Michel HUET
En collaboration avec Marie THEBAULT

DROIT DE L’ARCHITECTURE

Est réputée non écrite une clause stipulant que la prise de possession d’un ouvrage vaut réception tacite de celui-ci

Cass. Civ. 3ème, 6 mai 2015, n° 13-24947

Classiquement, la jurisprudence considère que la réception tacite d’un ouvrage ne peut être caractérisée par la seule prise de possession de l’ouvrage en question (exemple : Cass. Civ. 3ème, 28 janvier 2014, n° 12-22091).

Or, dans le cas d’espèce, un contrat de construction de maison individuelle contenait une clause stipulant que « toute prise de possession ou emménagement avant la rédaction du procès-verbal de réception signé par le maître de l’ouvrage et le maître de l’œuvre, entraîne de fait la réception de la maison sans réserve et l’exigibilité de l’intégralité des sommes restant dues, sans contestation possible ». Ainsi, les parties décidaient conventionnellement que la prise de possession de l’immeuble valait réception tacite de celui-ci.

La Cour de cassation a alors décidé qu’une telle clause devait être réputée non écrite, et confirme ainsi la position des juges d’appel.
La Cour met l’accent sur la particularité du contrat au cœur du cas d’espèce : les deux parties sont respectivement un professionnel et un non professionnel. Ainsi, par cette décision, la cour cherche à protéger le non professionnel d’une clause qui faciliterait la réception de l’ouvrage et créerait donc un « déséquilibre significatif entre les droits et obligations » des deux parties, et ce, au détriment de la partie non professionnelle. L’arrêt souligne le refus d’« une définition extensive de la réception ».

La Gazette du Palais, 16 et 17 septembre 2015, n° 259 à 260, Jurisprudence, Droit des obligations et droit des affaires, Du contrôle judiciaire des contrats immobiliers par Solange Becqué-Ickowicz

DROIT INTERNATIONAL 

Précisions sur l’usage de l’application Télérecours

CE, 11 mai 2015, n° 379356

A l’occasion de la contestation d’une ordonnance de référé relative à la suspension d’une décision de révocation d’un agent public, le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur le fonctionnement de l’application Télérecours.

Le dispositif du courrier électronique d’alerte, prévu à l’article R 611-8-2 du Code de justice administrative, ne l’est qu’à titre un informatif. Le fait que l’avocat n’ait pas reçu une telle alerte pour l’avertir du dépôt de l’avis d’audience dans l’application Télérecours est sans incidence sur la régularité de la procédure. En outre, l’avocat ne s’était pas expressément opposé à ce dispositif d’alerte électronique. La notification est réputée reçue.

De plus, le Conseil d’Etat considère comme sans incidence la circonstance selon laquelle le courrier de communication de la requête à l’avocat comportait une mention manuscrite indiquant que les pièces annexées lui seraient envoyées par voie postale.

La Gazette du Palais, 25 et 26 septembre 2015, n°268 à 269, p. 17, Jurisprudence, Vigilance requise dans l’usage de Télérecours

DROIT INTERNATIONAL 

La validité des contrats de vente d’ordinateurs intégrant des logiciels préinstallés, en suspens

Cass. Civ. 1ère, 17 juin 2015, n° 14-11437

Un consommateur avait fait l’acquisition d’un ordinateur sur lequel des logiciels étaient préinstallés. L’acquéreur qui ne désirait pas ces logiciels, demandait le remboursement de leur coût auprès du constructeur de l’ordinateur. Face au refus de celui-ci, l’acquéreur l’assignait au motif que cette vente liée constituait une pratique commerciale déloyale. Les juges du fond ayant rejeté la qualification de pratique commerciale déloyale, l’acquéreur s’est pourvu en cassation.

Pour trouver une solution au litige, la cour de cassation décide de renvoyer une question préjudicielle à la CJUE pour lui demander d’analyser la situation litigieuse au sens de la directive n° 2005/29/CE du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur.

La solution dépendra de la réponse à trois questions au cœur desquelles se trouve l’interprétation à donner des articles 5 et 7 de la directive. La première consiste à déterminer si constitue une pratique commerciale déloyale la vente d’un ordinateur avec des logiciels préinstallés lorsque le constructeur n’ pas précisé le coût de ces logiciels, même s’il a donné quelques informations à leur propos. La deuxième revient à savoir si une telle vente constitue une pratique commerciale déloyale au motif que le consommateur n’a pas d’autre option que d’accepter les logiciels ou d’obtenir la révocation de la vente. Enfin, la troisième question consiste à déterminer si une vente de ce type est une pratique commerciale déloyale dans la mesure où le consommateur ne peut pas se procurer un ordinateur non équipé de logiciels auprès du même fabricant.
La décision qui sera rendue par la CJUE est donc très attendue par les constructeurs d’ordinateurs qui intègrent des logiciels à leurs produits. Elle pourrait bien remettre en cause la légalité de ces ventes liées.

