Michel HUET
En collaboration avec Marie THEBAULT

Urbanisme

Un PLU doit être compatible avec une directive territoriale d’aménagement 

CE, 9 novembre 2015, n° 372531, Commune de Porto Vecchio 

Dans cette affaire, le tribunal administratif avait annulé la délibération d‘une commune qui avait approuvé son PLU. Le jugement avait été confirmé en appel. Dans ce cadre, le Conseil d’Etat vient statuer sur la notion de compatibilité qu’existe entre un PLU et une directive territoriale d’aménagement (DTA).

Pour ce faire, le Conseil d’Etat s’appuie sur l’article L111-1-1 du Code de l’urbanisme, qu’il explicite. Il juge que les dispositions d’un PLU doivent être compatibles avec les DTA ou s’il n’y en a pas, avec les dispositions particulière du code de l’urbanisme, notamment les conditions relatives au littoral. En l’absence de PLU, l’administration, saisie d’un projet relatif à l’occupation ou l’utilisation des sols, doit s’assurer de la conformité de ce projet avec les dispositions d’une DTA éventuellement existante, « sous réserve que les dispositions qu’il comporte sur les modalités d’application des dispositions des articles L. 146-1 et suivants du code de l’urbanisme soient, d’une part, suffisamment précises et, d’autre part, compatibles avec ces mêmes dispositions, soit, dans le cas contraire, avec les dispositions du code de l’urbanisme particulières au littoral ».

Source : AJDA, 16 novembre 2015, n° 38, « Compatibilité d’un PLU avec une directive territoriale d’aménagement en zone littorale », par Diane Poupeau

Condamnation pour un recours abusif dirigé contre un permis de construire 

TA Lyon, 17 novembre 2015, n° 1303301 

Le juge administratif statue en l’espèce sur le caractère abusif d’un recours dirigé contre un permis de construire. Le recours abusif contre un permis de construire est envisagé à l’article l600-7 du Code de l’urbanisme. L’auteur de celui-ci peut être condamné à verser des dommages et intérêts.

Dans cette affaire, un recours avait été exercé contre un permis de construire, par plusieurs requérants.

Le juge décide qu’en l’espèce, tous les requérants n’avaient pas intérêt à agir contre le permis de construire. Les seuls requérants ayant intérêt à agir sont des voisins du projet. L’un d’eux est propriétaire d’un terrain nu voisin du projet, l’autre est usufruitier d’un chalet qui ne constitue pas sa résidence principale. Le tribunal administratif estime que l’intérêt à agir des requérants est très faible.

De plus, le tribunal administratif souligne la pratique dilatoire des requérants. Ceux-ci n’ont présenté leur pièce utile pour établir leur intérêt à agir que quelques jours avant l’audience prévue, ce qui a entrainé un renvoi de l’audience. Les fins de non recevoir présentées par la commune et les bénéficiaires du permis de construire avaient pourtant été présentées près de 2 ans avant la date d’audience.

Enfin, la requête ne présentait aucun moyen sérieux de nature à démontrer l’illégalité du permis de construire. Plusieurs moyens étaient inopérants, d’autres manifestement infondés, irrecevables ou assortis de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé. La requête avait également été présentée dans un contexte de conflit politique et des allégations non démontrées avaient été alléguées contres les pétitionnaires.

Par conséquent, le tribunal administratif juge que le recours ainsi formé est abusif et condamne les requérants à verser aux pétitionnaires la somme de 82 700€ à titre de dommages et intérêts.

Source : Revue Procédures, janvier 2016, n° 1, procédure administrative, « Du danger d’exercer un recours abusif contre un permis de construire », par Serge Deygas

Précisions concernant le bénéfice d’un certificat d’urbanisme 

CE, 15 décembre 2015, n° 374026, Commune de Saint-Cergues 

Une commune avait refusé de délivrer à une société un permis de construire sur un ensemble immobilier au motif que le terrain d’assiette du projet ne se situait non plus en zone AU mais en zone A, du fait de la modification du PLU. La requérante faisait valoir deux certificats d’urbanisme d’information délivrés aux propriétaires des terrains d’assiette quelques mois auparavant mais après la demande de permis de construire. Le tribunal administratif avait annulé ce refus de permis de construire et les juges d’appel avaient ensuite rejeté l’appel formé par commune. Elle s’est alors pourvue en cassation.

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat juge que la société requérante pouvait invoquer le bénéfice des certificats d’urbanisme qui avaient été délivrés non à elle-même, mais à d’autres personnes, à savoir les propriétaires des terrains d’assiette du projet.

Dans un deuxième temps, le Conseil d’Etat juge qu’ « aucune disposition n’exclut la prise en compte d’un certificat d’urbanisme pour l’examen d’une demande d’autorisation ou d’une déclaration préalable déposée antérieurement à la délivrance de ce certificat et n’ayant pas encore donné lieu à décision de l’autorité administrative ».

Dans un troisième temps, il considère que même si la requérante de s’est pas expressément prévalue des certificats d’urbanisme lors de l’instruction de sa demande de permis de construire, elle peut tout de même bénéficier de ces certificats.

Source : RDI, Février 2016, n°2, « L’invocation du bénéfice des certificats d’urbanisme facilitée par le Conseil d’Etat », par Rémi Decout-Paolini

Précisions sur la marge d’appréciation du maire lors de la délivrance d’un permis de construire et sur le contrôle opéré par le juge 

CE, 9 novembre 2015, n° 385689 

Le maire de la commune de Saint Herblain a délivré à une société un permis de construire sur un immeuble de 33 logements au sein de la zone du PLU. La hauteur et le volume de cet immeuble étaient plus importants que les constructions voisines. L’arrêté municipal par lequel le permis avait été octroyé a été annulé en première instance, mais la cour administrative d’appel a annulé ce jugement.

Le Conseil d’Etat commence par relever que l’article 11 du règlement du PLU concernant la zone UB prévoit que « la situation des constructions, leur architecture, leurs dimensions, leur aspect extérieur doivent être adaptés au  »caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels et urbains, ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales » et que « toute construction nouvelle devra être conçue en tenant compte de l’environnement urbain dans lequel elle s’insère ».

Le Conseil d’Etat énonce que le juge de l’excès de pouvoir doit apprécier si l’administration a pu légalement autoriser la construction projetée, compte tenu de ses caractéristiques et de celles des lieux avoisinants, sans méconnaitre l’article 11 du règlement du PLU. Le CE se penche sur le contrôle opéré par le juge dans une telle situation et précise qu’il doit tenir compte de l’ensemble des dispositions de l’article et de la marge d’appréciation qu’elles laissent à l’autorité administrative pour accorder ou refuser de délivrer une autorisation d’urbanisme. Il en conclut qu’en se bornant à s’assurer qu’en délivrant le permis de construire contesté, le maire de Saint-Herblain n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article 11 du règlement du PLU, les juges d’appel ont commis une erreur de droit.

Réglant ensuite l’affaire au fond, le Conseil d’Etat juge en l’espèce qu’eu égard aux dispositions du plan local d’urbanisme, « l’obligation pour une construction nouvelle de tenir compte de son environnement et de s’y intégrer ne fait pas obstacle à ce qu’elle présente, dans le respect des prescriptions du règlement relatives à la hauteur, une différence d’échelle avec les constructions pavillonnaires avoisinantes ». Le maire a donc pu légalement estimer que la construction projetée pouvait être autorisée sans méconnaissance de l’article 11 du règlement du PLU, même si sa hauteur et son volume étaient plus importants que les maisons alentour.

