. Elle permet, en outre, un tarif unique à 4 euros pour les moins de 14 ans.
• Le crédit d’impôt pour dépenses de production exécutive d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles est renforcé.

Photographies, éducation et tourisme :

• Les photographes auteurs bénéficient d’une exonération de CFE pour leur activité de réalisation de prises de vue, ainsi que pour les cessions de telles œuvres importées ou acquises dans l’Union européenne.
• Le crédit d’impôt en faveur des métiers d’art est soumis au plafonnement de minimis. Le taux demeure de 10% des dépenses de conception des nouveaux produits et du savoir-faire traditionnel dans ce secteur ; 15% pour les entreprises labellisées Patrimoine vivant.
• L’accompagnement des élèves en situation de handicap est renforcé. La loi accorde 15% de moyens supplémentaires soit 5 millions d’euros.
• Le classement des stations de tourisme opéré avant 1969 est prolongé jusqu’au 1er janvier 2018.

Patrimoine et autres mesures :

• Le taux de TVA qui frappe l’importation et l’acquisition intracommunautaire d’œuvres d’art, d’objets de collection ou d’antiquité est abaissé à 5,5%.
• Les taux de la taxe sur les métaux précieux, les bijoux, les objets d’art, de collection et d’antiquité sont relevés.
• Les modalités dérogatoires de prise en compte des charges foncières des monuments historiques sont restreintes. Toutefois sont désormais exclus du régime de faveur les monuments agréés par le ministère.

Juris art etc., n°10, Février 2014, Les mesures phares pour le secteur culturel par Rudi Fievet, p. 45

DROIT DE L’URBANISME 

Contrôle de la qualité du demandeur d’autorisation : l’épilogue 

• CE, 13 décembre 2013, n°356097

Il résulte d’une jurisprudence récente dite Quennesson (CE, 15 février 2012, n°333631) que dès lors que le pétitionnaire prétend avoir la qualité dans le formulaire pour demander l’autorisation, et sous réserve de fraude, le maire n’a pas à exiger la production d’autorisations, en l’espèce par les copropriétaires, d’effectuer des travaux.

Le dernier arrêt du Conseil d’Etat vient entériner cette jurisprudence qui faisait encore quelques réfractaires dans les juridictions inférieures. Cette fois-ci en matière de mitoyenneté, il affirme que le pétitionnaire, sous réserve de fraude, doit être regardé comme ayant qualité pour faire la demande d’autorisation ; et ce, alors même que les travaux porteraient sur un mur séparatif de propriété. Ainsi, le pétitionnaire n’a pas à démontrer qu’il est le seul propriétaire du mur ou qu’il aurait obtenu l’accord du propriétaire mitoyen.

La réserve de fraude concerne principalement le cas où le pétitionnaire a œuvré délibérément de manière à tromper l’administration. En matière de mitoyenneté, il a, en outre, été jugé que le fait pour le pétitionnaire d’être passé outre le refus de l’autre propriétaire mitoyen ne suffisait pas à caractériser la fraude puisque ce refus peut, selon l’article 662 du code civil, être surmonté par l’expertise et qu’en l’espèce, rien ne laissait penser que le juge judiciaire lui aurait refusé la construction projetée (TA Paris, 3e ch., 23 juin 2011, n°0917994).

Dictionnaire permanent, Construction et urbanisme, Bulletin n°449, janvier 2014, Contrôle de la qualité du demandeur d’autorisation : l’épilogue par S. Aubert, p. 8

Deux décrets d’application de la réforme de la surface de plancher validés par le Conseil d’Etat 

• CE, 20 décembre 2013, n° 357198
• CE, 20 décembre 2013, n° 360764

Les deux arrêts rejettent les recours pour excès de pouvoir formés contre le décret du 29 décembre 2011 relatif à la définition des surfaces de plancher prises en compte dans le droit de l’urbanisme et le décret du 7 mai 2012 relatif à la dispense de recours obligatoire à un architecte.

Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, n°5748, 24 janvier 2014, Deux décrets d’application de la réforme de la surface de plancher validés par le Conseil d’Etat, p.2

Protection de l’espace montagnard : appréciation de la continuité de l’urbanisation 

• CE, 30 décembre 2013, n° 356338

Le Conseil d’Etat vient, dans cet arrêt, préciser les modalités d’appréciation de la continuité de l’urbanisation.

Il précise notamment qu’il ne résulte pas des dispositions du III de l’ article L. 145-3 du code de l’urbanisme que la continuité de l’urbanisation doive être appréciée au regard des seuls bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d’habitations existants situés sur le territoire de la même commune. Il incombe en outre au juge administratif rechercher si les opérations prévues par le projet de zone d’activité s’inscrivent, dans leur ensemble, dans la continuité de l’urbanisation existante, y compris sur le territoire d’autres communes.

En appréciant la continuité de l’urbanisation au regard de la seule commune de Surba, la Cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Gazette du Palais, Mercredi 29, Jeudi 30 janvier 2014, n°29 à 30, Protection de l’espace montagnard : appréciation de la continuité de l’urbanisation par Philippe Graveleau, p. 30

MARCHÉS PUBLICS 

Indemnisation du candidat irrégulièrement évincé : l’exigence d’un lien de causalité entre les irrégularités et les préjudices invoqués 

• CE, 10 juillet 2013, Compagnie martiniquaise de transports, n° 362777

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle la nécessité pour le candidat irrégulièrement évincé de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre l’irrégularité de la procédure et un manque à gagner éventuel. Il incombe ainsi au juge administratif d’opérer un contrôle sur les conséquences de l’irrégularité alléguée pour le candidat requérant.

Le principe selon lequel le candidat irrégulièrement évincé a droit à indemnisation est bien établi dans la jurisprudence et n’est pas non plus contesté. Cependant la doctrine et la jurisprudence ont eu pour tendance de se focaliser sur l’existence d’une chance d’obtenir le contrat pour le candidat évincé omettant de statuer sur l’existence d’un lien de causalité entre les irrégularités et les préjudices invoqués.

En l’espèce, le candidat évincé d’une procédure d’attribution d’un marché de délégation de service public de transport urbain a contesté deux actes détachables de la procédure de passation (deux délibérations). Le rapporteur public dans ses conclusions a interpellé le Conseil d’Etat en posant la question de la nécessité d’examiner les incidences réelles des irrégularités.

Le Conseil d’Etat confirme l’arrêt d’appel en estimant en effet que les irrégularités relevées n’avaient pas lien avec la perte de chance du candidat de remporter le contrat. Avec cette décision, même si elle n’est pas novatrice, la possibilité d’indemnisation des candidats va être nécessairement restreinte. En outre, l’arrêt laisse apparaître la structure du raisonnement que suit le juge administratif dans son appréciation : identifier les irrégularités ; rechercher leur incidence sur le sort du candidat évincé ; rechercher leur incidence sur la recevabilité ou le classement de l’offre du requérant.

Contrats Publics, n°139, janvier 2014, Indemnisation du candidat irrégulièrement évincé : l’exigence d’un lien de causalité entre les irrégularités et les préjudices invoqués par Yann Simonnet, p. 78

La procédure de contrôle de l’appel d’offre publique 

• Cass. Com., 10 décembre 2013, n° 13-10441

Suite à un appel d’offres quant au renouvellement d’un marché relatif à l’exploitation d’une installation de stockage de déchets non dangereux, un candidat évincé a saisi le juge d’un référé pré-contractuel.

Conformément aux articles 2 et 3 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009, ensemble l’article 46 du décret n°2005-1742 du 30 décembre 2005, le juge prononce des mesures provisoires afin qu’il soit ordonné à la personne morale responsable du manquement de se conformer à ses obligations.

