Michel HUET
En collaboration avec Lisa DELOUM

Environment

Précisions sur le contenu du zonage d’un plan de prévention des risques naturels prévisibles 

CE, 6 avril 2016, n° 386000, Ministre de l’écologie 

Le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI) du Gardon d’Alès sur la commune d’Alès regroupait, pour des motifs différents, deux secteurs dans une même zone règlementaire sans les distinguer dans un zonage particulier. Les propriétaires de parcelles concernées par ce classement ont demandé l’annulation de l’arrêté préfectoral approuvant le PPRI. Le Tribunal administratif de Nîmes puis la Cour administrative d’appel de Lyon ont fait droit à ces demandes.

Saisi en cassation par le ministre de l’écologie, le Conseil d’Etat a prononcé l’annulation des deux arrêts d’appel rendus le 23 septembre 2014. En application des articles L. 562-1 et R. 562-3 du Code de l’environnement, il est jugé que la circonstance que les secteurs soient soumis aux mêmes interdictions pour des motifs différents ne fait pas obstacle à ce qu’une même zone les regroupe.

Le Conseil d’Etat précise par ailleurs que lorsqu’un terrain est situé derrière une digue, le risque d’inondation doit prendre en compte cet ouvrage de protection, qui, peu important son état, engendre un risque spécifique : « la présence même de l’ouvrage est susceptible de créer, en cas de sinistre d’une ampleur supérieure à celle pour laquelle il a été dimensionné ou en cas de rupture, dans la mesure où la survenance de tels accidents n’est pas dénuée de toute probabilité ».

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 53, « Plans de prévention des risques naturels prévisibles : classement des terrains », Philippe Graveleau. 

Urbanisme 

Les outils légaux du juge administratif pour annuler partiellement un permis de construire 

Avec la loi ENL n°2006-872 du 13 juillet 2006 et l’ordonnance n°2013-638 du 18 juillet 2013, le législateur a pris des mesures pour sauver les permis de construire de l’annulation totale dans un contexte de crise de l’immobilier. D’une part, l’article L. 600-5 du Code de l’urbanisme, permet au juge administratif de prononcer l’annulation partielle d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager entaché pour une partie, d’un vice régularisable par permis modificatif. D’autre part, l’article L. 600-5-1 permet, en cas de vice régularisable par permis modificatif, de surseoir à statuer jusqu’à l’expiration d’un délai qu’il accorde pour cette régularisation. Si un permis modificatif est notifié dans le délai fixé par le juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Il s’agit d’une véritable innovation puisque l’annulation partielle était seulement admise par la jurisprudence dans le cas précis de la divisibilité du permis, c’est-à-dire « lorsque les éléments d’un projet de construction ou d’aménagement auraient pu faire l’objet d’autorisations distinctes » (par ex. CE, 1er octobre 2015, n° 374338).

Concernant l’application de l’article L. 600-5, le permis modificatif de régularisation intervient sous deux conditions. D’une part, les travaux autorisés par le permis initial ne doivent pas être achevés (CAA Lyon, 10 novembre 2015, n° 14LY01456) ; d’autre part, les modifications apportées en vue de la régularisation doivent être mineures, dès lors que le permis modificatif ne constitue pas un nouveau permis (par ex. CE 1er oct. 2015, n° 374338 ; CE 30 déc. 2015, n° 375276). Concernant la procédure de sursis à statuer instaurée par l’article L. 600-5-1, elle permet au juge administratif d’encadrer et de contrôler l’effectivité de la régularisation du permis. Par ailleurs, même sans avoir été saisi de conclusions en ce sens, le juge peut inviter à régulariser lorsqu’il en constate la possibilité. En appel, le requérant débouté de sa demande d’annulation pourra contester non seulement le jugement final validant la régularisation, mais aussi le jugement avant-dire droit dès sa notification. En cas d’annulation du permis, l’appel du défendeur, alors qu’il porte sur la non régularisation du vice, ne sera pas limité au jugement final, puisque le juge devra examiner l’ensemble des moyens soulevé en première instance. Le défendeur appelant devra donc prouver que l’intégralité du permis est légale ou régularisable.