Source : Editions législatives, Dictionnaire permanent Construction et urbanisme, décembre 2015, « Règles « concurrentes » du PLU et latitude du maire pour octroyer ou refuser un permis », par L. Guittard

Exception d’illégalité en matière de planification urbaine 

CAA Nantes, 12 novembre 2015, n° 14NT01283

Par une délibération en date du 21 décembre 2011, le conseil municipal de la commune de Trédion a approuvé son PLU. Un requérant a formé un recours contre cette délibération. Le tribunal a annulé le document local d’urbanisme de la commune, qui a ensuite interjeté appel.

Dans un premier temps, la commune soutient que les juges de première instance ont commis une erreur de droit en appliquant l’article L300-2 du Code de l’urbanisme qui prévoit que le conseil municipal délibère sur les objectifs poursuivis et sur les modalités d’une concertation avant toute élaboration d’un plan local d’urbanisme. La commune reproche au tribunal administratif d’avoir fait application de ce texte alors que l’article L600-1 du code de l’urbanisme trouvait lui aussi à s’appliquer. Ce texte interdit l’invocation, par la voie de l’exception d’illégalité, et à l’issue d’un délai de six mois après la prise d’effet de l’acte prescrivant l’élaboration d’un document d’urbanisme, d’un vice de forme ou de procédure, c’est-à-dire d’un vice de légalité externe.
La cour administrative d’appel juge en l’espèce que les dispositions de l’article L300-2 ne relèvent pas de la légalité externe de la délibération et par conséquent, ne rentrent pas dans le cadre de l’article L600-1.

Dans un second temps, la commune reproche aux juges de s’être fondés sur le motif tiré de la méconnaissance de l’article L300-2 alors que durant une séance du conseil municipal, celui-ci aurait délibéré sur les grands objectifs que le commune souhaitait poursuivre dans le cadre de l’élaboration de son PLU. Toutefois, la Cour administrative d’appel, au regard du registre des délibérations du conseil municipal, décide que le maire s’est simplement borné à exposer l’intérêt d’élaborer un PLU. Il n’est pas établi qu’un réel débat ait eu lieu concernant les grands objectifs que se fixait la commune.

La cour rejette donc la requête de la commune.

Source : AJDA, 18 janvier 2016, n° 1, « Prescription de l’élaboration ou de la révision d’un plan local d’urbanisme », par Antoine Durup de Baleine

Un dossier de demande de permis de construire incomplet n’est pas systématiquement synonyme d’illégalité du permis de construire 

CE, 23 décembre 2015, n° 393134 

Une société a obtenu un permis de construire pour l’édification d’un bâtiment à usage d’habitation collective. Plusieurs requérants ont contesté le permis de construire, considérant que celui-ci était illégal du fait de l’insuffisance des documents figurant au dossier de demande de permis de construire. Le tribunal administratif a rejeté leur requête.

Pour le Conseil d’Etat, le caractère incomplet d’un dossier de demande de permis ou l’insuffisance, l’imprécision ou l’inexactitude des documents constituant le dossier, n’entraînent pas automatiquement l’illégalité du permis. Le permis n’est entaché d’illégalité que dans le cas où les omissions, inexactitudes ou insuffisances du dossier ont été de nature à fausser l’appréciation portée par l’autorité administrative sur la conformité du projet à la réglementation applicable.

En l’espèce, après examen des pièces du dossier, le Conseil d’Etat juge que l’autorité administrative a bien été mise en mesure de porter, en connaissance de cause, son appréciation sur l’insertion du projet dans son environnement.

Source : AJDA, 18 janvier 2016, n° 1, Au fil de la semaine, « Incidence d’un dossier incomplet sur la légalité du permis de construire », par Jean-Marc Pastor

Conclusions défavorables du commissaire enquêteur à l’occasion d’une procédure de modification d’un PLU 

CE, 15 décembre 2015, n° 374027, Commune de Saint-Cergues 

Le Conseil d’Etat est venu statuer dans une affaire ayant trait à la procédure de modification d’un PLU. Il considère que l’article L123-12 du code de l’environnement est applicable à la procédure de modification. Celui-ci, dans son dernier alinéa, dispose que lorsqu’un projet d’une collectivité territoriale donne lieu à des conclusions défavorables du commissaire enquêteur, il doit faire l’objet d’une délibération de l’organe délibérant de la collectivité.

Selon le Conseil d’Etat, cette disposition n’impose pas que l’examen des conclusions défavorables fasse l’objet d’une réunion distincte de celle au cours de laquelle le conseil municipal approuve la modification du PLU, ni d’une délibération matériellement distincte de la délibération approuvant le projet. Il n’est pas non plus nécessaire que l’organe délibérant débatte spécifiquement des conclusions en cause. L’organe délibérant doit seulement délibérer sur le projet, même lorsque celui-ci relève de la compétence de l’exécutif de la collectivité, en ayant eu connaissance du sens et du contenu des conclusions du commissaire enquêteur.

Source : Gazette du Palais, 26 janvier 2016, n° 4, Panorama de jurisprudence du Conseil d’Etat, « Procédure de modification du PLU : examen des conclusions du commissaire enquêteur », par Philippe Graveleau

Contrats publics

Précisions sur l’office du juge dans le cadre d’une demande de suspension d’une décision de résiliation 

CE, 17 juin 2015, n° 388433, Commune d’Aix-en-Provence

Dans cette affaire, une commune avait résilié un contrat de délégation de service public conclu avec une association. Celle-ci avait demandé au juge des référés, la suspension de la décision de résiliation et que soit enjoint à la commune la reprise des relations contractuelles.

Le Conseil d’Etat rappelle la règle classique selon laquelle, face à la résiliation de son contrat, le cocontractant peut former un recours de plein contentieux et l’accompagner d’une demande de suspension.

Concernant le référé-suspension, le moyen qui crée un doute sérieux sur la validité de la décision de résiliation doit être suffisamment grave pour conduire à une reprise des relations contractuelles.

En l’espèce, le juge des référés du tribunal administratif s’était borné à rechercher si les vices invoqués par l’association requérante étaient de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision mais s’était abstenue de vérifier si ces vices étaient d’une gravité suffisante pour conduire à la reprise des relations contractuelles. Il a ainsi commis une erreur de droit.

Le Conseil d’Etat, jugeant réglant alors l’affaire sur le fond, juge que la résiliation du contrat entrainerait en l’espèce une atteinte grave et immédiate à l’intérêt du cocontractant. La suspension en référé de l’exécution de la décision de résiliation est justifiée.

Source : AJDA, 16 novembre 2015, n° 38, « Office du juge du référé-suspension et Béziers II »

Irrégularités des offres de la société attributaire et du concurrent évincé

CAA Nancy, 8 décembre 2015, n° 15NC00425, Société Système Son

 

Au terme d’une procédure de passation d’un marché public de travaux, la commune de Toul a décidé d’attribuer le lot « équipements scéniques » à la société MPM Equipement et ainsi, a rejeté l’offre formulée par la Société Système Son. Celle-ci a obtenu du tribunal administratif de Nancy l’annulation du marché, mais sa demande indemnitaire a été rejetée. Elle relève alors appel de ce jugement, ainsi que la commune qui conteste l’annulation du marché.