Ces injonctions, dans leur étendue, doivent respecter les textes susvisés et surtout, la Cour de cassation précise que dans le cas où le juge procède à l’annulation totale de la procédure, il ne peut simultanément ordonner la communication d’éléments afférents à la procédure annulée.

Gazette du Palais, Mercredi 8, Jeudi 9 janvier 2013, n°8 à 9, La procédure de contrôle de l’appel d’offre publique par Catherine Berlaud, p. 24

Délit de favoritisme : quelles sont les personnes visées ? 

Le délit d’octroi d’avantages injustifié est « l’outil répressif spécifique à la commande publique ». L’article 432-14 du Code pénal nous en donne une définition : il consiste à « procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d’accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».

Les personnes concernées par ce délit sont :

• Les acheteurs publics : une liste de ces auteurs potentiels est dressée par l’article L. 432-14 du Code pénal. Il s’agit des représentants des acheteurs publics, les membres des commissions d’appel d’offres et les gens habilités. Au-delà de cette énumération, il s’agit de toute personne, quelque soit sa fonction, qui a le pouvoir d’intervenir dans le processus d’achat. Ainsi, il y a des risques d’extension à toute personne morale de droit privé investie d’une mission de service public, exécutif local voire responsables associatifs. En outre, il semble que les dispositions s’appliquent à l’ensemble des contrats de la commande publique (CA Saint-Denis de la Réunion, 20 février 2012, n°12-00045).

• Les entreprises : elles peuvent être inquiétées soit directement, lorsqu’elles agissent pour le compte des acheteurs publics (SEM, MOD, MOE, BET) soit indirectement, au titre de complicité ou de recel. Pour qu’il y ait complicité, on exigera un acte positif antérieur ou concomitant au délit de favoritisme ayant favorisé ou consommé le délit. Dans le cas du recel défini à l’article 321-1 du Code pénal ; cela consiste pour une entreprise de profiter sciemment d’un avantage injustifié dans la passation du marché.

En somme, le délit de favoritisme est, parmi les infractions d’atteinte à la probité, celui qui recouvre le plus champ de personnes.

Contrats Publics, n°139, janvier 2014, Délit de favoritisme : quelles sont les personnes visées ? par T. Carenzi et F. Tenailleau, p. 25

Prise illégale d’intérêts : les personnes susceptibles d’être concernées 

L’article 432-12 du Code pénal définit la prise illégale d’intérêts comme « le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».

L’objectif est d’éviter que les personnes investies d’un mandat électif public ne puisse user de son pouvoir soit pour la satisfaction d’un intérêt soit pour obtenir un bénéfice pécuniaire ou matériel pour lui ou ses proches.

Les personnes concernées sont, bien entendu, les personnes dépositaires de l’autorité publique laquelle est entendue comme « toute personne qui est investie, par délégation de la puissance publique, d’un pouvoir de décision et de contrainte sur les individus et sur les choses, pouvoir qu’elle exerce de façon permanente ou à titre temporaire ».

Ensuite, il y a les personnes chargées d’une mission de service public qui sont celles qui « sans avoir reçu un pouvoir de décision ou de commandement de la puissance publique, exerce néanmoins une fonction ou accomplit des actes dans un but d’intérêt général ». La Cour de cassation a tendance à y ranger toutes les personnes qui interviennent aux côtés des personnes chargées d’une mission de service public bien qu’elles n’aient aucun pouvoir contraignant ; la simple association au processus décisionnel suffit pour constituer le délit.

En ce qui concerne le délit de « pantouflage », qui consiste à éviter que les agents publics qui quittent leurs fonctions rejoignent des postes dans le secteur privé plus lucratifs du fait d’avantages qu’ils auraient consentis. La loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 a amendé l’article 432-13 du Code pénal. Désormais l’exception concernant les titulaires d’un mandat électif public et des membres du gouvernement n’est plus et le délai d’interdiction a été étendu à trois ans au lieu de six mois.

L’alignement du champ d’application de l’article 432-13 sur celui de l’article 432-12 du Code pénal opéré par la récente réforme va nécessairement inciter les élus à la plus grande vigilance.