Source : Gazette du Palais, 9 mai 2016, n° 16, p. 58, « Peut-on obtenir l’annulation totale d’un permis de construire ? », Jean-Baptiste Ollier. 

Un contentieux de l’urbanisme réformé, les pouvoirs du juge renforcés 

La réforme du droit de l’urbanisme issue de l’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 a étendu les pouvoirs du juge administratif dans son contrôle des décisions d’urbanisme, comme en témoignent les nouvelles règles en matière de régularisation et d’annulation partielle du permis de construire aux articles L. 600-5 et L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme. Il a par ailleurs été introduit l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme. Celui-ci encadre l’intérêt à agir du voisin qui, exerçant un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager, doit justifier que ce permis ou les travaux « sont de nature à affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien qu’elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d’une promesse de vente, de bail, ou d’un contrat préliminaire mentionné à l’article L. 261-15 du code de la construction et de l’habitation ».

Appuyant un resserrement de l’intérêt à agir des tiers, et rejoignant sa jurisprudence en contentieux administratif sur l’établissement des faits par des « allégations sérieuses » (CE, 26 novembre 2012, n° 354108, Mme Cordière) ces conditions ont été interprétées par la jurisprudence au terme du considérant de principe suivant : « Il résulte des dispositions de l’article L. 600-1-2 du code de l’urbanisme qu’il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (CE 10 juin 2015, n° 386121, M. Brodelle et Mme Gino). 

Par une appréciation in concreto, il s’agit désormais pour le juge, de constater une atteinte directe aux conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien. En application de cette solution, les juges ont par ailleurs retenu la possibilité de rejeter par voie d’ordonnance le recours en excès de pouvoir du tiers (CJA, art. R. 222-1) lorsqu’il n’a pas justifié d’un intérêt à agir suffisant (v. CE, 10 février 2016, n° 387507 et CAA Versailles, 10 décembre 2015, n° 13VE02031) . Par cinq décisions du Conseil d’Etat rendues le 13 avril 2016 (dont CE, 13 avril 2016, n° 389798, M. Bartolomei) , réaffirme la solution en précisant que « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ».

Concernant le certificat d’urbanisme, le Conseil d’Etat a confirmé son caractère réel et non personnel dans un arrêt Commune de Saint-Cergues (CE, 15 décembre 2015, n° 374026) : un certificat d’urbanisme peut être invoqué devant le juge par un requérant qui, sans en être celui à qui on l’a délivré, porte le projet de construction sur le terrain objet du certificat. En outre, le certificat peut être invoqué sans formalité, autrement dit sans l’accord du titulaire, contrairement à ce que retient la jurisprudence à l’égard du permis de construire (CE, 20 octobre 2004, n° 257690, SCI Logana) .

En matière de sursis à statuer sur une autorisation d’urbanisme, le Conseil d’Etat est venu préciser les effets de l’annulation (CE 9 mars 2016, n° 383060, Commune de Beaulieu) . D’une part le sursis à statuer est assimilé à un refus d’autorisation au sens de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme, lequel prévoit qu’après l’annulation du refus l’administration doit appliquer les règles d’urbanisme en vigueur à la date de la décision de refus annulée. D’autre part, la règle selon laquelle le sursis à statuer n’excède pas deux ans (C. urb., art. L. 424-1) doit se combiner avec les effets d’une annulation rétroactive. En conséquence, l’annulation, d’un premier sursis illégal exécuté pendant deux ans ou plus, lequel est censé n’avoir jamais existé, n’empêche donc pas l’administration de surseoir de nouveau pour deux ans.

Source : AJDA, 16 mai 2016, n° 18, p. 950, « Contentieux de l’urbanisme : poursuite de la construction », Louis Dutheillet de Lamothe et Guillaume Odinet. 