Dans un premier temps, après une analyse comparative du contenu du cahier des clauses techniques particulières et de l’offre de la société MPM Equipement, la Cour administrative d’appel relève que cette offre était irrégulière puisqu’elle ne respectait pas les exigences formulées dans les documents de la consultation. La cour rappelle que l’attribution du marché à un candidat dont l’offre est irrégulière affecte le choix de l’attributaire. Elle en conclut que la commune de Toul n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nancy a annulé le marché.

Dans un second temps, la cour se penche sur les conclusions indemnitaires présentées par la société Système Son. Après examen de son offre, la cour conclut que celle-ci était irrégulière. La commune était donc tenue de l’éliminer. Dès lors, l’irrégularité de l’offre e la société MPM Equipement n’a pas été la cause directe de l’éviction de la société Système Son. Par conséquent, la société Système Son n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à l’indemnisation de son préjudice.

Source : Contrats publics, février 2016, n° 162, « Recours du concurrent évincé » par Catherine Ribot

Perte de la qualité de pouvoir adjudicateur d’une commune suite à la fusion de celle-ci avec une autre ville

Tribunal administratif de Lille, 3 juillet 2015, n° 1504658, Société Plaetevoet sport et paysages 

Le tribunal administratif de Lille a été saisi d’un référé précontractuel par une société évincée de la conclusion d’un marché public de travaux. Cette dernière lui a demandé d’annuler la procédure de passation de ce contrat, lancé par la commune de Saint-Pol-sur-Mer.

Cette commune se trouvait dans une situation particulière. En effet, un arrêté préfectoral en date du 8 décembre 2010 a prononcé sa fusion avec la ville de Dunkerque. Selon le tribunal administratif, la commune de Saint-Pol-sur-Mer a, depuis le 8 décembre 2010, perdu sa personnalité juridique et par conséquent, sa qualité de pouvoir adjudicateur au sens du code des marchés publics. Elle ne pouvait donc pas recourir à une procédure issue du code des marchés publics.

Le tribunal administratif de Lille décide alors d’annuler la procédure de passation en cause.

Source : AJDA, 18 janvier 2016, n° 1, « Être ou ne pas être (un pouvoir adjudicateur), telle est la question (posée au juge du référé précontractuel) », par Rémi Bonnefont

L’impact discutable de la décision Département de Tarn-et-Garonne sur les délégations de service public

Impossibilité pour les usagers du service public d’exciper de l’illégalité des délégations de service public devant le juge judiciaire. Ils ne peuvent exciper que de l’illégalité des clauses tarifaires des délégations de service public. La Cour de cassation avait en effet jugé que « l’usager du service public, tiers à la convention de délégation, ne pouvait exciper, après l’expiration du délai du recours contentieux, que de l’illégalité des clauses tarifaires elles-mêmes et non des vices entachant la convention dans laquelle elles étaient insérées » (Civ., 1ère, 6 février 2001, n° 99-11.996). Cet arrêt, qui a fait l’objet de nombreux commentaires, a majoritairement été perçu comme une manière pour la cour de cassation de mettre en compatibilité sa jurisprudence avec celle du Conseil d’Etat, qui autorise seulement l’usager du service public à demander l’annulation des clauses règlementaires des contrats ou à invoquer leur illégalité par voie d’exception. Le Conseil d’Etat n’a pas admis la possibilité pour les usagers de contester le contrat de délégation.

Se pose désormais la question de savoir si la position de la cour de cassation va survivre ou évoluer, au regard de l’arrêt Département de Tarn-et-Garonne, rendu par le Conseil d’Etat le 4 avril 2014 (CE, Ass., 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Par cette décision, le Conseil d’Etat a ouvert le recours en contestation de validité d’un contrat à tous les tiers à un contrat administratif.

Une requérante n’a d’ailleurs pas manqué d’invoquer la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne pour demander l’annulation d’un contrat de délégation de service public. La Cour d’appel a rejeté sa requête, expliquant que l’arrêt du Conseil d’Etat était seulement applicable aux conventions conclues après le 4 avril 2014, ce qui n’était pas le cas en l’espèce (CA Bordeaux, 30 juillet 2014, n° 13/03101, Mme Loubere).

Selon l’auteur de cet article, la nouvelle décision du Conseil d’Etat ne devrait pas avoir d’impact significatif sur la jurisprudence judiciaire. Il considère en effet que la jurisprudence judicaire qui s’applique depuis 2001 se justifie par une raison plus importante que la stricte volonté de mettre en compatibilité les jurisprudences administrative et judiciaire. En effet, l’auteur « ne voit pas au nom de quel principe le juge judiciaire devrait porter son regard sur une convention de délégation de service public dont la plupart des clauses n’intéressent pas les abonnés en ce qu’elle n’ont qu’une portée purement contractuelle entre l’autorité délégante et le délégataire ». La délégation de service public serait constituée d’une majorité de stipulations qui ne concerneraient absolument pas les usagers. Seules les clauses tarifaires, qu’ils peuvent contester, les toucheraient vraiment.

Source : AJDA, 16 novembre 2015, n° 38, « La décision Département de Tarn-et-Garonne menace-t-elle les délégations de service public ? », par Hugues de Matz-Pazzis

Un concessionnaire peut résilier pour faute son contrat de sous-concession 

CE, 12 novembre 2015, n° 387660, Société Le jardin d’acclimatation 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat juge que les règles applicables en matière de résiliation d’un contrat de concession, s’appliquent également dans l’hypothèse de la résiliation d’un contrat de sous-concession. Le Conseil d’Etat autorise le concessionnaire à résilier pour faute son contrat de sous-concession.
Ainsi, les règles classiques de résiliation trouvent application : la résiliation pour faute doit être précédée d’une mise en demeure, sauf si le contrat en dispose autrement ou s’il n’est pas possible de remédier aux manquements reprochés. De plus, même si le contrat ne se prononce pas sur la possibilité de résilier le contrat pour faute, le concédant, et a fortiori, le sous-concédant, disposent de la faculté de résilier unilatéralement le contrat pour faute et sans indemnité. Le Conseil d’Etat précise enfin que si le juge est saisi pour prononcer la déchéance du contrat, il est régulièrement saisi alors même que le délai donné au cocontractant pour se conformer à ses obligations n’est pas expiré. Le juge ne peut toutefois statuer qu’après expiration de ce délai.

Source : Contrats et marchés publics, Janvier 2016, n° 1, Commentaires, « Précisions sur les conditions de résiliation pour faute d’une sous-concession domaniale », par Marion Ubaud-Bergeron

Application du principe d’égalité entre les candidats dans le cadre de la passation d’une concession d’aménagement 

CE, 12 novembre 2015, n° 386578, SA gardéenne d’économie mixte (SAGEM) 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat est venu faire une application du principe d’égalité dans le cadre d’un litige relatif à une concession d’aménagement.