Contrats Publics, n°139, janvier 2014, Prise illégale d’intérêts : les personnes susceptibles d’être concernées par V. Michelin et C. Cabanes, p. 39

DROIT DE L’ARCHITECTURE 

Le Conseil de l’Ordre saisi avant le procès n’était pas compétent 

• Cass. 3e civ., 18 décembre 2013, n° 12-18439, « Société Casa Ambrosino c/ société PGDA et société Mutuelle des architectes français

Une société d’architecture inscrite au tableau de l’ordre des architectes d’Ile-de-France a traité avec un maître d’ouvrage pour la réalisation de travaux près de la ville de Sète. Dans leur contrat, une clause de saisine préalable du Conseil de l’ordre a été insérée.

Un litige est né. Le maître de l’ouvrage a saisi le Conseil de l’ordre du Languedoc-Roussillon, puis a assigné en référé et au fond la société d’architecture. Celui-ci s’étant heurté à une irrecevabilité de ses demandes, il a saisi la Cour de cassation d’un pourvoi.

Mais ayant constaté que « que le maître de l’ouvrage avait saisi le conseil régional du Languedoc-Roussillon alors que le contrat lui faisait obligation, par une clause claire et précise, de saisir le conseil régional dont relevait la société PGDA, inscrite au tableau de l’ordre des architectes d’Ile-de-France, la cour d’appel a retenu, à bon droit, par ces seuls motifs, que l’action engagée contre la société PGDA était irrecevable ». 

La Cour fait donc ici une application pure et simple de la clause insérée dans le marché en relevant que cette clause était claire et précise et que c’est bien le Conseil de l’ordre de la société d’architecture qu’il fallait logiquement saisir ; n’ayant saisi le Conseil de l’ordre territorialement compétent, le maître de l’ouvrage voit donc ses demandes déclarées irrecevables.

Le Moniteur des travaux publics et du bâtiment, n°5748, 24 janvier 2014, Le Conseil de l’Ordre saisi avant le procès n’était pas compétent, p. 37

La clause de résiliation contractuelle prévaut-elle sur la résiliation unilatérale pour manquements graves ? 

• Cass. 3e civ., 9 octobre 2013, Société AOA c/ SCI Saint Marcel Provence, n°12-23379

A propos de la construction d’un immeuble, un maître d’ouvrage a confié à une société une mission de maîtrise d’œuvre. Suite à des manquements contractuels graves de celle-ci, il a résilié unilatéralement le contrat.

Le maître d’œuvre assigne cependant le maître de l’ouvrage en paiement de ses honoraires et également en indemnisation de certains préjudices.

La Cour de cassation désavoue la cour d’appel en se fondant sur l’article 1134 et sur le principe d’exécution de bonne foi des conventions. Elle dit que pour sanctionner les manquements graves dont a fait preuve le maître d’œuvre, il faut faire application de la clause de résiliation prévue à cet effet. Celui-ci ne dispose donc pas d’option entre l’application de cette clause et la résolution judiciaire à ses risques et périls.

Opérations immobilières, N°61-62, Janvier-février 2014,La clause de résiliation contractuelle prévaut-elle sur la résiliation unilatérale pour manquements graves ? par S. Guendouz et V. Bruchet, p. 39

Le maître d’œuvre peut-il ignorer l’état du sol ? 

• Cass. 3e civ., 20 novembre 2013, n°13-10.279, Société Canal de Provence c/ Société ECA

Dans l’arrêt présent, il était question de l’imputation de l’obligation de renseignement sur l’étude des sols au maître d’ouvrage. Les faits étaient spécifiques (travaux d’installation d’une fosse sceptique) de sorte que cette obligation relevait d’une réglementation spéciale : décret n°91-1147 du 4 octobre 1991.