Défaut d’intérêt à agir d’une association contre un permis de construire faute d’avoir déclaré la modification de son objet social en préfecture 

CAA Versailles, 10 décembre 2015, n° 13VE02031, Commune de Garches et SARL Maîtrise et développement de l’habitat c/ Association « Garches est à vous » 

Dans cet arrêt, la Cour administrative d’appel de Versailles s’est prononcée sur l’intérêt à agir d’une association qui avait obtenu en première instance l’annulation d’un permis de construire dans la commune de Garches.

Annulant le jugement, la Cour administrative d’appel, rappelant les dispositions de l’article L. 600-1-1 du Code de l’urbanisme, juge que l’objet social qui avait pour but toute études et réalisations de nature à préserver ou présente améliorer la qualité de vie à Garches, présente un caractère très général, notamment en ce qu’il ne prévoit pas la possibilité d’actions contentieuses en matière d’urbanisme.

Par ailleurs, l’association ne pouvait se prévaloir de la modification des statuts antérieure à l’affichage en mairie de la demande de permis de construire dès lors qu’elle n’a pas été déclarée en préfecture. Enfin, la circonstance que la Cour a jugé l’association recevable dans un arrêt définitif était sans incidence sur son intérêt à agir : ce recours, qui portait sur l’annulation d’une délibération approuvant la révision simplifiée du POS, n’entrait pas dans le champ d’application de l’article L. 600-1-1.

Source : AJDA, 23 mai 2016, n° 18, p. 967, « Modification des statuts d’une association en vue d’agir contre des autorisations d’urbanisme, conclusions de Philippe Delage, rapporteur public. 

Rejet par ordonnance d’un recours contre un permis de construire à défaut de justifier d’un intérêt à agir suffisamment étayé 

CE, 10 février 2016, n° 387507 

Suite au rejet leur recours gracieux, des riverains ont demandé l’annulation d’un permis de construire auprès du Tribunal administratif de Marseille, en raison des vues créées par les façades vitrées du projet envisagé. En cassation, les requérants ont fait valoir que leur recours ne pouvait être rejeté par ordonnance en application des dispositions règlementaires du Code de justice administrative, sans méconnaitre le droit au juge et le droit d’exercer un recours effectif, et que leur intérêt à agir était justifié en raison de la proximité immédiate de leurs biens du terrain d’assiette du projet.

En application de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat rappelle que le demandeur en annulation d’un permis d’un permis de construire doit justifier d’un intérêt pour agir « en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien » (v. CE 10 juin 2015 n° 386121). 

Il relève par ailleurs que l’intérêt à agir des requérants n’était pas établi à l’appui des pièces fournies : d’une part, en ce qu’ils se sont bornés à se prévaloir de leur qualité de propriétaires de biens immobiliers voisins directs de la parcelle accueillant le projet litigieux ; d’autre part, il était seulement établi que leurs parcelles sont mitoyenne pour l’une et en co-visibilité pour l’autre. En conséquence, les requérants, qui ne justifiaient pas d’un intérêt à agir suffisant contre le permis de construire, n’étaient pas fondés à demander l’annulation de l’ordonnance, laquelle ne méconnaissait pas le droit à un procès équitable protégé par l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Source : AJDA, 23 mai 2016, n° 18, p. 971, « Rejet d’un recours contre un permis de construire par ordonnance », conclusions d’Aurélie Bretoneau, rapporteur public. 

Précision des modalités d’administration de la preuve de l’intérêt à agir du voisin immédiat. 

CE, 13 avril 2016, n° 389798, M. Bartolomei 

Dans cette espèce, un « voisin immédiat » avait demandé l’annulation de l’arrêté par lequel le maire de Marseille a accordé un permis de construire deux logements et une piscine. Par ordonnance, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable. Saisi en cassation, le Conseil d’Etat prononce l’annulation de l’ordonnance et retient que le requérant avait suffisamment justifié son intérêt à agir en invoquant sa qualité de voisin immédiat, lequel occupait un bien situé à proximité immédiate de la parcelle litigieuse, et en faisant valoir qu’il subirait nécessairement les conséquences du projet s’agissant de sa vue, de son cadre de vie et des troubles occasionnés par les travaux dans la jouissance paisible de son bien et la perspective de difficultés de circulation.