Une commune avait attribué une concession d’aménagement à une société et un candidat évincé avait demandé son annulation, en arguant notamment d’une violation du principe d’égalité.
Après examen des pièces du dossier, il ressort que les demandes de permis de construire nécessaires à l’opération ont été élaborées par un cabinet d’architecture, maître d’œuvre de la commune. Il s’avère que ce cabinet d’architecture est également le conseil de la société attributaire de la concession et qu’il l’a assistée au long de la procédure, y compris lors de la phase de négociation des offres, au cours de laquelle les permis étaient encore en instruction. Face à cette situation, la cour administrative d’appel avait écarté l’argument tenant à la méconnaissance du principe d’égalité entre les candidats, estimant que tous avaient reçu communication des permis de construire. Le Conseil d’Etat décide qu’en jugeant ainsi, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Source : Contrats et marchés publics, Janvier 2016, n° 1, Commentaires, « Egalité de traitement des candidats et modification substantielle du projet », par Gabriel Eckert

Intérêt agir d’un conseil régional de l’ordre des architectes

CAA Marseille, 9 novembre 2015, n° 15MA01938, Conseil régional de l’ordre des architectes du Languedoc Roussillon 

Le conseil régional de l’ordre des architectes du Languedoc Roussillon a attaqué une décision par laquelle une commune a décidé d’attribuer un marché de maitrise d’œuvre à un cabinet d’architecture. Le tribunal administratif a déclaré sa requête irrecevable, estimant que le conseil régional de l’ordre des architectes n’avait pas intérêt à agir contre la décision. Elle a alors fait appel du jugement.

La cour administrative d’appel commence par souligner que le contrat ayant été attribué avant la décision Département de Tarn-et-Garonne (CE, Ass., 4 avril 2014, n° 358994), le conseil régional de l’ordre des architectes a attaqué un acte détachable du contrat, à savoir la décision d’attribution. La cour rappelle que la recevabilité de ce type de recours est subordonnée à la condition que le contrat en cause soit susceptible d’affecter les droits conférés aux architectes lorsque leur intervention est requise.

En l’espèce, la cour considère que le conseil régional de l’ordre des architectes avait bien intérêt à agir contre la décision. En effet, « l’absence d’attribution de toute prime dans l’avis d’appel à concurrence et la détermination du montant de la rémunération à laquelle peuvent prétendre les candidats architectes non retenus par un marché de maîtrise d’œuvre sont susceptibles d’affecter les modalités d’exercice de la profession d’architecte compte tenu de l’influence que le montant de cette indemnité peut exercer sur l’accès au marché des membres de cette profession ». Le contrat litigieux est donc susceptible d’affecter les droits des architectes

Source : Contrats et marchés publics, Janvier 2016, n° 1, Commentaires, « Recours pour excès de pouvoir : intérêt à agir d’un conseil régional de l’ordre des architectes », par Hélène Hoepffner

Le Conseil d’Etat apporte des précisions concernant l’office du juge en matière de référé précontractuel

CE, 20 janvier 2016, n° 394133, Communauté intercommunale des villes solidaires (CIVIS) 

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat rappelle la solution classique selon laquelle le juge du référé précontractuel ne doit pas se prononcer sur l’appréciation que le pouvoir adjudicateur porte sur la valeur d’une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il doit seulement se prononcer sur son respect des obligations de publicité et de mise en concurrence.

Le Conseil d’Etat vient préciser l’office de ce juge. Ainsi, il lui appartient « lorsqu’il est saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n’a pas dénaturé le contenu d’une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l’attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d’égalité de traitement des candidats ».

Source : AJDA, 1er février 2016, n° 3, « Précisions sur l’office du juge du référé précontractuel », par Diane Poupeau

Droits de la construction

Illustration de la variété des régimes de responsabilité en cas de dépassement de normes d’isolation phonique 

Cass. 3ème, civ, 20 mai 2015, n° 14-15.107 

Une société vend en VEFA un appartement et une place de stationnement. Les propriétaires se plaignent de désordres après la livraison et notamment de problèmes relatifs à l’isolation phonique de certaines pièces. Estimant que le désordre a un caractère décennal, ils assignent la société en indemnisation de leurs préjudices.

La cour d’appel avait rejeté leur demande, estimant que le dépassement des normes d’isolation phonique était limité, et ne permettait donc pas de justifier d’une impropriété de l’appartement à sa destination, et donc du caractère décennal du désordre.

La Cour de cassation casse au visa des articles 1642-1 et 1792 du Code civil. Elle juge « Qu’en déduisant de la seule circonstance que le dépassement des normes d’isolation phonique applicables aurait été limité, l’absence de désordre relevant de la garantie décennale, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Cass. 3ème, civ, 8 juillet 2015, n° 13-20.980

Une société de promotion immobilière vend un appartement en VEFA. Après livraison de celui-ci, les propriétaires se plaignent de désordres constitués par un défaut d’isolation phonique, désordre visé à l’article L111-11 du code de la construction et qui fait l’objet d’une garantie spéciale d’un an. Ils assignent alors la société en réparation de leur préjudice, mais la cour d’appel rejette leur demande. Ils se pourvoient alors en cassation.

La Cour de cassation rejette le pourvoi des requérants. La cour d’appel avait constaté que le défaut d’isolation phonique ne résultait pas d’un manquement de la société à ses obligations contractuelles, mais d’une non-conformité aux prescriptions réglementaires. La cour de cassation juge qu’ainsi, elle en a exactement déduit que « seule la garantie du vendeur ou promoteur prévue par l’article L. 111-1 du code de la construction et de l’habitation pouvait recevoir application ».
En l’espèce, le délai de forclusion prévu par cet article était écoulé à la date de l’assignation au fond.

Source : RDI, janvier 2016, n°1, « Le maquis des régimes applicables à la violation des normes réglementaires phoniques ou thermiques : dommage décennal, dommage spécial, ou défaut de conformité … ? », par Olivier Tournafond

La preuve de la cause étrangère permet au locateur d’ouvrage de s’exonérer de sa responsabilité 

Cour de cassation, 3e civ, 29 octobre 2015, n° 14-20.133, Société Clichy Europe 3 c/ Société Saga, SF21, Spie SCGPM, Générali IARD et autres

Une SCI, la société Clichy Europe 3 a fait construire des immeubles. L’opération a fait intervenir un architecte, une société chargée du gros œuvre, une autre des études fluides et une autre de la plomberie. Les immeubles sont vendus en l’état futur d’achèvement, puis donnés à bail par le propriétaire. La société locataire de plaint de mauvaises odeurs et assigne le bailleur. Les différents intervenants du chantier sont appelés en garantie.
En appel, la cour relève que les odeurs provenaient de la fosse de relevage et d’un siphon relié à la fosse et que l’expert mandaté avait indiqué que les remontées d’odeurs constituaient un dommage de nature à rendre l’immeuble impropre à sa destination. Pour autant, la cour avait écarté l’application de l’article 1792 du Code civil. En effet, l’expert qui avait retenu la responsabilité des divers intervenants au chantier l’avait fait de manière trop sommaire. Il l’avait fait « sans décrire précisément les désordres concernés ni viser les documents contractuels, ni dire ce qui incombait à chacune d’elle lors de la construction de l’ouvrage ni indiquer de façon précise ce qui relève d’un défaut de conception ou ce qui relève de la mauvaise exécution ». La cour avait également estimé qu’il n’était pas prouvé que les différentes sociétés étaient respectivement responsables de la survenance des odeurs nauséabondes.
La cour de cassation casse l’arrêt, au motif que le vendeur d’un immeuble en VEFA dispose d’un recours en garantie contre les locateurs d’ouvrage lorsque survient un désordre. Les locateurs d’ouvrage ne peuvent s’exonérer de leur responsabilité qu’en rapportant la preuve d’une cause étrangère.