La Gazette du Palais, 16 et 17 septembre 2015, n° 259 à 260, Jurisprudence, Droit des obligations et droit des affaires, Logiciel préinstallé et pratiques commerciales déloyales : le débat reste ouvert !, par Mélanie Jaoul

DROIT DE L’URBANISME 

Le Conseil d’Etat clarifie les conditions d’application de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme

Conseil d’Etat, 6e et 1ere sous-sections, 1er octobre 2015, n° 374338

Dans cet arrêt en date du 1er octobre, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur les conditions d’application de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme, relatif à l’annulation partielle d’une autorisation d’urbanisme.

En l’espèce, les juges du fond, confirmés par les juges d’appel, avaient annulé le permis de construire modificatif dont était titulaire une SCI au motif qu’il méconnaissait le PLU de la commune. Les balcons des logements construits dépassaient en effet de plusieurs centimètres, la limite fixée par le PLU. La commune s’est alors pourvue en cassation.

Le Conseil d’Etat rappelle alors le principe même de l’article L.600-5 : le juge administratif peut prononcer l’annulation partielle d’un permis lorsqu’un vice qui n’affecte qu’une partie du projet, peut être régularisé par un permis modificatif. La partie du projet affectée par le vice n’a pas à être matériellement dissociable du reste du projet.

Les juges énoncent les deux conditions de la délivrance du permis modificatif. En premier lieu, les travaux autorisés par le permis initial ne doivent pas avoir été achevés. En second lieu, les modifications faisant l’objet du permis ne doivent pas être telles qu’elles remettraient en cause la conception générale du projet, par leur nature ou leur ampleur. A cet égard, l’arrêt précise que les modifications envisagées peuvent tout à fait toucher à l’implantation, aux dimensions ou à l’apparence du projet.

Or, la cour de cassation relève que la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit, lorsqu’elle a jugé que le vice dont le permis était affecté n’était pas régularisable puisque les balcons constituaient des éléments indissociables de l’immeuble et qu’il n’était pas démontré que la construction n’était pas achevée. Elle s’est méprise sur les conditions d’application de l’article l.600-5 du Code de l’urbanisme.

La Gazette du Palais, 14 et 15 octobre 2015, n° 287 à 288, p.30, Panorama de jurisprudence du Conseil d’Etat, Urbanisme. 

DROIT DE L’URBANISME 

La possibilité pour deux parties d’une même parcelle de relever de régimes domaniaux différents

Conseil d’Etat, 6 mai 2015, Commune de Saint-Brès, n° 369152

Une commune a autorisé un échange de deux terrains : une partie d’un terrain lui appartenant et une parcelle appartenant à un particulier. Quelques mois plus tard, par une délibération, conseil municipal annule la délibération ayant permis cet échange. Le propriétaire de la parcelle a alors saisi le tribunal administratif pour obtenir l’annulation de la deuxième délibération, mais sa demande a été rejetée.

La cour administrative d’appel quant à elle, a annulé la délibération. Pour ce faire, elle s’est penchée sur le régime de propriété du terrain communal. Elle a considéré que la partie échangée faisait partie du domaine privé, et qu’elle était séparée par une barrière en bois du reste du terrain qui lui, était entré dans le domaine public suite à son affectation à l’usage direct du public.
En l’espèce, le Conseil d’Etat réfute cette analyse. S’il considère que deux parties d’un même terrain peuvent relever de régimes domaniaux différents si elles sont clairement délimitées et dissociables, il estime qu’une simple barrière en bois ne peut suffire à opérer cette délimitation. Les deux parties forment un ensemble indissociable.