Le Conseil d’Etat rappelle son considérant de principe désormais bien établi (CE 10 juin 2015, n° 386121, M. Brodelle et Mme Gino ; CE, 10 février 2016, n° 387507) selon lequel, en application de l’article L. 600-1-2 du Code de l’urbanisme : : « il appartient, en particulier, à tout requérant qui saisit le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation d’un permis de construire, de démolir ou d’aménager, de préciser l’atteinte qu’il invoque pour justifier d’un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous les éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d’affecter directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien ». 

Par ailleurs cet arrêt précise les modalités d’administration de la preuve de l’intérêt à agir du voisin immédiat : « eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d’un intérêt à agir lorsqu’il fait état devant le juge, qui statue au vu de l’ensemble des pièces du dossier, d’éléments relatifs à la nature, à l’importance ou à la localisation du projet de construction ». 

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 54, « Autorisation d’urbanisme : intérêt à agir du voisin immédiat », Philippe Graveleau. 

Implantation sous conditions de clôtures dans un espace remarquable 

CE, 4 mai 2016, n° 376049, SARL Mericea 

Le propriétaire d’une parcelle située dans un espace remarquable bénéficiant de l’application des dispositions de la loi Littoral n°86-2 du 3 janvier 1986, a déposé une déclaration préalable pour la réfection d’une clôture d’une clôture autour de sa propriété à laquelle la mairie de Saint-Tropez ne s’est pas opposée par arrêté. A la demande du préfet du Var, l’arrêté de non-opposition a été annulé par le Tribunal administratif de Toulon, qui a jugé que les dispositions de l’article R. 146-2 du Code de l’urbanisme faisaient obstacle à la réfection d’une clôture dès lors qu’elles ne mentionnaient pas les clôtures parmi « les aménagements légers » énumérés pouvant être autorisés dans les sites remarquables du littoral.

Infirmant le jugement, le Conseil d’Etat, considère que les dispositions de la loi Littoral relatifs aux espaces remarquables (C. urb., art. L. 146-6 et R. 146-2) ne s’opposent pas aux travaux d’édification et de réfection de clôtures implantées dans de tels espaces, alors même qu’ils ne sont pas mentionnés au nombre des « aménagements légers » pouvant être autorisés. Il précise par ailleurs qu’ « il appartient à l’autorité administrative saisie d’une déclaration préalable d’apprécier si ces travaux ne dénaturent pas le caractère du site protégé, ne compromettent pas sa qualité architecturale et paysagère et ne portent pas atteinte à la préservation des milieux ». Il juge enfin que le Tribunal administratif saisi de la légalité de l’arrêté de non opposition, devait apprécier, au même titre que les services instructeurs des autorisations d’urbanisme, si les travaux étaient de nature à compromettre la conservation, la protection ou la création des boisements classés dans le PLU.

Source : AJDA, 23 mai 2016, n° 18, p. 926, « Implantation d’une clôture dans un espace remarquable », Diane Poupeau. 

Un terrain inclus dans le passé dans une partie urbanisée peut être classé en zone inconstructible pour l’avenir par la carte communale. 

CE, 15 avril 2016, n° 390113, M. A. 

Des requérants ont attaqué la délibération adoptant la carte communale de Kemplich en Moselle, en ce qu’elle avait classé en zone inconstructible des parcelles qui avaient pu être regardées, avant son adoption, comme situées dans les parties urbanisées de la commune. Les demandes ont été rejetées successivement par le Tribunal administratif de Strasbourg puis par la Cour administrative d’appel de Nancy.