Source : RDI, janvier 2016, n°1, « La présomption de responsabilité de l’article 1792 ne tombe que devant la preuve de la cause étrangère », par Philippe Malinvaud

Le choix de l’expert par le juge 

Cass. Crim., 21 octobre 2015, n°15-83395 et Cass. Crim., 10 novembre 2015, n° 15-83605 
Cass. Crim., 21 octobre 2015, n°15-83395

Dans cette première affaire, un expert avait été désigné pour traduire en français, des conversations téléphoniques en langue créole. Cet expert assermenté était interprète et traducteur, et inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel dans la rubrique « langues anglaise et anglo-saxonnes ».
L’annulation de la retranscription des écoutes a été sollicitée par la personne mise en examen, au motif que l’expert avait été désigné pour réaliser une mission ne relevant pas de sa spécialité. La personne mise en examen a considéré que pour pouvoir réaliser cette mission, l’expert aurait dû prêter un nouveau serment.

La cour de cassation approuve la cour d’appel qui, pour écarter ce grief, a considéré qu’il résultait de l’article 160 du code de procédure pénale que les experts inscrits sur une liste d’experts, assermentés au moment de cette inscription, n’ont pas à prêter un nouveau serment lorsqu’ils sont commis. De plus, en application de l’article 157 du code de procédure pénale, les juges ont le libre choix des experts.

Cass. Crim., 10 novembre 2015, n° 15-83605

Dans cette seconde affaire, suite à un accident intervenu dans une usine, un ouvrier avait été tué et un autre blessé. Pour déterminer les causes de l’accident, un juge d’instruction avait désigné un expert inscrit sur la liste des experts de la cour d’appel sous les rubriques : mécanique générale, matériaux et structures, métallurgie générale. Les personnes mises en examen ont soutenu que la mission en cause relevait de l’expertise chimique. Or, l’expert n’était pas inscrit sur la liste des experts sous la rubrique « chimie ». Les mis en examen ont donc soulevé un moyen tiré de l’incompétence de l’expert en matière de chimie. La chambre criminelle de la Cour de cassation, au même titre que la Cour d’appel, écarte ce moyen.

Source : Gazette du Palais, 26 janvier 2016, n° 4, « L’expert omniscient », par François Fourment

Le devoir de conseil du notaire implique l’information concernant les incidences de l’absence de délivrance d’un certificat de conformité 

Cass. Civ., 1ère, 17 juin 2015, n° 14-19.692

Par acte authentique, un acquéreur a acheté une maison d’habitation. L’acte stipulait que le certificat de conformité n’avait pas été obtenu au jour de la vente, que l’acquéreur dispensait le vendeur d’avoir à l’obtenir préalablement à la signature du contrat et que l’acquéreur déclarait avoir parfaite connaissance et vouloir faire son affaire personnelle de cette situation, sans recours contre le vendeur. Par la suite, la délivrance du certificat de conformité a été refusée. L’acquéreur, arguant de divers préjudices, a alors assigné le notaire en responsabilité et indemnisation.

La cour d’appel a rejeté cette requête, considérant que le notaire avait fait preuve de diligence en recherchant la délivrance ou l’absence de délivrance du certificat de conformité et en informant l’acquéreur de la situation. Ce dernier avait d’ailleurs déclaré en avoir parfaite connaissance.

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l’article 1382 du Code civil. Elle estime qu’il ne ressortait pas des stipulations de l’acte authentique que l’acquéreur avait été clairement informé des incidences d’un refus de délivrance du certificat de conformité et du risque qu’il s’engageait à supporter. Elle en conclut que le notaire a manqué à son devoir de conseil.

Source : AJDI, janvier 2016, n° 1, « Absence de certificat de conformité : devoir de conseil et de mise en garde du notaire », par Jean-Philippe Borel

Censure de la décision de démolition d’une maison construite sur la base d’un CCMI annulé 

Cour de cassation, 3ème civ., 15 octobre 2015, n° 14-23.612 

Dans cet arrêt, la cour de cassation relève sur un ouvrage construit sur la base d’un contrat de construction de maison individuelle, de très nombreuses malfaçons, insuffisances et incohérences.

Elle approuve alors la cour d’appel qui avait considéré que du fait de ces nombreuses difficultés, le contrat conclu ne répondait pas aux dispositions d’ordre public de l’article L. 231-2 du code de la construction et de l’habitation. Elle en avait exactement déduit que le contrat devait être annulé en sa totalité, et non en ses seules clauses irrégulières, « l’article L. 231-3 ne réputant non écrites que les clauses limitativement énumérées ayant pour conséquence de créer un déséquilibre en défaveur du maître de l’ouvrage et présentant un caractère abusif ».

La cour d’appel avait alors retenu que l’annulation du contrat devait conduire à remettre les parties dans l’état où elles se trouvaient avant sa conclusion. Sur ce point, la Cour de cassation est d’un tout autre avis. Elle considère que la cour d’appel aurait dû rechercher si la démolition de l’ouvrage était une sanction proportionnée à la gravité des désordres et non-conformités constatées. Elle casse donc partiellement l’arrêt de la cour d’appel.

Source : Recueil Dalloz, 26 novembre 2015, n° 41, « Violations des dispositions d’ordre public d’un contrat de construction individuelle : démolir la maison ou mollir la sanction ? », par Charlotte Dubois

Erreur de diagnostic et apparition de désordres dans l’immeuble

Cour de cassation, 3ème civ, 7 janvier 2016, n° 14-18.561 

Une société d’architecture a réalisé un diagnostic technique de l’état apparent d’un immeuble appartenant à une société. Elle a conclu que l’immeuble ne nécessitait pas de travaux importants dans un délai de cinq ans car l’état des bâtiments était correct et il n’existait qu’une seule fissuration. La société propriétaire de l’immeuble a ensuite vendu l’immeuble mais quelques années plus tard, des fissures importantes sont apparues. La société venderesse a alors assigné la société d’architecture, en invoquant une erreur de diagnostic. Elle a demandé que la société d’architecture soit condamnée à lui payer le coût des travaux de reprise et les frais annexes La cour d’appel a décidé de limiter l’indemnisation due à la société par la société d’architecture et a décidé de fixer le préjudice au surcoût des travaux rendus nécessaires par l’aggravation des désordres. La société s’est pourvue en cassation.

En l’espèce, la cour de cassation approuve la décision prise par la Cour d’appel. Elle considère en effet que même si le diagnostic réalisé avait révélé le véritable état de l’immeuble, l’erreur de diagnostic n’était pas la cause des désordres, et la société aurait entreprendre des travaux de reprise. En jugeant ainsi, et notamment en retenant qu’il n’était pas démontré qu’existait un lien de causalité entre l’obligation du vendeur de recourir aux travaux et l’erreur du diagnostiqueur, la cour d’appel a légalement justifié sa décision.

Source : Recueil Dalloz, 21 janvier 2016, n° 3, Actualités, Droit immobilier, « Contrat d’entreprise (architecte) : portée d’une erreur de diagnostic »

Propriété 

L’image d’un bien public est hors du champ d’application du Code général de la propriété des personnes publiques et du Code de la propriété intellectuelle

CAA Nantes, Ass. Plén., 16 décembre 2015, n° 12NT01190, Société les Brasseries Kronenbourg SAS 

Une société qui commercialise de la bière avait fait réaliser des photographies du Château de Chambord, bien appartenant au domaine public de l’Etat, dans le cadre d’une opération de publicité pour l’un de ses produits. L’établissement public du domaine national de Chambord avait considéré que cette utilisation de l’image du château à des fins commerciales constituait une utilisation du domaine public et demandait le versement d’une contrepartie financière. Deux états de sommes dues ont alors été transmis à la société, puis deux titres exécutoires ont été émis à son encontre. Le tribunal administratif d’Orléans ayant annulé ces titres exécutoires en première instance, l’établissement public du domaine national de Chambord relève appel de ce jugement.