Le texte fait peser la charge de l’obligation de renseignement sur l’étude des sols au maître de l’ouvrage. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au motif que cette obligation pèse sur le maître de l’ouvrage « quand bien même il a confié la maîtrise d’œuvre des travaux à un tiers ». 

Alors que l’alinéa 3 de l’article 4 dudit décret prévoit que la demande de renseignements sur l’état du sous-sol auprès de la mairie « doit être faite par le maître de l’ouvrage ou le maître d’œuvre s’il en existe un » ; et alors que le maître de l’ouvrage est souvent un profane qui fait appel à un professionnel qualifié, de surcroît investi de la maîtrise d’œuvre, on s’étonne de l’indulgence dont fait preuve le juge suprême à l’égard de l’entrepreneur ici, et plus généralement à l’égard du maître d’œuvre.

RDI, n°2, Février 2014, Le maître d’œuvre peut-il ignorer l’état du sol ? par Bernard Boubli, p. 106

DROIT DE L’ENVIRONNEMENT 

Droit des déchets : de l’affirmation d’une responsabilité subsidiaire du propriétaire négligent 

• CE, 25 septembre 2013, n° 358923

En l’espèce, une société exploitait sur un terrain dont elle était propriétaire une usine de régénération de caoutchouc jusqu’au jour où elle céda son fonds de commerce à une autre société ; laquelle fut mise en liquidation judiciaire. A ce moment là, la société propriétaire du terrain se retrouva avec des milliers de pneumatiques usagés.

Dans un premier arrêt du Conseil d’Etat, le propriétaire fut déchargé de la mise en demeure du préfet d’éliminer les déchets en sa qualité de simple propriétaire et non d’exploitant sur le fondement de la réglementation des ICPE.

Dans un second arrêt, qui fait suite cette fois à une mise en demeure du maire sur le fondement de la réglementation des déchets, le Conseil d’Etat pose le principe de la responsabilité subsidiaire et pour faute du propriétaire négligent d’un terrain sur lequel des déchets issus d’une exploitation ICPE ont été délaissés.

Le Conseil d’Etat vient ainsi clôturer la « saga » dans un troisième arrêt en énonçant qu’ « en l’absence de tout producteur ou de tout autre détenteur connu, le propriétaire du terrain sur lequel ont été déposés des déchets peut être regardé comme leur détenteur ». On voit ici que la réglementation des déchets vient pallier la lacune de la réglementation des ICPE lorsque le dernier exploitant a disparu.

Partant, le régime est désormais posé. Le propriétaire est responsable de manière subsidiaire, en l’absence de tout producteur ou détenteur, et ce, s’il a fait preuve de négligence. Le Conseil d’Etat prend ainsi le contrepied de la Cour de cassation qui, elle, fait peser sur le propriétaire une présomption de responsabilité (Cass. 3e civ., 11 juillet 2012, n° 11-10478).

Gazette du Palais, Mercredi 8, Jeudi 9 janvier 2013, n°8 à 9, Droit des déchets : de l’affirmation d’une responsabilité subsidiaire du propriétaire négligent par Marie-Pierre Maître, p. 20

Délimitation du périmètre du parc naturel régional 

• CE, 6 et 1re sous-section, 20 décembre 2013, n° 363667

Des communes, dont le territoire faisait partie intégrante du projet d’étude initial, ont été exclues du périmètre du parc naturel régional par le décret attaqué. Les communes en question n’avaient pas approuvé le projet de charte. En effet, le territoire d’une commune ayant refusé d’approuver le projet de charte d’un parc naturel régional ne peut légalement être inclus dans le périmètre de ce parc.

L’arrêt du Conseil d’Etat vient préciser qu’il appartient au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier si la décision délimitant le périmètre du parc naturel régional n’est pas entachée d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’ensemble des critères énoncés à l’article R. 333-4 du Code de l’environnement ; ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Gazette du Palais, Mercredi 15, Jeudi 16 janvier 2013, n°15 à 16, Délimitation du périmètre du parc naturel régional par Philippe Graveleau, p. 23