En cassation, le Conseil d’Etat confirme la solution retenue par les juges du fond, et relève qu’en application de l’article L. 111-1-2 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi SRU du 13 décembre 2000 la règle de la constructibilité limitée est exclue dans les communes dotées d’une carte communale et, en application de l’article L. 124-2 en vigueur, qu’il appartient aux auteurs de la carte de fixer le zonage déterminant la constructibilité du terrain en tenant compte de la situation existante et des perspectives d’avenir.

En conséquence, et compte tenu, sauf erreur manifeste d’appréciation, qu’«aucune disposition législative en vigueur à la date des actes attaqués ne faisait obstacle à ce que puisse être légalement décidé le classement en zone naturelle d’un secteur que les auteurs du document d’urbanisme entendent soustraire, pour l’avenir, à l’urbanisation », la seule circonstance qu’un terrain a pu, dans le passé, être regardé comme inclus dans les parties urbanisées d’une commune ne fait pas obstacle à ce que ce terrain puisse être classé pour l’avenir en zone inconstructible par la carte communale.

Source : Gazette du Palais, 17 mai 2016, n° 18, p.40, « Carte communale : zonage déterminant la constructibilité des terrains », Philippe Graveleau. 

Application de la théorie de la connaissance acquise au tiers contestant un permis de construire sans affichage 

CE, 15 avril 2016, n° 375132, M. C. 

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat applique la théorie de la connaissance acquise au requérant qui, formant un recours administratif contre l’arrêté délivrant le permis de construire contesté, a manifesté avoir acquis la connaissance du permis de construire et des délais de recours alors même que le panneau d’affichage du permis n’indiquait pas les voies et délais de recours. Ainsi c’est sans erreur de droit que la Cour administrative d’appel de Marseille a pu juger tardive la requête introduite en première instance plus de deux mois après le recours administratif.

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p.54, « Point de départ du délai de recours contre un permis de construire ; théorie de la connaissance acquise », Philippe Graveleau. 

Droit administratif 

La Cour de cassation consacre la nouvelle conception de la voie de fait. 

Cass., 1ère civ., 9 décembre 2015, n° 14-24.880, « Communauté d’agglomération de Saint-Quention-en-Yvelines c/ Société Orange » 

Cass., 1ère civ., 9 décembre 2015, n° 14-24.880, « Communauté d’agglomération de Saint-Quention-en-Yvelines c/ Société Orange »

Depuis l’arrêt rendu par le Tribunal des conflits le 17 juin 2013 (Bergoend c/ ERDF Annecy Léman) la voie de fait est désormais caractérisée par une atteinte à une liberté individuelle ou au droit de propriété aboutissant à son extinction, lorsque l’administration a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, et qui est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative.

En l’espèce, la communauté d’agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines (CASQY) a réalisé des travaux de réfection de voirie ayant endommagé et rendu inaccessible des infrastructures de génie civil dont la société Orange se revendiquait propriétaire. Cette dernière a assigné la CASQY sur le fondement de la voie de fait, en cessation des travaux et en réparation de son préjudice. Pour retenir la voie de fait née de l’exécution des travaux de voirie, la Cour d’appel de Versailles a fait application des anciens critères, en relevant notamment une atteinte au droit de propriété de la société Orange, sans en constater l’extinction.

Saisie en cassation par la CASQY qui revendiquait la propriété des ouvrages litigieux qu’elle aurait réalisés, la première chambre civile casse partiellement et sans renvoi l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles. Rappelant les critères de la jurisprudence Bergoend, la Cour de cassation censure les juges du fond en ce qu’ils ont retenu la qualification de la voie de fait sans caractériser l’extinction du droit de propriété, et « dont il ressortait que les travaux entrepris par la CASQY n’étaient pas manifestement insusceptibles d’être rattachés à un pouvoir appartenant à cette dernière ».

Source : AJDA, 23 mai 2016, n° 18, p. 1016, « L’adhésion de la Cour de cassation à la nouvelle conception de la voie de fait », Seydou Traoré. 