La Cour administrative d’appel juge que lorsqu’une dépendance du domaine public est occupée ou utilisée, une autorisation n’est nécessaire que si cette occupation ou utilisation constitue un usage privatif du domaine public, excédant le droit d’usage appartenant à tous. En contrepartie de cette autorisation, une redevance est versée à la personne publique gestionnaire du domaine public concerné. En revanche, l’occupation ou l’utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d’usage appartenant à tous n’est ni soumise à la délivrance d’une autorisation, ni au paiement d’une redevance.

En l’espèce, la cour juge que pour la réalisation des photographies, le château de Chambord n’a pa été soustrait à l’usage de tous. En l’absence d’usage privatif de ce domaine public, l’établissement public ne pouvait réclamer aucune redevance.

De plus, la cour estime que l’image d’un bien public ne se confond pas avec l’image de ce bien. L’image d’un bien appartenant à une personne publique ne rentre pas dans le champ d’application du Code général de la propriété des personnes publiques, ni dans celui du Code de la propriété intellectuelle. Il ne s’agit donc pas d’un bien.

Source : RDI, Février 2016, n°2, « Le nouveau pouvoir quasi domanial sur les images des immeubles du domaine public », par Norbert Foulquier

La notion d’utilisation normale du fonds, au secours de la reconnaissance de l’état d’enclave 

Cass. Civ., 3ème, 5 novembre 2015, n° 14-20.147 

Les propriétaires des plusieurs parcelles ont assigné leurs voisins et la commune en reconnaissance de l’état d’enclave de leur fonds et établissement d’un passage au profit de ce fonds.

La cour d’appel a rejeté cette demande. Elle a relevé que les parcelles ne sont accessibles que par un chemin piétonnier, qu’elles sont situées dans une zone agricole, que la POS de la commune ne permet pas d’y ouvrir une nouvelle voie privée, sauf pour desservir une installation agricole existante ou autorisée. En l’espèce, il n’existe pas d’installation agricole ou d’autorisation d’en créer une. Seules ont été versées au débat, des candidatures à l’exploitation des parcelles en cause, suite à une annonce publiée dans la presse.

La Cour de cassation casse l’arrêt. Elle juge qu’en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir le caractère suffisant de l’accès existant eu égard à l’utilisation normale du fonds, la cour a violé l’article 682 du Code civil. Celui-ci, repris dans l’attendu de principe de l’arrêt, dispose que « le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner. »

Source : AJDI, janvier 2016, n° 1, « L’état d’enclave peut être caractérisé au vu du projet d’utilisation du fonds enclavé », par Sylvaine Porcheron

Un syndicat de copropriétaires peut acquérir un lot par prescription 

Cour de cassation, 3ème civ., 8 octobre 2015, n° 14-16.071 

Un lot de copropriété correspondant à un immeuble est vendu à un acquéreur, déjà propriétaire de plusieurs lots dans le même immeuble. Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble s’est prévalu de l’acquisition du lot en question par prescription trentenaire. Il assigne alors l’acquéreur et les vendeurs en inopposabilité de la vente et restitution du lot.

La cour d’appel a rejeté la demande. Elle a relevé que le lot litigieux était bien une partie privative, ce que confirme d’ailleurs le règlement de copropriété. De plus, aucun vote n’a entériné un changement de destination du lot ou de ses modalités de jouissance. Elle a également relevé que la loi du 10 juillet 1965 interdit d’imposer à un copropriétaire la transformation d’une partie privative en partie commune. Elle a également justifié sa décision en estimant que le syndicat de copropriétaires ne peut pas porter atteinte aux droits fondamentaux des copropriétaires et ne peut donc acquérir par prescription, la partie privative constituant un lot.

La cour de cassation casse l’arrêt au visa de l’article 2272 du Code civil. Elle juge qu’aucune disposition ne s’oppose à ce qu’un syndicat de copropriétaires acquière par prescription la propriété d’un lot.

Source : Recueil Dalloz, 26 novembre 2015, n° 41, « A propos de la prescription acquisitive d’un lot de copropriété par le syndicat », par Antoine Tadros

L’affectation d’un bien à l’usage direct du public suppose que l’administration ait voulu l’affecter 

CE, 2 novembre 2015, n° 373896, Commune de Neuves-Maisons 

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur le critère de l’affectation d’un bien à l’usage direct du public, qui est l’un de ceux qui fondent l’appartenance d’un bien au domaine public d’une personne publique.

L’affaire concernait une parcelle appartenant à une commune et située au carrefour de deux rues, parcelle que les usagers des trottoirs empruntaient pour circuler plus rapidement. La question se posait de savoir si cette parcelle appartenait au domaine public communal, ce qu’avait jugé la cour administrative d’appel, ou non. Les juges d’appel avaient déduit l’appartenance au domaine public routier communal de la circonstance que la parcelle était « située à l’intersection de deux voies communales, dans le prolongement des trottoirs bordant ces voies, sans obstacle majeur à la circulation des piétons ». Elle en a conclu que la parcelle était affectée aux besoins de la circulation terrestre.

Le Conseil d’Etat casse l’arrêt et considère qu’en jugeant que la parcelle faisait partie du domaine public communal, sans rechercher si la commune avait affecté la parcelle en cause aux besoins de la circulation terrestre, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit.

Source : AJDA, 16 novembre 2015, n° 38, « Domaine public : l’affectation à l’usage du public doit être intentionnelle », par Rémi Grand

Environnement

2 décrets d’application de la loi ALUR concernant les secteurs d’information sur les sols et la substitution d’un tiers intéressé dans le cadre d’opérations de réhabilitation d’installations classées pour la protection de l’environnement 

La deuxième partie de l’année 2015 a vu sortir deux décrets d’application d’importance de la loi ALUR, concernant la partie de cette loi relative aux sites pollués. Le premier concerne le transfert conventionnel, partiel ou total, à un tiers intéressé, de l’obligation administrative de réhabilitation, le second a trait aux secteurs d’information sur les sols.

Le Code de l’environnement prévoit que le dernier exploitant d’une installation classée pour la protection de l’environnement est tenu d’une obligation de réhabilitation. Cette obligation ne peut en principe pas être étendue à un tiers. Mais, la loi ALUR a permis à un tiers intéressé de se substituer à l’exploitant dans l’accomplissement de cette obligation et a introduit à l’article L151-21 du Code de l’environnement, la règle selon laquelle « Lors de la mise à l’arrêt définitif d’une installation classée pour la protection de l’environnement ou postérieurement à cette dernière, un tiers intéressé peut demander au représentant de l’Etat dans le département de se substituer à l’exploitant, avec son accord, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l’usage que ce tiers envisage pour le terrain concerné. » Le décret n° 2015-1004 du 18 août 2015 est venu préciser les modalités de cette substitution en organisant une procédure en 2 temps. Pour commencer, le tiers intéressé doit obtenir l’accord du préfet. Il lui adresse, pour ce faire, une demande dans laquelle il expose l’usage envisagé du terrain, fournit l’accord du dernier exploitant et précise l’étendue des obligations en matière de réhabilitation et de surveillance. Si le préfet répond favorablement à cette demande, s’ouvre la deuxième phase de la procédure. Le préfet prend un arrêté préfectoral de substitution. Il indique l’usage du site retenu et le délai dans lequel le tiers intéressé devra lui communiquer le dossier de demande substitution. Le préfet accorde ou refuse alors cette demande. Le silence du préfet pendant 4 mois vaut refus. En cas d’accord, le tiers intéressé pourra se substituer au dernier exploitant. Il convient de préciser que ce dernier ne sera pas totalement libéré de ses obligations. Il pourra en effet être tenu à titre subsidiaire dans le cas où les opérations de réhabilitation ne se dérouleraient pas comme prévu et restera tenu de la remise en état non prise en charge pas le tiers intéressé dans le cas où la substitution ne serait que partielle.