AJDA, 2015, 5 octobre 2015, n°32, Veille de Jurisprudence, Domaine, Délimitation d’une parcelle cadastrée

DROIT DE L’URBANISME 

L’impossibilité pour le juge des référés de surseoir à statuer pour permettre la régularisation d’une autorisation d’urbanisme

CE, 22 mai 2015, n° 385183

L’article L 600-5-1 du Code de l’urbanisme prévoit la faculté pour le juge administratif de surseoir à statuer lorsque, saisi d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, celui-ci présente un vice entraînant la légalité de l’acte mais pouvant être régularisé par un permis modificatif.
Dans son arrêt du 22 mai 2015, le Conseil d’Etat précise que le juge des référés ne peut pas utiliser le sursis à statuer même si le moyen de nature à créer un doute sérieux est relatif à une illégalité qui serait susceptible d’être régularisée. Le propre du juge des référés est en effet, comme le souligne le Conseil d’Etat, de statuer en urgence. Ainsi, seul le juge du fond peut faire application de l’article L 600-5-1 du Code de l’urbanisme.

La Gazette du Palais, 25 et 26 septembre 2015, n°268 à 269, p. 21, Jurisprudence, Le juge du référé suspension ne peut inviter à régulariser une autorisation d’urbanisme

DROIT DE L’URBANISME 

La réalisation d’une condition suspensive fixée sans terme doit se faire dans un délai raisonnable

Cass. Civ. 3ème, 20 mai 2015, n° 14-11851

Un propriétaire vend, par acte sous seing privé, une parcelle de terre à un particulier sous la condition suspensive de l’obtention d’un certificat d’urbanisme. Aucune clause du contrat ne prévoit de délai pour la réalisation de cette condition. Ce n’est que 6 ans après la conclusion du contrat que l’acquéreur assigne les héritiers du vendeur aux fins d’obtenir la réitération de la vente et réclame le certificat d’urbanisme.
Dans cette affaire, l’acquéreur considérait que la promesse de vente était encore valable, malgré les 6 années séparant la conclusion du contrat et la demande du certificat d’urbanisme. Il s’appuyait pour ce faire, sur l’article 1176 du Code civil qui dispose qu’une condition suspensive « n’est censée défaillie que lorsqu’il est devenu certain que l’événement n’arrivera pas ». Or, le certificat d’urbanisme pouvait encore être demandé et obtenu.

La cour de cassation a rejeté cette argumentation. Elle a d’une part, refusé que la stipulation d’une condition suspensive sans terme fixe puisse conférer à l’obligation un caractère perpétuel. Elle s’est d’autre part, référé à la commune intention des parties qui, en ne prévoyant ni indexation du prix, ni coefficient de revalorisation, avaient décidé implicitement d’un délai raisonnable pour la réalisation de la condition suspensive. Dès lors, la cour a confirmé la décision de la Cour d’appel qui avait conclu à la caducité de la promesse de vente.

Une telle solution attire donc l’attention sur la nécessité de fixer un terme à la réalisation d’une condition suspensive, de manière à palier tout risque de contentieux.

La Gazette du Palais, 16 et 17 septembre 2015, n° 259 à 260, Jurisprudence, Droit des obligations et droit des affaires, Du contrôle judiciaire des contrats immobiliers par Solange Becqué-Ickowicz

MARCHES PUBLICS 

Recevabilité du référé contractuel, erreur dans la mention du délai de standstill et méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence

CE, 17 juin 2015, Société Proxiserve, req. n° 388457

Au terme d’une procédure d’appel d’offres restreint, lancée conformément aux articles 28 et 28 du décret n° 2008-1742 du 30 décembre 2005, un OPH retient l’offre d’une société candidate. Une société dont l’offre n’a pas été retenue, forme un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Melun, et demande l’annulation de la procédure de passation du contrat. Le marché ayant été signé au cours de l’instance, la société évincée forme un référé contractuel. Le juge la déboute de sa demande. Il considère en effet que même si la lettre de notification de rejet de l’offre mentionnait un délai de suspension de la signature du contrat inférieure au délai minimum de 16 jours (ou « délai de standstill »), ce délai minimum avait tout de même été respecté.
Saisi par la société évincée, le Conseil d’Etat décide que malgré l’erreur quant au délai de suspension figurant dans la lettre de rejet de l’offre, et quand bien même le délai de suspension légal avait été respecté, le référé contractuel est recevable.

Ensuite, il relève un manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence, et annule le contrat. En effet, l’OPH n’a pas porté à la connaissance des candidats les informations relatives à la décomposition et à la pondération des différents sous-critères de prix. L’écart entre les notes attribuées à la société retenue et à la société requérante étant faible, les chances de cette dernière d’obtenir le contrat ont été affectées.

Revue Contrats publics, n°157 Septembre 2015, Veille, Jurisprudence nationale, p.10