Domanialité publique 

Entre dans le domaine public la parcelle affectée à un service public et dont l’aménagement indispensable n’est pas achevé. 

CE, 13 avril 2016, n° 391431, Commune de Baillargues 

La commune de Baillargues a décidé d’aménager un plan d’eau artificiel destiné à la pratique des activités sportives et de loisir et pouvant servir de bassin d’écrêtement des crues. Pour mener à bien ce projet, la commune a partiellement exproprié des parcelles afin de les utiliser pour le plan d’eau. Les propriétaires expropriés ont assigné la commune devant le tribunal d’instance de Montpellier afin que soit désigné un expert-géomètre chargé de proposer un bornage entre la partie expropriée et la partie non expropriée de leur propriété. Par jugement du 2 février 2015, le tribunal d’instance a sursis à statuer dans l’attente de savoir si les parcelles relèvent ou non du domaine public de la commune. Par jugement du 6 juin 2015, le tribunal administratif de Montpellier a jugé que la partie expropriée de ces parcelles ne fait pas partie du domaine public.

Saisi en cassation par la commune, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer, sur l’entrée dans le domaine public des parcelles litigieuses en application du critère légal de l’affectation à un service public et de l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service (CGPPP, art. L. 2111-1).

Prononçant l’annulation du jugement rendu par le tribunal administratif, le Conseil d’Etat juge dans son considérant de principe que « quand une personne publique a pris la décision d’affecter un bien qui lui appartient à un service public et que l’aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public peut être regardé comme entrepris de façon certaine, eu égard à l’ensemble des circonstances de droit et de fait, telles que, notamment, les actes administratifs intervenus, les contrats conclus, les travaux engagés, ce bien doit être regardé comme une dépendance du domaine public ». 

S’il ressort de la jurisprudence ATLAR (CE, 8 avril 2013, n° 363738) et Commune de Val-d’Isère (CE 28 novembre 2014, n° 349420) que l’aménagement doit être effectif, entièrement achevé, et l’affectation réelle, le Conseil d’Etat considère ici que même sans achèvement, le simple commencement de la réalisation de l’aménagement entrepris de façon certaine et matérialisé par « des circonstances de droit et de fait », notamment par l’exécution des travaux, a suffi à faire entrer les parcelles dans le domaine public de la commune.

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 53, « Dépendance du domaine public : critère de l’affectation du domaine public », Philippe Graveleau. 

Droit immobilier 

Commet une faute la société qui a réalisé un diagnostic amiante incomplet 

Cass., 3e civ., 7 avril 2016, n°15-14996, SCI Asterion c/ Sté Socotec France et a., FS-PB 

A l’occasion d’une vente immobilière, un diagnostic amiante, obligatoire (CCH, art. L. 271-4), a été effectué par une société révélant la présence de la substance dans certains composants du bien. Quelques années plus tard, l’acquéreur devenu propriétaire, a entrepris de démolir l’immeuble, et la société a établi un second diagnostic révélant la présence d’amiante dans d’autres composants. Invoquant la faute du diagnostiqueur dans son premier rapport qui s’est révélé incomplet, le propriétaire l’a assigné en dommages-intérêts correspondant au surcoût des travaux.

La cour d’appel rejette la demande et retient l’absence d’un lien de cause à effet entre la différence d’ampleur d’amiante décelée dans les deux rapports et le préjudice résultant de la hausse du coût du désamiantage « dès lors qu’elle devait y faire procéder lors de la démolition, dont il n’est pas établi qu’elle était envisagée lors de l’achat de l’immeuble ».

Au visa de l’article L. 271-4 du Code de la construction et de l’habitation, la Cour de cassation casse et annule l’arrêt. Elle juge caractérisée la faute de la société qui a commis un manquement à ses obligations légales dans son premier diagnostic en l’absence d’identification de tout l’amiante repérable visuellement. La Haute cour retient ainsi l’existence d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice résultant du surcoût des travaux.