Le deuxième décret n° 2015-1353 du 26 octobre 2015 s’intéresse aux secteurs d’information sur les sols (SIS), introduits dans le Code de l’environnement par la loi ALUR. Ces SIS permettent de cartographier les sites pollués. Ils doivent être élaborés par les préfets après avis des communes et des présidents des EPCI compétents en matière d’urbanisme. Les préfets de département devront élaborer les SIS avant le 1er janvier 2019. Il s’agit donc d’une obligation d’information à la charge de l’Etat.
Le décret prévoit l’intégration des SIS à l’état des risques naturels et technologiques. Ils seront également annexés aux PLU et intégrés aux certificats d’urbanisme. Si l’on projette de construire sur un site répertorié dans les SIS ou en cas de changement d’usage, une étude de sols devra être réalisée au préalable, pour s’assurer que l’état des sols et l’usage qu’il sera fait du site sont bien compatibles. Les études ainsi réalisées devront être jointes aux demandes de permis.
La détermination des SIS entrainera inévitablement certainement une dévalorisation de certains biens. Il est donc permis d’envisager que des contentieux se développeront à ce sujet, initiés par les propriétaires des terrains situés en SIS.

Source : RDI, Février 2016, n°2, « Le volet « sites pollués » de la loi « Alur » n° 2014-366 du 24 mars 2014 et ses décrets d’application la « substitution d’un tiers intéressé » (Décr. n° 2015-1004, 18 août 2015, et Arr. 29 août 2015) et la mise en place du secteur d’information sur les sols (Décr. n° 2015-1353, 26 oct. 2015) », par Mustapha Mekki

Un projet de construction d’un Center Parcs devant le tribunal administratif de Grenoble 

TA Grenoble, 16 juillet 2015, Union régionale fédération Rhône-Alpes de protection de la nature et autres, n° 1406678 et TA Grenoble, 16 juillet 2015, Union régionale fédération Rhône-Alpes de protection de la nature et autres, n° 1406681 

Le 16 juillet 2015, le tribunal administratif est venu statuer sur la légalité de deux arrêtés préfectoraux d’octobre 2014, ayant trait au projet de construction d’un Center Parcs à Roybon

Un premier arrêté préfectoral avait autorisé la SNC Roybon cottages à réaliser un projet de Center Parcs à Roybon. L’arrêté autorisait la destruction de 76 hectares de zones humides, dans une forêt. En contrepartie, la société devait créer pour compenser d’autres zones humides à d’autres endroits du bassin, d’une superficie égale à 200% des zones détruites.

Dans sa première décision, le tribunal administratif de Grenoble juge que « les remises en état de zones humides envisagées pour compenser l’impact du projet ne peuvent être regardées comme constituant globalement des mesures équivalentes sur le plan fonctionnel et de la biodiversité ». Par conséquent, elle en déduit que l’arrêté préfectoral n’est pas compatible avec le principe de compensation à une échelle appropriée.

Dans son second jugement, le tribunal administratif s’est penché sur le second arrêté préfectoral qui autorisait la même société à détruire des espèces protégées et leurs habitats. Le tribunal administratif a rejeté l’ensemble des recours formés contre cet arrêté. Il a considéré que ce dernier ne mettait pas en péril les espèces compte tenu de la très faible superficie du projet en comparaison avec la superficie de la forêt entière. De plus, il a estimé que le projet aurait des conséquences très positives en termes d’emploi et d’économie locale. Le projet présente donc un intérêt public impératif et majeur, qui justifie lé dérogation au principe selon lequel la destruction d’espèces protégées et de leurs habitats est interdite.

Source : AJDA, 25 janvier 2015, n° 2, Veille de jurisprudence, « Center Parcs de Roybon : le projet controversé devant le juge »

Propriété intellectuelle

L’éclairage envisagé sous l’angle du droit d’auteur

L’article L122-2 CPI dresse une liste d’œuvre pouvant être considérées comme des œuvres des l’esprit. Cette liste n’est pas limitative. Il est donc possible d’y inclure d’autres créations que celles énumérées, quelle que soit le mode d’expression de ces créations, à partir du moment où leur originalité est avérée.

La question se pose de savoir si un jeu de lumières, un éclairage, peut être considéré comme une œuvre de l’esprit et partant, protégé par le droit d’auteur. La réponse à apporter à cette interrogation est difficile. Dans certains cas l’éclairage d’un bâtiment par exemple, modifie la perception de celui-ci. Il peut parfois résulter de l’éclairage une création distincte de la création qui est éclairée. Dans d’autres cas, ce n’est pas le cas, l’éclairage n’ajoute rien.

Les affaires dans lesquelles les tribunaux ont envisagé cette question sont rares, mais on peut trouver des décisions dans lesquelles le juge a admis qu’un jeu de lumière constituait une œuvre de l’esprit. C’est le cas d’un arrêt rendu par la Cour de cassation et qui reconnait aux éclairages de la Tour Eiffel le caractère d’œuvre de l’esprit (Cass. Civ., 3 mars 1992, n° 90-18.081).

La question se pose également de la qualification de l’éclairage au regard du droit d’auteur. On peut qualifier l’éclairage d’œuvre composite qui au sens du code de la propriété intellectuelle est une « œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». En effet, il existe bien une œuvre antérieurement à la création résultant de l’éclairage, et l’œuvre éclairée n’a pas pris part à la création issue du jeu de lumières. Cette qualification a déjà été retenue par les juges (TGI Créteil, 3 mars 1998, Clair et autres c/ Etablissements André Leconte SA).
On peut également parfois considérer que l’éclairage constitue une œuvre de collaboration, puisqu’elle peut impliquer un travail de concertation entre le concepteur de l’éclairage et l’architecte de l’œuvre éclairée. Cette qualification est toutefois peu adaptée.

Source : Juris art etc., décembre 2015, n° 30, « Droit d’auteur et éclairage » par Olivier Pignatari

Précisions concernant la succession de l’auteur d’une œuvre

Cass. Civ., 1ère, 8 juillet 2015, n° 14-18.850 

L’arrêt de la Cour de cassation du 8 juillet constitue un apport intéressant en matière de dévolution des droits de propriété littéraire et artistique. Par cet arrêt, la cour de cassation consacre la précellence de l’usufruit volontaire.

L’affaire a pour point de départ le décès d’un écrivain. Il laissait alors derrière lui son épouse et son fils issu d’une première union. Par testament, il avait institué son épouse légataire universelle et gestionnaire de l’ensemble de son œuvre littéraire. 4 jours après la rédaction de ce testament, il lui avait consenti une donation portant sur l’universalité des biens de sa succession. Après le décès de son mari, l’épouse avait opté pour la totalité en usufruit. Le fils de l’écrivain avait alors formé une demande en nullité du testament et de la donation formée par son père, mais sa demande avait été rejetée. Les juges d’appel avaient ensuite rejeté sa demande en réduction de l’usufruit de sa belle-mère sur les droits d’auteur de son père. Il s’était alors pourvu en cassation.