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 51, « Diagnostic d’amiante en deux épisodes : la responsabilité du diagnostiqueur », Philippe Graveleau. 

L’action récursoire du maitre de l’ouvrage contre l’architecte qui a méconnu une servitude non aedificandi. 

Cass., 3e civ., 7 janvier 2016, n° 14-24777, 14-24842 

Une SCI a chargé un architecte de réaliser un projet d’extension d’une maison construite sur un terrain grevé d’une servitude non aedificandi. Neuf ans plus tard, la maison a été vendue et les acquéreurs furent condamnés, en violation de la servitude, à démolir la terrasse et la piscine qui avaient été réalisées par l’architecte. Ils assignent en indemnisation la SCI venderesse et maitre de l’ouvrage, et celle-ci appelle en garantie l’architecte.

Dans son pourvoi, l’architecte, en sa qualité de constructeur, invoquait la prescription de l’action en garantie au titre du désordre affectant l’ouvrage. En effet, sa mise en cause était intervenue plus de 10 ans après la réception des travaux.

Pour autant, la Cour de cassation écarte l’application de la responsabilité décennale et juge que l’action n’était pas prescrite, laquelle relevait de la responsabilité de droit commun : « l’action récursoire du vendeur, qui tend à l’indemnisation du préjudice que lui cause l’obligation de garantir les acquéreurs de l’éviction qu’ils subissent en raison du non-respect de la servitude, relève de la responsabilité de droit commun qui se prescrivait par trente ans avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription civile ».

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 69, « Méconnaissance d’une servitude non aedificandi, suite à la revente d’une maison mal implantée par un architecte », Jean-Philippe Tricoire. 

Droit des assurances 

Est illicite la clause limitant la garantie décennale aux seuls dommages affectant la structure de l’ouvrage 

Cass., 3e civ., 4 février 2016, n° 14-29790, 15-12128 

En vertu de l’article 1792 du Code civil, le dommage de nature décennale s’entend comme celui qui compromet la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou d’équipement, le rend impropre à sa destination. Pour l’application de la garantie décennale, le Code des assurances oblige le constructeur, sous peine de sanction pénale, à souscrire une assurance de responsabilité (C., assur., art. L. 241-1 ; L. 243-8). Selon l’article A. 243-1 du même code, le contrat doit comporter les clauses types visées aux annexes de l’article, et « Toute autre clause du contrat ne peut avoir pour effet d’altérer d’une quelconque manière le contenu ou la portée de ces clauses, sauf si elle s’applique exclusivement à des garanties plus larges ». En application de ces dispositions, la jurisprudence tend à admettre les clauses qui délimitent l’objet du contrat, mais juge illicite celles qui limitent les garanties, à moins qu’il s’agisse de clauses d’exclusions prévues aux annexes de l’article A. 243-1.

En l’espèce, un particulier qui a fait construire une piscine en béton, a constaté après réception que l’enduit recouvrant la structure n’était pas lisse. Le maître de l’ouvrage, agissant contre l’entreprise sur le fondement de la responsabilité décennale, s’est vu opposer une clause du contrat limitant la garantie décennale aux seuls défauts de solidité affectant la structure de la piscine. En appel, les juges ont admis l’application de cette clause limitative de responsabilité tout en ayant constaté que le désordre rendait l’ouvrage impropre à sa destination.

La Cour de cassation, au visa des articles L. 241-1, L. 243-8 et A. 243-1 du Code des assurances, censure la cour d’appel et juge que « la clause limitant la garantie aux seuls dommages affectant la structure de la piscine faisait échec aux règles d’ordre public relatives à l’étendue de l’assurance de responsabilité obligatoire en matière de construction et devait, par suite, être réputée non écrite. »

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 73, « Garantie d’assurance impropre à sa destination », François-Xavier Ajaccio et Rémi Porte. 