L’article L 123-6 du Code de la propriété intellectuelle est ici central dans la solution rendue par la Cour de Cassation. Il prévoit que le conjoint survivant bénéficie de l’usufruit du droit d’exploitation dont l’auteur n’aura pas disposé. Mais si ce dernier laisse des héritiers à réserve, comme c’est le cas en l’espèce, cet usufruit est réduit au profit des héritiers.

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle juge que « lorsqu’en application de l’article 1094-1 du code civil, le conjoint survivant est donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, l’usufruit du droit d’exploitation dont il bénéficie en application de l’article L 123-6 du code de la propriété intellectuelle n’est pas réductible ». En l’espèce, l’épouse était donataire de l’usufruit de la totalité des biens de la succession, ce qui n’affectait pas la nue propriété de la réserve héréditaire. La cour d’appel a donc déduit à bon droit que l’usufruit du droit d’exploitation des œuvres de l’écrivain dont bénéficiait son épouse n’était pas soumis à réduction au profit de l’héritier réservataire.

Source : Droit & Patrimoine, novembre 2015, n° 252, « Vers une nouvelle succession de l’auteur d’œuvres littéraires et artistiques », par Pierre Noual

Prêt immobilier 

Interdépendance d’un contrat de crédit et d’un contrat de vente et d’installation de matériel photovoltaïque 

Cour de cassation, 1ère civ., 28 octobre 2015, n° 14-11.498 

Dans le cadre d’un contrat de vente et d’installation de matériel photovoltaïque, M. X a accepté une offre de crédit accessoire, d’un montant de 21 400 euros. La banque l’a assigné en paiement, après lui avoir notifié la déchéance du terme pour défaut de paiement.
M.X faisait valoir la forclusion, estimant que l’action en paiement était intervenue au-delà du délai légal de deux ans.

La Cour d’appel avait écarté la fin de non recevoir tirée de la forclusion biennale et avait condamné M.X au paiement des sommes dues à la banque. La cour avait retenu l’existence d’un différé de remboursement des échéances de ce prêt pendant onze mois en se fondant sur des éléments extrinsèques à ce contrat.

La cour de cassation juge quant à elle que le contrat de crédit affecté et le contrat de vente ou de prestation de services qu’il finance sont interdépendants. Par conséquent, « la mention, dans le second, que le prix sera payé à l’aide d’un crédit à amortissement différé, supplée le silence du premier quant à cette modalité de remboursement ». Ainsi, la cour de cassation approuve la cour d’appel qui a retenu que le délai de forclusion n’a commencé à courir qu’à partir du premier incident de paiement non régularisé ayant suivi la période de différé d’amortissement. L’action en paiement introduite par la banque était recevable.

Source : Recueil Dalloz, 21 janvier 2016, n° 3, Etudes et commentaires, Prêt, « L’ensemble contractuel, nouvelle clé de l’interprétation du contrat », par Scarlett-May Ferrié

Engagement du notaire et du conseiller en gestion de patrimoine dans le cadre d’un investissement immobilier à risques 

Cass. Civ., 3ème , 17 juin 2015, n° 13-19.761 

La société ACI audit et stratégie, conseiller en gestion de patrimoine, a vendu à des acquéreurs un local à usage d’habitation faisant partie d’un programme immobilier, après avoir contracté deux prêts permettant le financement de cette acquisition et des travaux de réhabilitation. Cet achat était motivé par leur souhait de réaliser un investissement immobilier dans le but de défiscaliser leurs revenus. Finalement, le promoteur-vendeur et ses filiales ont été placés en liquidation judiciaire avant le début des travaux. Les acquéreurs ont alors assigné en réparation de leur préjudice et manque à gagner financiers la société ACI audit et stratégie, le notaire et la banque qui leur avait accordé des crédits. Ils faisaient valoir le manquement de leurs obligations respectives d’information et de conseil, de mise en garde et de prudence.

En appel, les demandes dirigées contre le notaire ont été rejetées. La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel au visa de l’article 1382 du Code civil. Elle reproche à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si « si la circonstance que la promesse de vente comme la déclaration d’intention d’aliéner avaient été établies avant que le promoteur-vendeur n’acquiert l’immeuble à réhabiliter, n’était pas de nature à alerter le notaire sur la faisabilité juridique et financière de cette opération de défiscalisation immobilière ». Il incombait au notaire d’en informer les acquéreurs, voire de leur déconseiller de souscrire à ce programme. Même si la vente était parfaite, le notaire devait procéder à cette information. La responsabilité délictuelle du notaire et donc engagée.

La cour d’appel avait également écarté les demandes formulées contre la société ACI audit et stratégie. Au visa de l’article 1147 du Code civil, la Cour de cassation casse l’arrêt. L’arrêt d’appel ne démontrait pas que les acquéreurs avaient été informés que l’acquisition « ne leur garantissait pas la bonne fin de l’opération dont le succès était économiquement subordonné à la commercialisation rapide et à la réhabilitation complète de l’immeuble destiné à être exploité en résidence hôtelière, ce qui constituait un aléa essentiel de cet investissement immobilier de défiscalisation à vocation touristique ». La responsabilité contractuelle de la société est engagée.

La Cour de cassation considère enfin que le notaire et la société auraient pu inciter les acquéreurs à renoncer à leur investissement.

Source : AJDI, janvier 2016, n° 1, « La responsabilité du notaire en présence d’un doute sur la pertinence économique de l’opération », par Jean-Philippe Borel

Assurances 

Annulation d’une clause d’un contrat d’assurance pour défaut de cause

Cass., 3ème Civ., 26 novembre 2015, n° 14-25.761 

Des époux avaient conclu un contrat de construction de maison individuelle avec une société. Ce constructeur avait souscrit diverses assurances de responsabilité civile professionnelle et de responsabilité civile décennale auprès de la société Axa. Le constructeur avait sous-traité les travaux de gros œuvre. Le sous-traitant s’était assuré auprès de la société Thélem.

Se plaignant de fissures, les époux ont déclaré le sinistre auprès de la société Axa, assureur dommages-ouvrages. Cette dernière leur a refusé la garantie. Ils ont alors assigné le constructeur et la société Axa qui a appelé la société Thelem en garantie.

La cour d’appel avait rejeté les demandes de la société Axa contre la société Thelem. Elle avait retenu que la police d‘assurance souscrite prévoyait une période de garantie plus courte que celle pendant laquelle la responsabilité de l’assuré sous-traitant pouvait être engagée. De plus, la responsabilité du sous-traitant relevant d’une assurance facultative, l’assureur était libre de fixer une durée de garantie au délai de dix ans à compter de la réception des travaux.

La cour de cassation casse cet arrêt aux visa des articles L. 124-1 et L. 124-3 du code des assurances et de l’article 1131 du Code civil qui dispose que « L’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »

Elle juge que « toute clause ayant pour effet de réduire la durée de la garantie de l’assureur à un temps inférieur à la durée de la responsabilité de l’assuré est génératrice d’une obligation sans cause et doit être réputée non écrite ».

Source : Recueil Dalloz, 25 février 2016, n° 8, « La cause, une assurance tous risques », par Romain Boffa