Le dirigeant qui n’a pas souscrit aux assurances dommage et responsabilité engage sa responsabilité personnelle. 

Cass., 3e civ., 10 mars 2016, n° 14-15326

En raison de désordres constatés sur les constructions édifiées par une société de construction, les maitres de l’ouvrage ont assigné en indemnisation la société et son gérant, qui par ailleurs n’avait pas souscrit d’assurance responsabilité décennale.

La Cour de cassation juge, en application des articles L. 241-1, L. 242-1 et L. 243-3 du Code des assurances, que le défaut de souscription des assurances de dommage et de responsabilité est constitutif d’une infraction pénale et caractérise une abstention fautive imputable au dirigeant de la société. Il s’agit d’une faute intentionnelle séparable des fonctions de dirigeant. En conséquence, le dirigeant engage sa responsabilité personnelle.

Source : Gazette du Palais, 10 mai 2016, n° 17, p. 75, « Défaut de souscription d’une assurance de responsabilité décennale : la responsabilité personnelle du dirigeant social engagée ! » 

Droits d’auteur 

Amission de l’action en restitution d’une œuvre artistique par les ayants-droits de l’auteur 

TGI de Paris, 3 septembre 2015, RG n° 12/15973 

En 1976, un projet de film tiré du roman Dune de Frank Herbert a été abandonné. Pour ce projet, le dessinateur Jean Giraud, décédé en 2012, était chargé d’en concevoir le story-board, qui a été remis à la société de production Camera One. En 2011, cette dernière a demandé l’autorisation de représenter les planches du story-board dans un documentaire. En réponse, par lettre du 12 juillet 2011, Jean Giraud déclare n’avoir jamais cédé par contrat la propriété des originaux ni le droit de les publier en dehors de la production. Mais la société considérant être propriétaire, a reproduit les planches dans le documentaire. Suite à la présentation de l’œuvre au Festival de Cannes, la veuve Isabelle Giraud et les héritiers ont assigné la société en restitution des planches.

La demanderesse a par ailleurs agi sur le fondement du droit moral de l’auteur en considérant que la représentation des planches y portait atteinte. Cette action, qui visait à l’attribution du droit moral et non spécifiquement du droit de divulgation, est jugée irrecevable en application de l’article L. 121-2 du CPI. Les juges rappellent qu’en vertu de ce texte le donataire universel vient en dernière position « bien après les descendants », et en déduisent que le statut de légataire universel qu’elle invoquait « ne vaut pas à lui seul volonté d’aller à l’encontre du droit de divulgation ».

Concernant la restitution des planches, les ayants-droit alléguaient que celles-ci avaient été remises en vertu d’un contrat de dépôt, accessoire du contrat de commande des œuvres. Relevant que la remise des planches avait été faite dans le but d’être utilisées pour la réalisation du film, le TGI de Paris retient la qualification du contrat de dépôt dans les termes suivants : « Aucun contrat n’a été signé entre les parties et aucune rémunération n’a été perçue par Jean Giraud qui pourrait laisser supposer qu’aurait existé une volonté de cession. Dès lors, une telle remise aux fins d’exploitation doit s’analyser comme un contrat de dépôt au sens des articles 1927 et suivants du Code civil ».

Enfin, la société défenderesse qui se croyait propriétaire des planches en vertu de la règle « en fait de meuble, la possession vaut titre », invoquait l’extinction de l’action en restitution en application de la prescription trentenaire (ancien article 2262 du Code civil). Sur ce point, alors qu’une obligation réelle n’est pas susceptible de prescription extinctive (v. Cass 1e civ., 2 juin 1993, n°91-10971), le TGI considère cette prescription simplement inopposable à l’obligation de restitution issue du contrat de dépôt « dès lors que leur refus de restituer n’a été opposé qu’en 2012 quelques mois seulement avant l’introduction de la présente procédure ».

Source : Propriétés intellectuelles, avril 2016, n° 59, « Distinction de l’œuvre et du support », Jean-Michel Bruguière.